La négociation des accords collectifs tend à prendre une place de plus en plus importante au sein des différents pays européens. Ce constat ne change pas avec la crise liée au Covid-19 : parmi les pays qui y ont recours, l’accord collectif est un moyen de faire participer les salariés aux mesures adoptées par les entreprises pour sortir de la crise. Le Royaume-Uni fait figure d’exception : les accords collectifs y sont plus rares et beaucoup d’éléments dépendent directement du contrat de travail.

Une contribution conjointe des cabinets Slaughter and MayBredin PratHengeler MuellerBonelliEredeDe BrauwUría Menéndez

Comme pour la tenue des réunions des institutions représentatives du personnel, il est recommandé que les réunions de négociation de ces accords se tiennent à distance. Si négocier en présentiel n’est pas une obligation en France ou en Allemagne notamment, un écrit s’impose toujours ! En revanche, une distinction essentielle oppose ces deux pays où la négociation collective dispose d’une place de choix : la France, contrairement à l’Allemagne, admet la signature électronique, voire, dans le cadre du Covid-19, une simple signature scannée. Malgré une théorie parfois très stricte (la conclusion d’un acte notarié), les Pays-Bas s’inscrivent aussi dans la souplesse avec l’autorisation des signatures scannées ou d’un appareil photo, tout comme l’Espagne ou l’Italie. L'Italie est d’ailleurs le pays où la plus grande flexibilité est possible en la matière car il n'y a aucune exigence expresse d’un document écrit : des conventions collectives ont par exemple été conclues lors de visioconférences.

Enfin, la tenue de réunions à distance n’exonère pas pour autant du respect du principe de loyauté, lequel trouve pleinement application. Ce dernier impose, en particulier en France, la présence de tous les négociateurs lors des étapes clés de la négociation, sans quoi l’accord collectif conclu serait nul.

Un grand nombre de mesures relatives à l’emploi ne peuvent être mises en œuvre que par le biais d’un accord collectif, ce qui amène à s’interroger sur la manière de négocier ces accords durant la pandémie. Comment un accord collectif doit-il être conclu et appliqué ?

ROYAUME-UNI (Slaughter and May) :

Les accords collectifs sont moins courants au Royaume-Uni que dans d’autres pays européens. Toutefois, lorsqu’ils existent, ils peuvent avoir un objet très large et couvrir des sujets tels que la durée du travail et les congés, le recrutement et la rupture ou la suspension des contrats de travail, la répartition du travail, les conditions matérielles de travail et les mécanismes de négociation collective.

les accords collectifs prévoient également une consultation en cas d’évènements importants susceptibles d’affecter les salariés, et notamment en présence de restructurations, fermetures ou cessions. L’actuelle pandémie de Covid-19 affecte ou affectera potentiellement plusieurs de ces éléments, en particulier lorsque les entreprises au Royaume-Uni commenceront à envisager la reprise de leurs activités suite à la levée des restrictions

En général, les accords collectifs prévoient également une consultation en cas d’évènements importants susceptibles d’affecter les salariés, et notamment en présence de restructurations, fermetures ou cessions. L’actuelle pandémie de Covid-19 affecte ou affectera potentiellement plusieurs de ces éléments, en particulier lorsque les entreprises au Royaume-Uni commenceront à envisager la reprise de leurs activités suite à la levée des restrictions. L’implication des salariés sera cruciale afin de garantir la sûreté et le succès du retour au travail. Les entreprises ayant mis en place des accords collectifs sont donc encouragées à appliquer ces accords et consulter leurs salariés sur les plans de reprise d’activité. Comme dans d’autres pays, les réunions de consultation par téléphone ou visioconférence sont fortement recommandées à l’heure actuelle, au lieu des réunions présentielles. Au Royaume-Uni, il existe une présomption selon laquelle les accords collectifs ne sont pas juridiquement contraignants. C’est le cas pour la majorité d’entre eux. Par exception, les parties peuvent prévoir que l’accord est, en tout ou partie, juridiquement contraignant, à condition de le stipuler expressément. Il est également possible (et plus courant en pratique) que les stipulations des accords collectifs soient incorporées dans les contrats de travail individuels, et soient donc légalement contraignantes vis-à-vis des salariés plutôt que vis-à-vis des syndicats. Malgré leur absence générale de valeur juridique contraignante, la plupart des accords collectifs sont signés par des représentants de l’employeur et des syndicats. La signature peut être effectuée sur papier ou électroniquement. Si un employeur a conclu avec un comité d’entreprise national ou européen un accord relatif à son information-consultation (ou si l’obligation de mettre en place un tel comité a été valablement déclenchée), cet accord est juridiquement contraignant. Un employeur peut être condamné à une amende d’au maximum 75 000 £ en cas de non-respect des dispositions applicables.

FRANCE (Bredin Prat) :

Les accords collectifs sont généralement soumis à un régime de négociation strict. Cependant, en raison de la crise liée au Covid-19, certains ajustements sont possibles. Pendant le confinement, les réunions de négociation en présentiel ne pouvaient avoir lieu qu’en cas de nécessité de respecter un calendrier légal ou conventionnel, ou afin de répondre à la crise sanitaire. En tout état de cause, les règles applicables en matière de santé et sécurité (i.e. les mesures de distanciation sociale appropriées) doivent être respectées. A ce titre, il convient de noter que l’interdiction des réunions physiques de plus de 10 personnes ne s’appliquent en matière professionnelle. Les réunions en visioconférence ou par téléphone sont toutefois fortement recommandées. Même si la réunion a lieu à distance,

le principe de loyauté trouve pleinement application. Il impose la présence de tous les négociateurs lors des étapes clés de la négociation, à défaut de quoi l’accord collectif conclu serait nul. S’agissant de la signature de l’accord, il est possible de signer un accord collectif par voie électronique

le principe de loyauté trouve pleinement application. Ce dernier impose la présence de tous les négociateurs lors des étapes clés de la négociation, à défaut de quoi l’accord collectif conclu serait nul. S’agissant de la signature de l’accord, il est possible de signer un accord collectif par voie électronique (sous réserve du respect des dispositions du Règlement Européen no 910-2014 et de l’article 1367 du Code civil), ou par apposition de la signature manuscrite de chacune des parties dans des conditions très souples (si nécessaire, utilisation d’une imprimante et d’un scanner ou d’un appareil photo ; marge d’erreur si toutes les signatures ne figurent pas sur le même document, à condition que toutes les copies signées soient identiques et aient été fusionnées en un seul PDF soumis à la DIRECCTE, l’autorité administrative régionale auprès de laquelle les accords collectifs doivent être enregistrés). Il est également admis qu’un syndicat puisse mandater un autre syndicat, ou même l’employeur, afin de signer en son nom. Dans le cas des entreprises de moins de 20 salariés qui ne sont pas dotées d’un Comité social et économique (« CSE »), l’accord collectif peut être conclu par référendum des salariés. Il est bien sûr recommandé de ne pas organiser de réunion avec les salariés, mais plutôt de prévoir un vote par voie électronique permettant de garantir la confidentialité des suffrages. Enfin, il convient de noter que le gouvernement a apporté des changements plus profonds au domaine de la négociation collective, en particulier en ce qui concerne la conclusion d’accords collectifs d’entreprise. En effet, lorsque ces derniers sont exclusivement conclus en raison du Covid-19, certains délais applicables en cas de conclusion d’accords collectifs ont été considérablement, quoique temporairement, réduits. Par exemple, dans les entreprises de moins de 20 salariés sans CSE, le délai minimum entre la présentation du projet d’accord par l’employeur et la tenue du référendum est ramené à 5 jours au lieu de 15 habituellement.

ALLEMAGNE (Hengeler Mueller) :

Bien qu’il puisse y avoir des thèmes sur lesquels il est certainement plus facile de négocier en présentiel, cela n’est pas une obligation selon le droit allemand. Il n’existe pas de dispositions légales strictes concernant la manière de négocier des accords d’entreprise (c’est-à-dire des accords conclus entre l’employeur et le comité d’entreprise) ou des accords collectifs (c’est-à-dire des accords conclus entre l’employeur ou une association d’employeurs d’une part, et un syndicat d’autre part).

Dans tous les cas, ces types d’accord doivent nécessairement être conclu par écrit. En effet, conformément à la loi allemande, les accords d’entreprise et les accords collectifs nécessitent un écrit afin d’être légalement valide.

conformément à la loi allemande, les accords d’entreprise et les accords collectifs nécessitent un écrit afin d’être légalement valide

Cela signifie que les accords doivent être initialement signés « à la main » par les représentants des parties. Les signatures électroniques et les signatures scannées sont insuffisantes. Cette exigence d’une forme écrite n’a pas été modifiée par le législateur allemand suite à la pandémie de Covid-19. En conséquence, il faut rassembler les signatures manuscrites de toutes les parties pour conclure un accord d’entreprise ou un accord collectif, même si cela peut être un exercice lourd et difficile dans les circonstances actuelles. Préalablement à la conclusion d’un accord d’entreprise avec l’employeur, le comité d’entreprise est tenu d’adopter une résolution formelle. Conformément à la nouvelle loi adoptée par le Parlement allemand en réaction à la pandémie de Covid-19, les résolutions des comités d’entreprise peuvent désormais être adoptées par visioconférence ou par réunion téléphonique, comme décrit précédemment dans le Flash no 2.

ITALIE (BonelliErede):

En droit italien, la négociation et l'exécution des conventions et accords collectifs ne sont pas soumises à des règles juridiques spécifiques et strictes (les règles ordinaires régissant les contrats « individuels » s'appliquent). Dans ce cadre, surtout pendant la période de confinement, afin de respecter la « Loi d'urgence » (qui impose, en principe, d'éviter les rassemblements), de nombreux accords avec les syndicats ont, été conclus par le biais de réunions par visioconférence. Comme indiqué dans notre précédent "Flash", la « Loi d'urgence » ne réglemente expressément cette question qu'en ce qui concerne les consultations syndicales relatives à l’utilisation des ressources disponibles pour le paiement des indemnités de licenciement, en précisant que cela doit se faire par des instruments « télématiques » (mais sans donner plus de détails sur la manière dont la consultation « télématique » doit être effectivement effectuée, cf. Arts. 19 et 22 du décret-loi n° 18/2020, tel que modifié ultérieurement par la loi n° 27/2020, le décret-loi n° 23/2020 et le décret-loi n° 34/2020). Enfin, il convient de noter que, selon le dernier décret « Covid » (Article 1, paragraphe 10, du Décret-loi n° 33/2020), les réunions physiques sont désormais admises, à condition qu'il soit possible de maintenir une distance de 1 mètre entre les participants.

les réunions physiques sont désormais admises, à condition qu'il soit possible de maintenir une distance de 1 mètre entre les participants

Par conséquent - même si, en pratique, les réunions « physiques » tendent encore à être évitées de nos jours - une consultation syndicale pourrait théoriquement être tenue « physiquement » (en respectant la distance requise). En Italie, la conclusion des conventions collectives ne requiert pas légalement un écrit, mais cette option est toujours privilégiée. Pendant l'urgence liée au Covid-19, différentes solutions « pratiques » ont apparemment été utilisées par les syndicats qui ont soit : signé numériquement un document électronique ; scanné puis « intégré » leur signature  sur le document électronique (tous les représentants syndicaux n’ayant pas forcément accès à un dispositif de signature électronique) ; ou envoyé le projet d'accord à tous les participants, en leur demandant de répondre par un courrier électronique pour exprimer leur consentement. En ce qui concerne l'applicabilité et l’éventuelle violation des accords, tant les personnes physiques que les syndicats peuvent agir en justice en cas d’inexécution (les syndicats disposent, pour leur part, d'une action spéciale pour « comportements antisyndicaux », qui peut conduire à une ordonnance du tribunal visant à faire cesser le comportement ou à en supprimer les effets).

Dans le cadre du Covid-19, la violation de certains accords collectifs syndicaux comportant des dispositions relatives à des mesures de sécurité peut entraîner une suspension temporaire de l'activité de l'entreprise.

PAYS BAS (De Brauw) :

La Loi néerlandaise sur les Accords Collectifs de Travail (« LACT ») ne prévoit pas de régime de négociation strict pour la conclusion d’accords collectifs de travail. Par conséquent, les organisations syndicales et les employeurs sont libres de décider si, quand et de quelle manière se déroule la négociation collective.

En raison de la crise liée au Covid-19, plusieurs organisations syndicales et employeurs ont annoncé que les négociations de nouveaux accords collectifs étaient reportées jusqu’à nouvel ordre

En raison de la crise liée au Covid-19, plusieurs organisations syndicales et employeurs ont annoncé que les négociations de nouveaux accords collectifs étaient reportées jusqu’à nouvel ordre. Il est prévu que les négociations collectives reprennent une fois que les mesures d’urgence imposées par le gouvernement seront levées et lorsque les réunions présentielles seront à nouveau autorisées. Dans le cadre des mesures temporaires de subvention salariale d’urgence (« NOW »), les employeurs doivent, dans certaines conditions, conclure avec les syndicats un accord relatif à la préservation des emplois. Selon les circonstances, une telle réunion de négociation pourraient être considérée nécessaire pour la poursuite des activités quotidiennes, auquel cas elle échapperait à l’interdiction générale de réunion (applicable jusqu’au 20 mai 2020). Toutefois, ces réunions ne peuvent avoir lieu que si (i) certaines mesures d’hygiène sont respectées et (ii) s’il est possible pour les participants à la réunion de garder une distance d’au moins 1,50 mètre entre eux. Néanmoins, de manière générale, il est fortement conseillé d’organiser ces réunions de négociation par visioconférence ou téléphone.

L’article 3 de la LACT dispose qu’un accord collectif de travail doit être conclu par acte authentique ou par acte privé, et donc par écrit. En pratique, un accord collectif est toujours conclu par voie d’accord écrit entre les parties à l’accord, et non par acte notarié. La LACT n’impose aucune autre restriction quant à la conclusion d’accord collectif. Il est donc possible pour les parties à un accord collectif de travail de conclure cet accord par voie électronique (en principe, cela s’applique également aux autres accords collectifs que ceux de travail au sens de la LACT). Bien que l’entrée en vigueur de l’accord collectif de travail ne nécessite pas de signature manuscrite, les accords collectifs sont souvent signés par les parties (i.e. utilisation d’une imprimante et d’un scanner ou d’un appareil photo possible si nécessaire). Conformément à l’article 4 de la Loi sur les Salaires et les Rémunérations (« LSR »), les parties doivent notifier par écrit le Ministère des Affaires Sociales et de l’Emploi de la conclusion, de la modification ou de la résiliation d’un accord collectif de travail au sens de la LACT. Un accord collectif entre en vigueur le lendemain de la date de réception par les parties de l’accusé de réception de l’accord transmis par le Ministère des Affaires Sociales et de l’Emploi. Malgré la crise liée au Covid-19, les accords collectifs de travail entrent en vigueur comme à l’accoutumée.

ESPAGNE (Uría Menéndez) :

Comme indiqué dans les précédents « Flashs », les réunions en présentiel sont autorisées durant le confinement afin de respecter le dialogue social, y compris en ce qui concerne la négociation d’accords collectifs. Toutefois, dans la pratique, les réunions par visioconférence ou téléphone sont désormais la règle en matière de conduite de négociations durant cette période, et aucun problème à ce sujet n’a été soulevé.

les réunions par visioconférence ou téléphone sont désormais la règle en matière de conduite de négociations durant cette période

Jusqu’à présent, les syndicats et les Comités d’entreprise ont été coopératifs. Certaines entreprises ont adopté la signature électronique certifiée, afin que chaque participant puisse signer électroniquement l’accord négocié. Si cela n’est pas possible, les autorités du travail considèrent comme valides les signatures manuscrites scannées, ou les communications avec les représentants du personnel par courriels. Les autorités du travail disposaient déjà de registres en ligne pour enregistrer les accords collectifs (et d’autres types de communication et de notification), cette forme de communication n’est donc pas un problème actuellement. En particulier, le système espagnol d’enregistrement en ligne des accords collectifs est connu sous le nom de « REGCON ».

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