S’il y a une chose à retenir de Cécile Lambert, c’est son assurance. Parler fort sans élever la voix, un art que la rapporteure générale de l’article 51 – programme dédié aux innovations disruptives en santé – manie avec brio. Non pour attirer les regards sur elle, mais pour faire entendre la voix du système de santé. Rencontre avec la personnalité de l’année en santé élue par Décideurs.

Dans l’enceinte du ministère de la Santé et de l'Accès aux soins, Cécile Lambert marche d’un pas décidé. Elle affiche une aisance à toute épreuve et cultive un besoin de servir des missions vertueuses, quitte à secouer son environnement tout en refusant la langue de bois.

Pompier du système de santé…

Cécile Lambert se distingue par un trait de caractère rare, elle n’hésite pas à exprimer le fond de sa pensée. Un franc-parler et de l’énergie à revendre qu’elle a mis au service de bien des structures. En charge des affaires générales et des ressources humaines dans une Agence régionale de santé, directrice chargée du secrétariat général à la Haute autorité de santé ou encore cheffe de service à la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), elle a occupé " de nombreuses fonctions où il fallait répondre à des commandes politiques en urgence ", telles que la mise en place du plan de sauvegarde pour les urgences hospitalières de l’été 2022. Autant de missions d’ampleur " que l’on rapporte chez soi ".

L’énarque a toujours cherché à " représenter des projets qui ont du sens " sans mettre de côté sa fibre émotionnelle. À quoi bon servir un autre ministère quand celui de la santé offre tant de perspectives sociétales ? Pourtant, les déboires politiques de ces dernières années ont " ébranlé une continuité stratégique, empêchant parfois d’aller au bout d’une idée ou d’un projet ". Elle ajoute : " Je pense être le produit du contexte de crise du système de santé dont on n’arrive pas à se sortir ". De quoi éveiller l’envie de mettre en branle des actions sur le long terme plutôt que dans l’urgence.

… Ou nourrir sa flamme

Alors en septembre 2024, Cécile Lambert devient rapporteure générale de l’article 51. Pour elle, " le dispositif met en lumière l’énergie incroyable des porteurs de projets mais aussi des soignants boostés par la dynamique réflexive des expérimentations ". Lancé par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2018, l’article 51 " s’intéresse aux projets qui dérogent à la loi ". L’objectif ? Intégrer au droit commun des innovations organisationnelles disruptives, " quand bien même le mot est galvaudé ", prend-elle la peine de préciser, afin de repenser le droit de la santé, les enjeux économiques et sociaux. Piloter le " 51 ", c’est être touche-à-tout.

Résultat, les expérimentations réalisées au niveau local repoussent les barrières en échappant aux tentatives nationales infructueuses. À l'image du projet " Osys ", porté par l’URPS Médecins et Pharmaciens libéraux de Bretagne, permettant aux pharmaciens de la région de devenir des référents de première intention pour le traitement des " petits maux " afin de désengorger les urgences et les salles d’attentes des médecins.

Dans l’open space dédié à l’équipe de l’article 51 – l’une des seules dans un espace de travail collectif – l’esprit d’innovation plane dans l’air. Les dix membres de ce pôle, parmi lesquels on trouve des médecins, des pharmaciens ou encore un ancien directeur d’hôpital, veillent à " créer un consensus au changement ". Malgré une atmosphère en apparence détendue, les sujets traités ici " façonnent l’avenir et nourrissent la fragile flamme du système de santé ". Sur les 156 projets autorisés, trente sont en phase transitoire vers un passage au droit commun et quatre ont déjà atteint le graal marquant " un moment charnière pour mesurer leur impact à grande échelle ". La durée de test, pouvant s’étendre jusqu’à 5 ans, et l’implication des parties prenantes issues de toutes les directions du ministère ainsi que de la Caisse nationale d’assurance maladie ajoutent à l’originalité du programme.

Mettre en échec le langage administratif

Qu’il s’agisse d’accompagner la décarbonation du système de santé, les enjeux de dépendance des personnes âgées ou défendre la rémunération des soignants comme un important critère d’attractivité, Cécile Lambert embrasse l’intensité d’un secteur en pleine mutation. Au point de ne pas toujours avoir le temps de faire tout ce qu’elle souhaite : " Je tiens à dénoncer les gens qui affirment faire un boulot de maboul, être ceinture noire de judo et faire le goûter bio de leurs enfants à 16h30. On sait que c’est faux, il y a forcément quelque chose qu’ils ne font pas ", plaisante-t-elle. " Moi, avec des enfants, j’essaie déjà de survivre et j’ai arrêté d’aller au cinéma en 2016 ". Ni cinéma ni divertissements qui pourraient dépeindre son quotidien de façon trop crédible. " La série « Hippocrate » est géniale, car elle reflète vraiment les enjeux de l’hôpital – même si elle est un peu le pire cauchemar de la DGOS –, pour certains, à la direction, impossible de la regarder, elle rappelle trop le travail, moi, je peux depuis que j’en suis partie ".

Cécile Lambert est une femme de conviction. Il en faut pour porter l’innovation. Là où le langage ministériel impose un certain protocole, elle insiste pour privilégier simplicité et pragmatisme : " J’ai mis du temps à saisir que l’expression « il y a un sujet » signifiait qu’il y avait un problème ". Elle ajoute : " Si chaque domaine a son jargon, il devient problématique lorsqu’il freine le dialogue et empêche d’aller au fond des problèmes ". Bien que l’énarque puisse sembler être le pur produit d’un parcours administratif classique, elle défend l’importance " de mettre en échec le langage administratif habituel – un mélange de langue de bois et de technicité opaque. " Même si elle a parfois " perdu des occasions de se taire ", elle reconnaît que " avec l’âge, le tact s’améliore… ou pas ", sourit-elle.

Léa Pierre-Joseph

 

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