Renaud Dutreil a passé sa carrière à défendre les intérêts économiques des entreprises, notamment familiales. Il revient sur son parcours, de son expérience de ministre aux enseignements tirés du Pacte Dutreil, et nous partage sa vision des défis actuels auxquels la France fait face.
Renaud Dutreil, personnalité de l'année 2024
Décideurs. Votre parcours impressionne par sa richesse et sa cohérence. Comment l’aviez-vous envisagé à vos débuts ?
Renaud Dutreil. Depuis mes études à Sciences Po, puis à l’ENA, mon cheminement a toujours été guidé par une volonté de contribuer à l’intérêt général, que ce soit au Conseil d’État ou, plus tard, en tant que député et ministre. Ces institutions m’ont permis à la fois d’agir dans le cadre public et de mettre en place des réformes très concrètes.
Votre vocation initiale était-elle tournée vers la politique ?
Pas immédiatement. Enfant, je rêvais d’être médecin. Mais au fil du temps, mon attrait pour les affaires publiques l’a emporté. Ce choix a été renforcé par des figures inspirantes comme Georges Pompidou ou Charles de Gaulle. Des hommes qui ont su conjuguer engagement littéraire et politique, et qui restent des modèles pour moi.
Parmi les différentes casquettes que vous avez portées, il y a celle de ministre. Que retenez-vous de cette expérience ?
Être ministre a été l’occasion d’observer deux univers très différents : celui des entreprises, dynamique et réactif, et celui de l’État, souvent englué dans des rigidités administratives, malgré la qualité des fonctionnaires. J’ai été frappé par l’incapacité de l’État à se réformer, là où le secteur privé démontre une agilité remarquable. Les organisations qui se croient immortelles ont tendance à se fossiliser. Ce problème est un véritable frein pour la France.
Pourquoi cette difficulté persiste-t-elle, selon vous ?
L’État français, au lieu de soutenir les entreprises, leur impose des contraintes bureaucratiques de plus en plus lourdes. Malgré des efforts ponctuels des gouvernements successifs pour encourager l’entrepreneuriat, aucune réforme profonde n’a été menée au sein de l’État lui-même. Résultat : une dette publique qui se creuse, des déficits récurrents, et des citoyens insatisfaits des services publics, malgré leur coût.
Pensez-vous que les entreprises parviennent malgré tout à tirer leur épingle du jeu ?
Oui, et c’est même remarquable. Les entreprises françaises, notamment familiales, ont su s’adapter en intégrant des avancées technologiques, en s’ouvrant à l’international, et en innovant. En revanche, cette dynamique est contrariée par un État qui ne joue pas son rôle d’accompagnateur. À long terme, ce déséquilibre risque de faire trébucher notre économie.
Vous évoquez les entreprises familiales, qui ont occupé une grande partie de votre carrière…
Les entreprises familiales sont le cœur de notre économie. Elles représentent plus de la moitié des sociétés françaises et jouent un rôle clé dans le maintien des emplois et des savoir-faire. Aux États-Unis, elles représentent environ 20 % des structures. Je compare nos entreprises familiales à des arbres nourriciers enracinés dans le sol. Sans elles, nous risquons la désertification économique.
Vos métaphores liées à la nature sont lourdes de sens…
Parce qu’elles illustrent parfaitement la réalité économique. Les entreprises, comme des arbres, génèrent de la vie, nourrissent leur écosystème et en assurent la pérennité. L’économie française, à l’image d’une forêt, a besoin d’arbres robustes pour prospérer. Malheureusement, nous assistons à une déforestation économique causée par une surexploitation fiscale, le découragement du travail, la baisse des gains de productivité et le poids de la sphère publique.
Vous êtes à l’origine du Pacte Dutreil. En quoi ce dispositif a-t-il impacté l’environnement économique français ?
Avant sa mise en place, les transmissions familiales étaient lourdement taxées, ce qui obligeait les héritiers à vendre les entreprises, en tout ou partie, et souvent à des acteurs étrangers.
"Le Pacte Dutreil, vient créer un cadre fiscal stable qui favorise la pérennité de ces entreprises"
Le Pacte Dutreil a créé un cadre fiscal stable favorable à leur pérennité. Ce dispositif a non seulement protégé des milliers de structures, mais il a également renforcé l’écosystème des entreprises de taille intermédiaire, les ETI, essentielles pour notre compétitivité.
Vingt ans après sa création, ce dispositif est-il toujours adapté ?
Oui, bien qu’il reste des défis à relever. Certains acteurs politiques continuent de vouloir saboter ce système par idéologie égalitaire ou par méconnaissance des enjeux. Pourtant, ces entreprises familiales sont essentielles pour la transition climatique et cognitive, la cohésion sociale et l’innovation. La transmission familiale, par exemple, reste en France inférieure à ce qu’elle est dans d’autres pays européens. Elle est pourtant nécessaire au maintien des entreprises sur le territoire.
Comment envisagez-vous l’avenir de ces entreprises face à l’arrivée des nouvelles générations ?
La nouvelle génération porte des valeurs fortes. Elle est particulièrement sensible à l’enracinement territorial, à la transition climatique, aux nouvelles relations sociales et à l’innovation. Elle comprend que le modèle économique d’aujourd’hui ne sera pas forcément celui de demain. Ces jeunes dirigeants sont souvent prêts à diversifier les activités et à prendre des risques pour moderniser leur entreprise tout en préservant leurs valeurs familiales.
Vous considérez que les dynamiques qui animent l’État et les entreprises sont différentes. Que faudrait-il pour les réconcilier ?
Un changement radical de mentalité. L’État doit cesser de vouloir transférer les ressources des organisations bien gérées vers les organisations mal gérées. Cela passe par un allègement des prélèvements obligatoires, un cadre juridique stable et une reconnaissance du rôle central des entreprises, notamment familiales, dans le bien commun.
Si vous aviez un seul conseil à donner aux entreprises familiales pour réussir leur transmission, quel serait-il ?
Il est capital de distinguer deux aspects essentiels : la transmission du patrimoine et celle du flambeau.
"Les entreprises familiales sont le cœur de notre économie"
La première relève d’outils fiscaux et juridiques comme le Pacte Dutreil. La seconde est plus immatérielle : il s’agit de transmettre les valeurs, la vision et l’envie de poursuivre l’histoire familiale. Ce travail doit être mené avec soin, en formant la nouvelle génération à reprendre la gestion opérationnelle, sans la contraindre.
Pour conclure, avez-vous une devise qui vous guide dans votre action ?
J’aime beaucoup cette citation de Saint-Simon : "Il faut privilégier les abeilles industrieuses par rapport aux frelons politiques." Elle illustre parfaitement à quel point il est urgent de soutenir ceux qui créent et bâtissent, plutôt que ceux qui leur compliquent inutilement la tâche.
Propos recueillis par Marine Fleury
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