Les normes foisonnent toujours plus autour du sujet de la finance verte. Thierry Philipponnat, directeur de la recherche et du plaidoyer chez Finance Watch, membre des Commissions climat et finance durable de l’ACPR et de l’AMF, fait le bilan et souligne l’importance de privilégier un encadrement européen.

Décideurs. L’aspiration à une finance plus durable grandit, surtout depuis la crise de la Covid-19. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Thierry Philipponnat. Aujourd’hui, le sujet de la finance durable s’est normalisé. Il est devenu évident que la finance doit contribuer au développement d’un monde durable. Cependant, nous n’avons encore fait que la moitié du chemin, celui de la reconnaissance. Nous devons nous attacher désormais à aller vers sa réelle mise en œuvre et le développement de son impact. La crise que nous traversons a effectivement renforcé cette prise de conscience. L’occasion nous est donnée de privilégier une économie durable. Si nous ne le faisons pas aujourd’hui, cela reviendrait à gâcher l’argent investi dans les plans de relance et de soutien à l’économie.

Ces dernières années, les normes se sont multipliées pour encadrer le sujet de la finance durable. Ne risque-t-on pas de perdre en lisibilité ?

Le foisonnement des normes est avant tout positif: il est le reflet du dynamisme de la finance durable. La grande difficulté va être d’articuler ce qui se passe sur les plans nationaux avec les initiatives européennes. La finance durable doit impérativement être réglementée au niveau européen. Cela permettra de parler un langage commun dans toute l’Union européenne, en cohérence avec la libre circulation des capitaux. Toute initiative qui ne s’établit pas dans le prolongement de ce qui est entrepris au niveau européen est une perte d’énergie et apporte une complexité supplémentaire, et surtout inutile pour les acteurs de cette finance durable.

Avez-vous des exemples qui illustrent les dérives de ce foisonnement normatif ?

Le sujet des obligations dites vertes et celui des obligations de transition en font partie. Pour mieux le comprendre, il faut se pencher sur les subtilités de la taxonomie. Elle est le langage commun sur tous les sujets de finance verte en Europe et a pour vocation d’identifier les activités considérées comme durables. Dans la taxonomie, trois définitions du mot « durable » sont retenues: les activités « bas carbone », celles qui permettent à d’autres activités d’aller vers le bas carbone (enabling activities) et celles en transition. Ces dernières sont, aujourd’hui, celles qui ne peuvent pas encore être considérées comme durables mais font le nécessaire pour pouvoir le devenir. Cette qualification est pertinente car, si nous souhaitons que nos économies tendent vers un modèle plus durable, il ne suffit pas d’inventer des activités qui n’émettent pas de CO2 , il faut aussi encourager celles qui en émettent à évoluer. Les recommandations relatives aux greenbonds se réfèrent directement à la taxonomie établie par l’Union européenne qui prend donc en compte les activités de transition. Ainsi, les obligations de transition n’ont pas lieu d’être. Cet exemple, parmi d’autres, démontre bien le danger d’un foisonnement normatif.

"Les obligations de transition n’ont pas lieu d’être"

Les labels de finance durable nationaux créés pour les fonds d’investissement se sont également multipliés. Sont-ils réellement pertinents ?

De nombreux pays ont créé leur label, ce qui, encore une fois, prouve le dynamisme qui entoure le sujet mais ne va pas dans le sens d’une uniformisation européenne. Il est souhaitable qu’un label européen pour les produits financiers durables soit développé. Il est vrai que ces produits dits durables vont bientôt devoir indiquer leur pourcentage de conformité avec la taxonomie en question mais ce paramètre sera moins lisible, notamment pour les investisseurs particuliers. Avec un label européen intelligent et bien fait, les labels nationaux tomberont en désuétude. La machine européenne est en marche et toutes ces initiatives nationales vont se décanter.

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