Le dialogue social est au cours de la refondation du droit du travail. Il s’agit toutefois d’un pari dont la réussite dépend non seulement d’une montée en compétence des acteurs mais aussi d’un changement culturel.

Libérer et protéger : tel est le credo présidentiel qui guide la réforme du modèle social français. Le premier acte, porté par les ordonnances du 22 septembre 2017, entonne l’hymne de la liberté en accélérant la refondation du Code du travail alors que l’acte 2 répond à l’exigence de protection en regroupant, dans la loi pour la « liberté de choisir son avenir professionnel », une réforme d’ampleur de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’assurance chômage. Voilà consolidée la construction d’une flexisécurité à la française dans le sillage des préconisations de l’Union européenne.

Cette refondation du droit du travail français fait le pari du dialogue social. Depuis le début de ce siècle, la place de la négociation collective n’a cessé de se renforcer avec une promotion spectaculaire de l’accord d’entreprise (primauté de principe sur l’accord de branche, accès facilité aux petites entreprises, plus de liberté dans l’organisation des négociations obligatoires, accord de performance collective…). L’objectif est de « faire confiance aux entreprises et aux salariés en leur donnant la capacité d’anticiper et de s’adapter de façon plus simple, rapide et efficace, grâce à la négociation collective » (V. rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n. 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective). Est aussi attendue une conciliation indispensable de la compétitivité des entreprises et du progrès social.

Le pari du dialogue social

C’est aussi le pari de l’instance unique de représentation du personnel, dénommée comité social et économique (CSE). Celles et ceux qui l’avaient proposé, depuis des années, n’y croyaient guère même si la voie avait été ouverte par la réforme Rebsamen. C’est pourtant fait. Dans un calendrier échelonné, les entreprises concernées devront mettre en place un comité social et économique au plus tard le 31 décembre 2019. C’est une évolution majeure singulièrement dans les entreprises où existent délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT, car passer de trois instances à une ne conduit pas à maintenir des pratiques identiques même si le nouveau comité social et économique récupère les attributions des instances défuntes. L’objectif annoncé est de permettre « un dialogue social à la fois plus stratégique et plus concret, moins formel » (rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n. 2017-1386 du 22 septembre 2017).

Le profil des élus titulaires va changer. Avec des compétences élargies, ils deviennent « décathloniens de la représentation ». Ils pourront certes s’appuyer sur l’action des commissions et notamment sur celle de la commission santé, sécurité et conditions de travail dont l’implantation est, dans certains cas, obligatoire, mais c’est à chaque titulaire de participer à chacune des délibérations quel que soit le thème traité. Ce passage au comité social et économique va aussi entraîner une perte de mandats. L’accompagnement des salariés dont le mandat va prendre fin est essentiel et l’on peut se féliciter que le rapport Gateau-Simonpoli soit complété par un guide pratique opérationnel sur le sujet.

Dans les entreprises qui comportent de nombreux établissements, la mise en place du CSE doit aussi permettre une réflexion sur le périmètre d’implantation car dans de nombreuses situations, il ne sera pas possible de maintenir une cartographie identique même avec des comités sociaux et économiques d’établissement et le recours éventuel au représentant de proximité. Ce redécoupage offre l’occasion d’un audit de la situation et des pratiques existantes afin de trouver les périmètres adéquats.

Le pari de l’instance unique, ce n’est pas de faire moins mais de faire mieux

Pour y parvenir, une liberté importante est accordée aux acteurs pour façonner un CSE sur mesure. Les thèmes ouverts à la négociation collective sont nombreux (notion d’établissement distinct, consultations récurrentes et ponctuelles, fonctionnement…). Les accords d’entreprise déjà conclus démontrent l’intérêt d’une négociation collective qui permet la production de règles adaptées et évolutives.

Vertueuse, une réforme du droit du travail donnant plus de place au dialogue social est un pari dont la réussite dépend fortement d’un changement de comportement des acteurs. Or, le compte n’y est pas encore. Aux réformes juridiques de ces dernières années doit désormais succéder une promotion de la culture du dialogue social. Trop nombreux sont encore les témoignages de situations marquées par des postures, des dogmes, des suspicions et des ignorances. Le dialogue social n’est ni un combat ni une compromission. Il requiert le respect de l’autre et une volonté réelle et sérieuse de parvenir à un résultat.

La démarche mérite d’être relayée par les juristes trop souvent tentés par la joute ou la chicane technique. Mais le politique a aussi sa partition à jouer. Il ne suffit pas d’offrir un environnement législatif favorable à un épanouissement de la négociation collective : l’explication politique de la place du dialogue social et du jeu des acteurs ne doit pas rester confidentielle. Or, le sens des réformes de la dernière décennie est encore largement méconnu de nos concitoyens, faute d’avoir été expliqué : le discours politique doit accompagner le décryptage juridique. Aux organisations syndicales et patronales de participer aussi plus activement à cet éclairage stratégique.

L’engagement des acteurs de l’entreprise doit être surtout encouragé

Côté patronal, il est encore nécessaire, singulièrement au sein des PME, de détruire la perception négative du mandat. Côté syndical, la valorisation des parcours professionnels des élus et des titulaires d’un mandat syndical, utilement généralisée par les dernières réformes, doit permettre d’enrayer la crise des vocations et attirer une nouvelle génération de représentants prêts à s’engager dans une culture du dialogue social. Aux salariés, dont le vote est déterminant, de choisir aussi en fonction des accords conclus et des avis rendus.

Un tel pari du dialogue social pose aussi la question de la compétence des acteurs

La connaissance de l’entreprise via la base de données économiques et sociales, la compréhension de l’environnement juridique des négociations, la maîtrise de la technique contractuelle sans compter l’aptitude personnelle à discuter, sont autant de compétences ouvertes à la formation. Les formations communes, dont la mise en place est désormais prévue par le Code du travail, doivent se développer dans le cadre, notamment, d’un cahier des charges établi par l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Une mobilisation universitaire est naturelle, la formation continue faisant partie des missions de l’université (V. les DU de Montpellier et de Clermont). Il y a toutefois des limites à la formation d’acteurs dont le quotidien est d’exercer une activité professionnelle au sein de l’entreprise. Il ne s’agit pas de former des professionnels de la négociation mais de professionnaliser les pratiques du dialogue social.

Pour finir, un tel changement nécessite de la conviction, de la détermination, de la patience… et surtout du temps car il s’agit bien d’un changement culturel.

Paul-Henri Antonmattei - Avocat associé, Barthélémy Avocats

 

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