Par Gildas de Muizon, associé et directeur exécutif. Microeconomix
Les entreprises en position dominante doivent être particulièrement attentives aux risques anticoncurrentiels susceptibles d’être engendrés par leur politique commerciale et les grilles de remises qu’elles offrent à leurs clients.

La politique commerciale d'une entreprise et les remises qu'elle accorde à ses clients constituent des choix stratégiques ayant des impacts déterminants sur ses performances par rapport à ses concurrents. Mais pour les entreprises leaders sur leurs marchés, leurs légitimes objectifs commerciaux se heurtent aux contraintes qu'impose le droit de la concurrence aux entreprises en position dominante. Certaines grilles de remises peuvent ainsi emporter des risques d’effets d’éviction à l’encontre de concurrents. Il est dès lors indispensable de s'appuyer sur une expertise économique approfondie, afin d'acquérir une vision précise des effets potentiels des dispositifs mis en place ou envisagés et des risques juridiques encourus au regard du droit de la concurrence. Une telle approche permet aux entreprises d'identifier les marchés pertinents sur lesquels une autorité de concurrence pourrait considérer qu'elles détiennent une position dominante, d'auditer leurs pratiques commerciales et de proposer, le cas échéant, des évolutions permettant de s'assurer du respect des règles du droit de la concurrence sans pour autant remettre en cause leurs stratégies commerciales et leur compétitivité.

Identification des marchés à risque
L'identification d'une position dominante s'appuie sur des outils de l'analyse économique que les autorités de concurrence mobilisent de façon courante dans le cadre de procédures contentieuses ou en matière de contrôle des concentrations. À partir de la caractérisation du fonctionnement concurrentiel des marchés concernés et de l'exploitation des données disponibles, il s’agit de déterminer les délimitations des marchés pertinents concernés, afin d'estimer le niveau des parts de marché et d'examiner les sources de pression concurrentielle s'exerçant sur l'entreprise (e.g., concurrence potentielle de nouveaux entrants, contre-pouvoir des clients, etc.). Les conclusions de cette analyse permettent aux entreprises d’anticiper de façon fiable et robuste l'appréciation qui sera vraisemblablement portée par une autorité de concurrence sur leur position dans le jeu concurrentiel et d'identifier les marchés sur lesquels elles sont susceptibles de détenir une position dominante.

Audit des pratiques commerciales
L’audit des pratiques commerciales d’une entreprise nécessite la mobilisation d'outils informatiques originaux permettant d’exploiter efficacement les données clients des entreprises et de dresser rapidement un audit complet des conditions commerciales effectivement consenties. On observe bien souvent que les remises effectivement accordées aux clients s'écartent substantiellement des grilles de remises théoriques, au gré de l'historique des relations et des négociations entre les parties. L’examen des conditions standards ne suffit alors pas à apprécier objectivement les effets de la politique commerciale et les risques encourus. À partir de données (prix, quantités) sur les ventes réalisées client par client, la mobilisation de techniques quantitatives et économétriques permet d'identifier rigoureusement les déterminants principaux des taux de remise pratiqués et d'évaluer l'ampleur de leur dispersion. L'analyse quantitative est complétée par un examen minutieux des conditions précises d'octroi des remises, afin d'identifier les risques d'effets fidélisants ou de couplage (bundling et tying). On retiendra que les grilles de remises rétroactives (i.e., l’atteinte d’un certain seuil déclenche l’octroi d’une remise s’appliquant sur l’ensemble des unités achetés et non uniquement sur les unités dépassant le seuil), les remises conditionnées à un certain objectif de progression de chiffre d’affaires et les remises subordonnées à l’achat d’un autre produit sont celles qui sont les plus susceptibles de soulever des préoccupations de concurrence et qui doivent donc faire l’objet d’un examen approfondi lorsqu’elles sont envisagées par une entreprise susceptible de détenir une position dominante sur un marché.

Mise en œuvre des tests de coûts
Les autorités de concurrence évaluent la licéité au regard du droit de la concurrence des pratiques commerciales et des grilles de remises accordées aux clients en mettant en œuvre des tests de coûts. Il s’agit de comparer les prix pratiqués à des niveaux de référence permettant d'évaluer si un concurrent aussi efficace que l'entreprise dominante serait en mesure de la concurrencer, autrement dit de s’aligner sur le prix remisé sans encourir de perte. L’exercice est bien encadré par la jurisprudence et nécessite le calcul des seuils pertinents de concepts de coûts utilisés par les autorités de concurrence (coût évitable moyen, coût marginal moyen à long terme, etc.) tout en s’assurant de leur cohérence avec la comptabilité analytique interne de l'entreprise. La mise en œuvre des tests de coûts permet ensuite d'évaluer si une politique commerciale emporte certains risques d'éviction d'entreprises concurrentes, soit en raison du niveau des prix remisés (risque de prédation), soit en raison de la contrainte exercée par la structure des grilles de remises (risque d'effets fidélisants ou d'effets de couplage).

Élaboration de nouvelles grilles de remises
Lorsque certains risques d'effets anticoncurrentiels ont été identifiés, des solutions sont proposées pour l'élaboration de nouvelles grilles de remises. Il s’agit de solutions innovantes permettant de concilier sécurité juridique et attractivité commerciale. Les outils d'analyse quantitative sont mobilisés pour effectuer des simulations précises de l'impact financier des solutions envisagées et assurer une évolution harmonieuse des conditions commerciales tenant compte des spécificités de chaque client.

L'analyse économique fournit de nombreux outils qui sont utilement mobilisés dans l'audit des politiques commerciales et des grilles de remises. L'enjeu principal est l’identification des risques juridiques au regard du droit de la concurrence et la conception de solutions les limitant tout en préservant l’attractivité commerciale de l’entreprise. Il s’agit de s’assurer que les remises consenties par une entreprise dominante ne visent pas, sous couvert de proposer des prix plus bas à ses clients, à évincer des entreprises concurrentes qui bien qu’étant aussi efficaces que l’entreprise dominante se trouvent dans une situation asymétrique ne leur permettant pas de proposer des conditions tarifaires équivalentes.

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