États-Unis de Reagan, Chine, pays en manque d'enfant, forêt francilienne, villes qui votent RN. Les romans, essais et BD de notre sélection du mois vous font voyager dans des univers variés.
Livres. Les incontournables de février
Ronald Trump
Est-il stupide ou redoutablement intelligent ? En 1981, lorsque Ronald Reagan s’installe à la Maison-Blanche, les critiques fusent : il est trop vieux et n’est pas au niveau. Ce que montre avec humour cette BD qui met en scène un chef d’État amateur de siestes, de grasses matinées, rétif à la lecture, radoteur, habitué aux phrases lunaires, sous la coupe de conseillers dont l’attitude frise le mépris.
Mais aussi l’admiration. Car Ronald possède un flair politique hors du commun, un idéalisme, un sens de la repartie, un optimisme et une capacité de persuasion qui ont permis à la première puissance du monde de vivre des années que les Américains considèrent aujourd’hui comme bénies. Même si Donald et Ronald ont peu en commun, constatons que le mépris qu’ils suscitent n’empêche pas les victoires électorales.
À l’écoute de la Chine
Quand la Chine parle, publié aux Belles Lettres sous la direction de Gilles Guiheux et Lu Shi, fait la part belle à la langue en tant que reflet d’une société en mutation. À travers l’étude minutieuse de trentequatre néologismes, forgés tant par l’État-Parti que par la verve populaire, l’ouvrage éclaire les tensions entre contrôle idéologique et créativité linguistique. Chaque mot capture une réalité mouvante : mutations économiques, recompositions sociales, aspirations et désillusions d’un pays autant tourné vers le monde qu’il est replié sur ses singularités. Un livre qui offre une clé précieuse pour déchiffrer la parole de l’empire du Milieu, dont on lit l’évolution dans les discours comme dans les silences.
Quand la Chine parle, dirigé par Gilles Guiheux et Lu Shi, Les Belles Lettres, 350 pages, 23,50 euros
Un lieu chargé d’histoires
Dans son deuxième roman, le professeur de théorie de l’art Bruno Nassim Aboudrar choisit de raconter l’histoire d’une villa en lisière de forêt à La Celle-Saint-Cloud. Cette quasi biographie d’un lieu est une porte d’entrée dans l’intimité de plusieurs générations d’une famille d’exilés juifs hongrois installés en France.
La maison de campagne devient le théâtre de la vie qui passe, des naissances et des morts, des récits singuliers qui en disent long sur une époque. En particulier celle de l’Occupation, laquelle met à mal des destins, redessine les contours des propriétés, fait évoluer leurs habitants et leurs voisins. Le chant familier d’un oiseau, la lumière qui peine à entrer dans certaines pièces, la disparition d’objets…
Tous ces petits détails ne font pas l’Histoire, mais nous transportent dans les tourments du XXe siècle.
Les Week-Ends, de Bruno Nassim Aboudrar, Plon, 176 pages, 19 euros
Un vieux monde
En 2020, sortait l’un des essais les plus percutants de ces dernières années : Planète vide. Les auteurs, John Ibbitson et Darell Bricker, soutenaient la thèse suivante : la natalité est en train de s’effondrer au niveau mondial, y compris dans les pays en voie de développement. Les prédictions se sont avérées justes et la majorité des nations ont désormais un taux de natalité de moins de deux enfants par femme. C’est notamment le cas de pays naguère habitués aux familles nombreuses comme l’Iran, la Turquie ou encore le Mexique.
Mais qu’est-ce que cela implique ? Comment changer les choses ? D’une plume aussi légère que précise, l’économiste Maxime Sbaihi tâche de répondre à ces deux questions. Moins d’enfants, c’est moins d’innovation, plus de repli sur soi, de populisme… et encore moins d’enfants. Il semble qu’une fois la baisse des naissances enclenchées, un retour en arrière est quasi impossible. Chiffres à l’appui, l’auteur montre l’échec des politiques natalistes que ce soit en Russie, en Hongrie, en Chine ou en Italie. L’immigration massive ? Sans prendre en compte les facteurs politiques et sociaux, c’est une simple solution de court terme, le taux de natalité des immigrés tendant à rejoindre celui des autochtones. La robotisation ? Elle nécessite en réalité beaucoup de main d’œuvre humaine. En somme le monde vieillit inéluctablement. Plutôt que d’essayer de revenir en arrière, mieux vaut prendre dès maintenant les mesures politiques pour faire face aux conséquences économiques d’un quotidien où les têtes grisonnantes seront plus nombreuses que celles des enfants.
Les balançoires vides, le piège de la dénatalité, de Maxime Sbaihi, L’Observatoire, 240 pages, 22 euros,
Les mots après les photos
C’est devenu un sous-genre littéraire à part entière. Plusieurs fois par an, les journalistes parisiens s’éloignent du périphérique, les sociologues quittent leurs universités et partent à la découverte de cette fameuse France qui vote RN. Les ouvrages, prétendument neutres, suintent la moraline, le parti pris au point de donner l’impression que les auteurs découvrent l’eau chaude ou visitent un zoo.
Finalement, le meilleur livre sur le sujet vient d’un photographe : Vincent Jarrousseau. Voici des années qu’il arpente la France, s’installe dans des villes frontistes, dialogue, s’intègre, immortalise les petits et grands moments de la vie quotidienne. Pour la première fois, il met des mots sur les images. Emmené de Crépol à Denain en passant par Hayange ou Paris, le lecteur est happé dans une France où le vote RN est logique, cohérent assumé. Et où les solutions mises en place « de Paris » pour le contrer sont inopérantes.
Dans les âmes et les urnes, dix ans à la rencontre de la France qui vote RN, de Vincent Jarousseau, Les Arènes, 246 pages, 21 euros