Les émissions d’actualité et de politique ne peuvent exister sans les programmateurs. Qui sont ces profils peu connus ? Comment travaillent-ils ? Quel est leur quotidien ? Zoom sur un métier trop souvent dans l’ombre.
Programmateurs : chevilles ouvrières méconnues des émissions politiques
L’émission va bientôt commencer. Dans une salle, assis sur de confortables canapés, les invités attendent le signal d’entrée en plateau. Pour le moment, ils discutent, font connaissance ou se recroisent. C’est l’instant idéal pour échanger les potins politiques, prendre des nouvelles des uns et des autres, parler de l’actualité en off et muscler son réseau. Certains sont un peu stressés, d’autres ont le calme des vieilles troupes. Globalement, l’ambiance est détendue, les clivages politiques s'estompent. Journalistes de droite et de gauche plaisantent, députés de bords opposés se tutoient. Numéros de téléphone, cartes de visite et invitations à des déjeuners ou des verres s’échangent.
Un peu en retrait, une personne observe la scène le sourire aux lèvres. Après tout, c’est grâce à elle que tout le monde est là. Qui est-ce ? Le programmateur. Une fonction importante mais peu connue du grand public. Son rôle ? Trouver les invités qui peuplent les émissions de débats politiques sur les radios et les chaînes de télévision.
"Chasseurs de Pokémons"
Si certains participants sont des chroniqueurs réguliers et rémunérés, la plupart interviennent ponctuellement pour apporter leur expertise. Certes, il est toujours utile de se reposer sur des "valeurs sûres"; il est également indispensable de trouver des spécialistes de sujets pointus ou de nouvelles têtes pour éviter la lassitude des téléspectateurs. "Nous sommes un peu des chasseurs de Pokémons en quête d’espèces rares, précieuses et à développer", s’amuse Alicia Lévêque, en charge de la programmation de l’émission "L’info s’éclaire" sur France Info TV. Celle qui a aussi travaillé pour "C dans l’air" sur France 5 essaie de se reposer sur "un joli carnet de bal". Devenue programmatrice durant l’été, elle a été "jetée dans le grand bain sans réseau". Elle a donc fait un pari : trouver des profils pertinents mais peu connus des médias publics : "J’ai chassé sur les chaînes concurrentes, LinkedIn, Instagram, X pour dénicher des pépites peu présentes sur le service public." Une stratégie qui a donné une bouffée d’air frais aux plateaux et permis de réaliser de belles audiences.
"Je chasse sur LinkedIn, Instagram, X, les chaînes concurrentes pour dénicher des pépites peu présentes sur le service public"
Antony Bosese-Kama, programmateur sur CNews, n’utilise pas la métaphore des Pokémons mais plutôt le champ lexical des insectes ou des extraterrestres, lui qui se fait fort de "déployer ses antennes partout" pour composer ses plateaux. Adepte des réseaux sociaux, il est également un lecteur compulsif, ce qui l’aide à trouver des profils "pertinents qui peuvent passer sous les radars".
La quête de pluralisme…
Les programmateurs sont évidemment soumis à certains impératifs dont fait partie l’exigence de pluralisme. Pas toujours simple lorsque l’on représente CNews. "La chaîne ne laisse personne indifférent", euphémise le trentenaire. "Certains nous reprochent notre manque de diversité idéologique, mais comment faire lorsque des invités refusent de venir chez nous par posture ou décommandent au dernier moment ?", questionne le trentenaire qui le reconnaît : "Parfois on galère, même si on s’améliore."
Pour séduire les plus circonspects, Anthony Bosese-Kama dispose de bons arguments : CNews est la première chaîne d’information de France, c’est un bon moyen d’être entendu, tous les téléspectateurs ne sont pas politisés. "Ça commence à porter. Les Insoumis et les communistes passent souvent à l’antenne, le PS ne nous boycotte pas." Seuls les écologistes restent rétifs.
Les femmes sont plus réticentes que les hommes à répondre aux invitations, "elles se sentent moins légitimes, moins toutologues, craignent de manquer de répartie"
… et de parité
Autre exigence : la parité. Longtemps critiqués pour leur aspect masculin, les plateaux de CNews se féminisent peu à peu, quitte à décommander brutalement des habitués pour faire de la place aux femmes. Sur le service public, la parité est une obligation. "C’est la règle, au moins deux invitées par plateau", souligne Alicia Lévêque.
Problème, d’après les programmateurs, les femmes sont plus réticentes que les hommes à répondre aux invitations. "Elles se sentent moins légitimes, moins toutologues, ont peur de manquer de repartie", constate Alicia Lévêque qui s’attache à "faire preuve de psychologie, à rassurer en affirmant que le but n’est pas de piéger et qu’une heure devant un micro n’a rien à voir avec un combat". Mais les doutes demeurent. Conséquence, les "bonnes clientes" sont sur-sollicitées.
Pression constante
Les deux témoins interrogés sont sur la même longueur d’onde, leur métier est harassant. "Le quotidien est un tourbillon permanent, estime la programmatrice de France Info TV, les sujets sont connus la veille pour le lendemain, ce qui laisse peu de temps de réflexion et un après-midi pour agir." Son confrère de CNews parle du rocher de Sisyphe : "À peine l’émission commencée, il faut déjà penser à celle du lendemain et le sentiment du devoir accompli est remplacé par l’urgence de repartir au combat."
"Les sujets sont connus la veille pour le lendemain, ce qui laisse peu de temps de réflexion et un après-midi pour agir"
Des gâteaux pour Pygmalion
Malgré le stress et la fatigue, les programmateurs sont souvent passionnés par leur profession dans laquelle ils trouvent du sens. Tous deux apprécient de voir des "perles" monter en puissance et en notoriété. "C’est tellement gratifiant de trouver et faire connaître un invité qui crève l’écran, que le public ne connaît pas et qui éclot par la suite en enchaînant les émissions sur plusieurs chaînes", s’enthousiasme Anthony Bosese-Kama. Alicia Lévêque est du même avis et ne cache pas son plaisir d’avoir "une petite écurie qui monte, brille, se fait démarcher. Certains sont même devenus des copains".
"C'est tellement gratifiant de trouver et faire connaître un invité qui crève l'écran, que le public ne connaît pas et qui éclot par la suite"
Il faut dire que, globalement, les invités sont des "crèmes", pour reprendre le terme d’Alicia Lévêque. Contrairement à certaines idées reçues, les divas, les impolis prenant les programmateurs pour des esclaves, les séducteurs compulsifs sont une infime minorité. "J’ai eu quelques tentatives de drague, une personne vraiment odieuse mais c’est anecdotique."
Idem pour Anthony Bosese-Kama qui peut compter sur la ligne CNews en la matière : "Tu es incorrect avec les programmateurs ou le personnel d’accueil, tu ne viens plus." Les comportements délicats les plus fréquents à gérer ? Pour le collaborateur de CNews, il s’agit des "personnes qui nous appellent en continu pour passer n’importe quand sur n’importe quoi". Sa consœur évoque les anxieux qui contactent en permanence pour des sujets allant du choix de la tenue à la coupe de cheveux en passant par les horaires de taxi.
Pour la majorité des invités, les programmateurs sont des "pygmalions", des tremplins pour la carrière, des apporteurs de visibilité. Parfois, des liens d’amitié se nouent, notamment avec les journalistes puisque la majorité des programmateurs sont (c’est peu connu) journalistes.
Lucas Jakubowicz