Ancienne avocate désormais Ministre déléguée en charge de la Coopération internationale et de la Francophonie de la République Démocratique du Congo, Bestine Kazadi revient sur son parcours et sur une RDC qui s’ouvre au monde et veut attirer les investisseurs.

Pourriez-vous revenir un peu sur votre parcours ? Quelle était votre vie avant de devenir ministre ?

Mon parcours s’est articulé autour de trois piliers importants :

D’abord, mon implication dans la société civile, qui a profondément marqué ma vie. Je suis devenue avocate après avoir été influencée à travers des livres et des rencontres avec des personnalités, des situations laissant des traces dans votre vie… Gisèle Halimi, une avocate, féministe engagée sur la question des Droits des femmes ; Jacques Vergès, avocat clivant, défenseur des causes perdues dont les propos résonnent encore dans ma tête : « Je suis cet homme qui salue toujours le malheur. Comme ma profession m'en fournit l'occasion, il n'en est pas, pour moi, de plus belle » ; Winnie Mandela, « ce soldat d’Afrique », une femme déterminée et courageuse, ayant consacré sa vie à la défense de l’égalité des races. Des profils différents, mais combien inspirants. Ainsi, devenir avocate n’a plus été qu’une évidence.

Je suis rapidement devenue propriétaire de mon cabinet d’avocats en 2003, me spécialisant dans le droit des affaires, le droit des sociétés tout en construisant autour de mon étude, des plaidoyers au service de la société civile concernant la place des femmes dans les processus décisionnels. En effet, sur 100 millions d’habitants en RDC, les femmes représentent 63 % de la population et 60 % de l’économie informelle, constituant un levier important dans la croissance et le pouvoir d’achat. Néanmoins, elles n’ont que peu d’influence sur les décisions sociétales. Le plafond de verre est réel, et il faut également lutter contre les us et coutumes dégradantes.

Au début des années 2000, j’ai collaboré, au travers de mon ASBL, avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, sur la vulgarisation des instruments juridiques du Code pénal, principalement, l’infraction du viol et tentative du viol, considéré comme une véritable arme de guerre. Dans les conflits armés, les femmes sont une cible et le viol une prison, pour la victime ainsi que pour sa famille et sa communauté. Également, les enfants issus de ces viols, surnommés « enfants serpents », sont lourdement marginalisés. J’ai été impressionnée par ces femmes qui, malgré les atrocités qu’elles subissaient, refusaient de céder à la haine, réclamant la paix, la paix, vecteur de développement économique et sociale. À la suite de cette expérience humaine, j’ai voulu laisser des empreintes, des témoignages afin que ces femmes ne soient pas reléguées en un oubli criminel. J’ai écrit « L’Hymne international des femmes pour la Paix » pour la troisième marche mondiale de la paix en 2010 à Bukavu, surnommée « capitale mondiale du viol », et publié un recueil de poèmes intitulé « Infi(r)niment Femme ».

Le second pilier a été mon expérience dans le monde du football, monde exclusivement masculin.

Cela a été une expérience atypique et enrichissante, car élue de 2020 à 2023 Présidente du grand club de football - l’AS Vita Club - et devenant la première femme en Afrique à gérer un grand club de football, de dimension nationale (comprenant cinq autres sections sportives : judo, boxe, handball, volleyball et basketball). Le football est une affaire de famille, car mon père, ancien joueur de football professionnel, a toujours été très impliqué dans ce Club en sa qualité de président du Conseil suprême. Lors de son décès en 2017, et avec la démission du précédent président en 2019, prendre le relai du club m’est apparu comme une priorité de vie. C’était une vraie fierté d’avoir été la première présidente d’un club de football professionnel en RDC et prouvé que le fameux plafond de verre pouvait être brisé par volonté et détermination.

Enfin, le troisième pilier réside dans mon implication et mon engagement citoyen, qui ont traversé toutes les étapes de ma vie et se concrétisent aujourd’hui dans un poste ministériel. Mes actions et mes convictions se traduisent désormais par des initiatives portées au plus haut niveau de l’État.

Revenons sur votre casquette de ministre déléguée en charge de la coopération internationale et de la francophonie. Quelles sont vos priorités à ce poste ?

Notre priorité est de mobiliser des ressources extérieures pour répondre aux besoins des ministères sectoriels servant les six engagements du Président de la République sous l’application du programme gouvernemental. Il faut renforcer les échanges avec des partenaires, consolider des réseautages et attirer des investissements dans les domaines du développement durable pour construire une RDC au bénéfice de nos communautés.

Nous travaillons, d’une part, avec la cartographie des besoins des Ministères sectoriels dessinée par le Ministère du Plan et Coordination de l’aide au développement et, d’autre part, nous avons créé le « Portail Coop RDC » comme une porte d’entrée simplifiée, une meilleure mise en relation de nos partenaires, de nos bailleurs et agences de développement afin d’orienter les ressources vers les besoins de nos populations. D’une manière générale, les investisseurs ont besoin d’être rassurés et guidés. Dans cette optique, l’implication de l’État par le truchement de mon secteur de Coopération internationale est la preuve de notre crédibilité et notre sérieux.

Je proviens du secteur privé, de l’univers des cabinets d’avocats d’affaires, où l’argent des privés est mobile et proactif. C’est pour cette raison, que nous accompagnons le monde des affaires congolais au travers de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), acteurs économiques locaux pour rencontrer directement les investisseurs étrangers. Nous l’avons fait à Paris, à Londres et bientôt à Abidjan et à Tokyo.

Du côté de mon portefeuille francophonie, il faut savoir que l’espace francophone diplomatique et économique est incontournable, avec ses 93 pays répartis sur cinq continents, totalisant 16 % du PIB mondial et 20 % des échanges commerciaux.  La RDC, pays francophone le plus peuplé, est donc légitime pour occuper une place centrale et stratégique au sein de cet organisme international de la Francophonie.

Quels sont les besoins de la RDC ?

Les besoins de la RDC sont nombreux. Ils sont d’ordre énergétique avec un besoin d’accès à l’énergie. Il existe aussi un réel besoin d’autosuffisance alimentaire.

En tant que marché régional et en raison de sa position géographique enclavée, la RDC, avec ses 9 pays voisins et son unique accès à l’extérieur du territoire national par un tronçon de 100 km menant à l’océan Atlantique, dépend de l’interconnectivité par des corridors de passage. Ces derniers doivent devenir des corridors de développement, essentiels pour soutenir une croissance économique durable. Avec ses forêts, ses tourbières du Bassin du Congo, ses 80 millions d’hectares de terres arables en réserve devant être exploitée pour combattre l’insécurité alimentaire, ses ressources minières stratégiques pour l’exportation doivent être surtout un accélérateur pour une économie de transformation au bénéfice de la population et d’une industrialisation nationale.

Le sous-sol doit pouvoir développer le sol.

La RDC a un véritable potentiel pouvant répondre aux enjeux mondiaux économiques et environnementaux, car nos gisements de cobalt (63% de la production mondiale), de cuivre, de zinc ou d’or sont incontournables pour porter la transition écologique mondiale et transformer ce potentiel en une réalité économique au bénéfice de la population congolaise. Il faut créer une chaîne de valeur locale pour pouvoir fixer nos propres prix. La COP 29 de Bakou a prouvé qu’il fallait construire une chaîne de solidarité entre les pays du Nord et les pays du Sud. Nos besoins et nos conditions de travail doivent être pris en compte et les ressources indispensables que nous possédons doivent être utilisées comme un levier de développement pour les pays du Sud. Car sans le Sud, pas de transition énergétique !

Néanmoins, avant de parler de transition énergétique, il faut parler d’accès à l’énergie. En RDC, seulement 21 % des ménages ont accès à l’électricité. Nous devons tripler ce chiffre pour 2030. De nombreux projets sont en examen dont le plus important est le projet du barrage Inga 3 évalué à 14 milliards de dollars, montant que le secteur public ne peut financer sans l’appui des investissements du secteur privé. Il va falloir négocier des partenariats public-privé (PPP) à travers des contrats de concession d’une durée de 30 ans et des prêts concessionnels de 0,5 % à 0,75 %.

C’est un changement profond de paradigme pour la RDC.

En plus, notre pays possède également un capital humain important, 68% d’une population de jeunes de moins de 30 ans, constituant une main d’œuvre dynamique et ambitieuse. Par conséquent, notre priorité doit être axée sur la diversification économique et la transformation des ressources naturelles à travers une chaine de valeurs locales servant à la création d’emplois et à l’augmentation du pouvoir d’achat des citoyens.

Au-delà du secteur économique, la coopération internationale doit se fait aussi dans les secteurs variés comme la santé, les technologies de l’information, la recherche scientifique et tous les autres domaines de la vie sociale. De nombreuses expériences sont mises en place, mais nécessitent de nombreux financements pour les réaliser.

Propos recueillis par François Arias

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