La multiplication des risques climatiques oblige les assureurs à repenser leurs politiques. Pour le président d’AXA, les partenariats public-privé sont appelés à se multiplier afin de rendre les coûts absorbables.

Décideurs. Comment les risques environnementaux pèsent-ils sur les assureurs ? Quelle est la stratégie d’AXA pour les limiter ?

Antoine Gosset-Grainville. Le dérèglement climatique est désormais indéniablement un enjeu existentiel sans équivalent dans notre Histoire. Il s’impose à tous, et aux assureurs en particulier. Il nous oblige à nous réinventer : notre façon de voir notre métier, nos priorités, nos modèles de développement… La gestion des risques, c’est le métier des assureurs, et la protection face au risque climatique est au coeur de notre stratégie. AXA se positionne comme un partenaire de la transition de ses clients à travers ses offres d’assurance. Nous les accompagnons dans leurs stratégies de prévention et d’adaptation aux conséquences du réchauffement climatique.

Comment ?

Nous avons, par exemple, mis en place une garantie verte pour nos clients, c’est-à-dire une aide à la rénovation énergétique après un sinistre. Nous avons aussi un rôle de conseil et de formation en auditant les installations d’une entreprise ou en proposant des formations pour l’adaptation, à travers la AXA Climate School. Mais nous agissons aussi face au risque climatique en tant qu’investisseur, avec un important effort financier : 30 milliards d’euros ont été fléchés vers des investissements dans la transition entre 2019 et 2023 et nous avons un objectif de 5 milliards par an entre 2024 et 2026. Enfin, AXA adapte ses propres opérations, avec un objectif de baisse de notre empreinte carbone de 50 % d’ici à 2030.

Certaines ONG estiment qu’AXA et d’autres assureurs n’arrêtent pas assez rapidement d’investir dans certains projets polluants comme dans le secteur du pétrole et du gaz. Que leur répondez-vous ?

Je comprends l’impatience. Nous avons pris des engagements forts en ne fournissant plus de polices d’assurance pour des nouveaux projets pétroliers depuis le 1er septembre 2024 ou pour des nouveaux projets gaziers à partir du 1er septembre 2025. Nos investissements dans les énergies fossiles sont devenus totalement
marginaux puisqu’ils représentent à peine 1,5 % de notre portefeuille.

"Nos investissements dans les énergies fossiles représentent à peine 1,5 % de notre portefeuille"

Pourquoi AXA a-t-il quitté l’Alliance des assureurs pour le climat (NZIA) en 2023 ?

L’Alliance avait été mise en place pour permettre aux assureurs de définir des standards communs. Une fois son travail fait, nous avons préféré en sortir, comme d’autres assureurs et réassureurs, compte tenu des accusations d’entente portées contre l’association et des risques de litige qu’elles entraînaient. Cette sortie ne nous a toutefois pas conduits à réduire nos actions climatiques, au contraire. Nous nous appuyons sur les référentiels mis en oeuvre par l’Alliance pour déployer notre stratégie.

Comment percevez-vous la stratégie européenne en matière de lutte contre le réchauffement climatique ?

L’Europe a une stratégie climatique très ambitieuse. Elle a raison. Mais il ne faudrait pas qu’elle soit la seule à avoir cette audace. Il serait dommage qu’en étant les meilleurs les élèves, nous soyons fragilisés par rapport à nos concurrents, qui ne font pas, eux, face aux mêmes contraintes. L’Europe a mis en place des outils pour mesurer les stratégies climat des entreprises : la directive CSRD par exemple. C’est une bonne chose mais le système est très sophistiqué, peut-être trop. Et sa mise en oeuvre est très lourde pour les entreprises. Il faut que les décideurs européens fassent preuve de pragmatisme, de souplesse et de bon sens.

Comment AXA considère-t-il son rôle vis-à-vis des pays émergents sur la question climatique ?

Nous n’avons pas de leçon à leur donner, d’autant que leurs populations sont les plus vulnérables face au changement climatique. Nous devons justement agir concrètement pour les aider à répondre aux défis climatiques qui pourraient les impacter plus fortement que nous. Notre politique se déploie à travers l’Insurance Development Forum, dans le cadre duquel nous avons été à l’origine de la création d’un fonds alimenté par tous les grands assureurs pour investir dans des infrastructures vertes des pays émergents. À travers notre activité assurantielle, nous sommes également présents dans une quinzaine de pays émergents pour lesquels nous déployons des politiques d’assurance inclusives pour mieux protéger les populations.

"Il faut que les décideurs européens fassent preuve de pragmatisme, de souplesse et de bon sens"

Il y a dix ans, Henri de Castries estimait qu’un monde à +4 degrés ne serait pas assurable. Quelle est votre position aujourd’hui ?

Nous avons une conviction très forte. Nous considérons que le risque climatique doit rester assurable, mais à certaines conditions. Jusqu’en 2020, une année sur dix, les dégâts provoqués par les catastrophes naturelles excédaient les 100 milliards de dollars au niveau global. Depuis 2020, on dépasse ce seuil chaque année. Il faut à la fois contenir cette explosion des coûts à travers un accompagnement à la prévention et inventer de nouvelles solutions en associant les assureurs et l’État.

Concrètement, quelles formes cela peut prendre ?

Pour permettre cette couverture, il faut une action déterminée en matière de prévention et d’adaptation, pour anticiper, limiter les impacts et donc faciliter l’assurabilité. Par exemple, pour deux ouragans de même intensité, Katrina et Ida qui ont frappé la Louisiane à seize ans d’intervalle, il y a eu 4 fois moins de dégâts lors du second car un effort de prévention et d’adaptation significatif avait été fait. Ensuite, il convient d’inventer de nouveaux modèles d’assurance. Je pense au partenariat public-privé. En France, nous avons le régime très avant-gardiste des catastrophes naturelles qui permet à la fois de protéger le principe de mutualisation des risques face à l’augmentation des coûts liés aux catastrophes naturelles et de bénéficier de la garantie de l’État comme réassureur. Plusieurs réflexions sont en cours dans d’autres pays européens notamment pour la mise en place de régimes analogues.

Est-il possible de demander davantage à l’État quand on voit à quel déficit public il doit faire face actuellement ?

Le régime des catastrophes naturelles est assez peu coûteux. Le fonds public est alimenté par une cotisation additionnelle prévue dans les contrats d’assurance. L’État donne une garantie à ce fonds. Cela permet d’améliorer fortement le niveau de couverture des assurés sans peser sur les dépenses publiques.

L’élection de Donald Trump vous inquiète-t-elle quant à la position que pourraient prendre les États-Unis sur les sujets climatiques ?

Avant même l’élection de Donald Trump, il y avait un début de découplage sur le niveau de sensibilité du pays à la contrainte climatique. Est-ce que cela va s’aggraver ? Il est trop tôt pour le dire. Je crois beaucoup au dialogue, aux instances de gouvernance internationales, à des moments comme les COP qui permettent de faire converger les politiques et les priorités des différentes régions du monde.

Discutez-vous de ces sujets avec les autres grands assureurs ?

Dans le monde de l’assurance, les Européens, et AXA en particulier, sont à la pointe du combat. Les Japonais sont aussi très alignés sur nos approches. L’Europe a historiquement et traditionnellement un secteur de l’assurance fort et solide. Le fait que l’Europe soit motrice permet donc de faire bouger les choses.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

© Franck Juéry_2022-2027

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