La patronne de Momentum, groupe spécialiste des solutions de manutention pour les professionnels qui réunit les entreprises FIMM, Manuvit et Whiptruck, a pris la suite de son père après son décès soudain il y a dix ans. Depuis, le chiffre d’affaires est passé de 10 à 15 millions d’euros.
Julia Cattin (Groupe Momentum) : "Dans une usine on se rend compte de beaucoup de réalités"
Décideurs. Vous avez repris le groupe familial au décès de votre père en 2014. Cela a-t-il été une évidence ?
Julia Cattin. Je n’y étais pas préparée. Mon père n’avait pas envisagé de transmettre ses entreprises à ses enfants. Gérer les affaires familiales afin de se montrer utile dans cette période de chaos absolu fut une évidence pour moi. Time, une entreprise du groupe Momentum, portait préjudice à l’ensemble. Un mandataire judiciaire avait été nommé. Je suis rentrée de Milan où j’ai fait des études en économie et où j’envisageais de postuler dans différentes organisations internationales. Il ne s’agissait pas d’avoir une vision de long terme pour Momentum, mais de vendre l’entreprise en difficulté du groupe. Ce qui a été fait en un an et demi. C’est alors qu’il m’a paru logique de continuer. Mon père ne parlait pas de son travail à la maison, je n’étais allée qu’une fois visiter l’une de ses usines, donc je n’ai pas baigné dans le monde de l’industrie. En revanche, je suis issue d’une famille d’entrepreneurs donc ma mission avait quelque chose de familier.
Étiez-vous attirée par le secteur industriel ?
J’ai besoin de me sentir utile dans ce que je fais. Les métiers industriels m’ont attirée dans le sens où je voyais que j’avais une place à prendre dans une période charnière. Je trouve aussi formidable de concevoir des produits et de les fabriquer. Par ailleurs, dans une usine on se rend compte de beaucoup de réalités. J’ai eu la chance de grandir dans plusieurs grandes villes, mais il me manquait une connaissance des territoires dans lesquels les usines se trouvent aujourd’hui.
Comment avez-vous abordé la vente de Time à Rossignol ?
C’était une vente à contre-cœur car mon père avait mis beaucoup d’argent et d’énergie dans ce projet. S’il était plutôt en forme, les difficultés financières lui pesaient. Time était à la fois quelque chose qu’il avait créé et qu’il n’aurait jamais pu vendre mais aussi ce qui avait peut-être précipité sa fin. La cession s’imposait. Elle a permis de rembourser de moitié les créanciers à hauteur de 5 millions d’euros et ils ont abandonné 50 % de la dette. La famille n’a récupéré qu’un euro symbolique.
Quelles autres décisions avez-vous prises ?
Une fois le groupe désendetté, j’ai consolidé l’équipe dirigeante en place. Pour le plus long terme, j’ai réfléchi à travailler davantage la marque. On peut croiser régulièrement des diables dans la rue et pourtant je n’étais pas capable de savoir s’ils provenaient ou non de nos usines. Nous avons oeuvré pour que nos produits soient plus reconnaissables. La marque rassemble aussi le système de valeurs d’une entreprise. Quand on achète un produit, on achète la façon dont il a été fabriqué.
"Quand on achète un produit, on achète la façon dont il a été fabriqué"
Avez-vous senti qu’être une jeune femme dans le monde industriel pouvait poser un problème ?
Pas du tout. Dans la situation d’urgence que nous connaissions, j’étais juste une personne présente pour honorer mon père et faire en sorte que tout ne s’écroule pas. J’ai agi de manière transparente avec l’équipe de direction. Je n’aurais peut-être pas repris l’entreprise dans un autre contexte à moins que mon père ne me l’ait demandé, car je déteste dire non à un défi. De moi-même, je ne me serais pas montrée intéressée. Est-ce une question de confiance en soi ou est-ce dû au fait qu’il soit difficile de se projeter dans le monde de la manutention quand on est une femme ? Peut-être un peu des deux. La vraie question, c’est de savoir comment on donne confiance aux jeunes femmes pour qu’elles puissent se convaincre qu’elles peuvent le faire.
Après dix ans à la tête du groupe, votre rôle est-il toujours le même ?
Oui. Même si je me suis professionnalisée, mon rôle n’a pas changé. Il consiste à rassurer et à être une sorte de gardienne du temple. C’est aussi ce que les gens recherchent chez moi. Avec les crises que l’on traverse, le fait que l’entreprise soit solide sécurise. Doucement mais sûrement, nous innovons et transformons le groupe, par exemple en investissant dans des machines modernes qui nous font revoir nos process et produits. Nous mettons en avant les personnes qui les fabriquent. Le succès du groupe est possible grâce aux équipes. Je ne pourrais jamais délocaliser, je préférerais fermer boutique. La façon de faire est pour moi plus importante que la finalité.
Propos recueillis par Olivia Vignaud