Polytechnicien, ingénieur du Corps des Mines et fondateur du groupe de private equity HLD qu’il a lancé en 2010 avec des actionnaires de premier plan, Jean-Bernard Lafonta est un acteur majeur du capital-investissement français. Il en évoque aujourd’hui les défis, les perspectives et nous détaille les ambitions d’HLD Europe.
Jean-Bernard Lafonta (Groupe HLD) "La diversification de nos participations est un vecteur de performance"
La situation économique de la France est, à ce jour, plus qu’incertaine avec des débats budgétaires qui voient chaque camp tenter d’imposer ses vues. Comment le monde du capital-investissement perçoit la situation actuelle ?
L’incertitude est présente depuis déjà près de deux ans, après de très belles années pour l’industrie du private equity. En 2023, sous la pression de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, la frilosité a très logiquement augmenté et s’est traduite par une baisse du nombre de deals en nombre (environ 35 % et en valeur plus de 60 %). Le contexte macroéconomique a rendu l’investissement plus complexe et moins attrayant ; l’argent plus cher et moins disponible.
Malgré tout, ne nions pas la remarquable résilience de la filière. Le secteur est resté capable de continuer à offrir des rendements très supérieurs aux autres classes d’actifs. L’industrie du private equity a réussi à s’adapter, en changeant de prisme et en adoptant une démarche de sélection plus rigoureuse de ses investissements, plus ancrée dans la réalité du marché et plus orientée vers les entreprises à la "croissance rentable". Tous les signaux ne sont pas donc au rouge. Investir et accompagner nos participations dans l’incertitude économique fait partie de notre métier et nous savons composer avec.
La situation en France est aujourd’hui difficile. Les récents débats sur le budget renforcent les incertitudes. Un décrochage de la France est à craindre si la politique industrielle et fiscale devient moins favorable aux entreprises et aux investissements et aggrave le repli généralisé des capitaux vers d’autres pays, notamment les États-Unis, compte tenu de l’attractivité du territoire américain. Les signaux envoyés au marché par les politiques et les gouvernements ont un rôle essentiel pour décider un fonds de private equity à investir.
Vous avez fortement diversifié les secteurs d’activité dans lesquels vous investissez : industrie, mode, distribution, assurance et, dernièrement, les maisons de retraite. Percevez-vous les fonds d’investissement de private equity comme les nouveaux conglomérats ?
C’est une analogie trop souvent évoquée, d’autant que les grands conglomérats industriels classiques disparaissent de plus en plus. On constate d’ailleurs une spécialisation accrue des grands groupes industriels. La taille de certains mastodontes du secteur peut en effet faire penser au modèle du conglomérat. Mais, outre le fait qu’un fonds de private equity, a généralement vocation à sortir de sa participation à un horizon habituel de moins de 10 ans, parfois plus s’il n’y a pas de contrainte de temps comme chez HLD, le principal point de divergence réside pour moi dans le modèle de croissance. Les conglomérats classiques se positionnent sur des entreprises déjà fermement installées et ancrées dans leur marché. Les acteurs du private equity se concentrent sur des sociétés qui ont un fort potentiel de croissance et qui sont actives dans des secteurs stratégiques, en maturation et en transformation, au sein desquels beaucoup reste à faire. En outre, notre fonctionnement est différent : il est décentralisé.
Nos participations restent autonomes dans leurs prises de décision, même si nous les accompagnons dans leur stratégie de long-terme. Je précise aussi que si nous avons des participations dans des secteurs aussi variés que la défense, l’industrie, la mode ou encore les services, ce n’est pas pour recréer et dupliquer d’anciens modèles. C’est d’abord parce que la diversification de nos participations est un vecteur de performance et de résilience du Groupe face aux crises. Cette réalité s’est confirmée ces dernières années.
Vous rassemblez aujourd’hui une cinquantaine de familles au sein de votre groupe d’investissement, HLD Europe, dont certains très grands noms du monde des affaires et de l’industrie. Comment arrivez-vous à les convaincre de se joindre à vous ?
Je dirais qu’il y’a deux niveaux. Le private equity est, à bien des égards, une aventure humaine collective. La confiance interpersonnelle entre ces grands investisseurs et les dirigeants du groupe HLD est essentielle. J’entends par là la certitude qu’ils ont dans la capacité de nos équipes à mener de belles opérations, à accompagner le développement opérationnel de nos participations avec une présence constante auprès des directions générales ou encore à avoir un conseil éclairé sur leurs décisions stratégiques. Preuve de cette confiance : en mars 2020, en pleine crise sanitaire, nous avons levé plus de 400 millions d’euros supplémentaires de capital permanent auprès de nos actionnaires, qui ont répondu présents.
L’autre niveau est évidemment et surtout dans le contexte actuel, notre performance. Et je crois pouvoir dire que le groupe est aujourd’hui construit sur des fondations solides. Nous gérons 4 milliards d’euros d’actifs. Nous privilégions la performance liée à la croissance à tout effet de levier. En 15 ans, notre développement est d’abord le fruit de notre performance, l’une des meilleures du secteur, car nous pouvons faire le choix, avec du capital permanent, de rester plus longtemps dans les sociétés à fort potentiel.
Dans la période de l’après-crise sanitaire, marquée par une hausse des taux d’intérêt, un resserrement des investissements et un secteur du Private Equity à l’arrêt, vous avez mené plusieurs actions d’ampleur, comme l’entrée au capital de Clariane. Comment avez-vous fait ?
Tout simplement car notre santé financière nous le permet ! Notre faible ratio d’endettement et notre capacité à investir principalement sur fonds propres ont été des atouts précieux pour nous dans cette période troublée. Ils nous ont permis de poursuivre les opérations. Elles se sont révélées payantes. Clariane confirme son redressement opérationnel et une croissance de son chiffre d’affaires sur tous ses segments d’activité. Exosens, entreprise de haute-technologie, dont nous avons accompagné l’introduction en bourse, poursuit des opérations de croissance externe et affiche une capitalisation boursière bien supérieure à notre investissement initial.
Vous avez des bureaux en Europe, plus précisément au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Italie, en France et en Suisse. En quoi cette implantation européenne est un atout pour HLD ?
Notre horizon est résolument européen et nous avons très rapidement fait le choix d’être présent dans plusieurs pays. Disposer de bureaux dans différentes géographies nous permet de bénéficier d’une connaissance approfondie des marchés nationaux, d’être au plus près de la réalité du terrain et de pouvoir identifier, au bon moment, des opportunités d’investissements. Je pense en particulier à l’Italie où nous sommes présents depuis 2017, et qui est un marché intéressant avec un tissu dense d’entreprises à fort potentiel de croissance.