Quelques objets littéraires et journalistiques qui ont retenu l'attention de la rédaction de Décideurs RH en janvier 2025.
Les lectures de la rédaction RH
Je travaille donc je suis ?
Dans Écouter le travail vivant, dirigé par Christophe Dejours et coordonné par Gabriel Perez, la psychodynamique du travail s’érige en grille de lecture clinique et philosophique du rapport de l’individu à son labeur. À travers une mosaïque de récits et d’observations, l’ouvrage révèle comment le travail façonne les subjectivités, exposant à la fois la souffrance et les stratégies de défense qu’elle engendre. Mais au-delà de cette conflictualité intérieure, c’est la place du clinicien qui se redéfinit. Son écoute, loin d’être passive, devient une plongée dans les résonances du travail sur l’humain, où chaque tâche, chaque effort laisse une trace sur l’identité du sujet. Dans ce dédale où se croisent sublimation, aliénation et quête de sens, l’ouvrage esquisse un portrait du travail comme espace de construction ou de possible destruction. Le travail, loin d’être une simple nécessité économique, y apparaît aussi comme un lieu où l’être humain se façonne et se confronte à lui-même.
Écouter le travail vivant, sous la direction de Christophe Dejours, Les Éditions de l’Atelier, 2024, 160 pages, 20 euros.
Travailleur en son pays
Dans Les valeurs du travail, Olivier Galland livre une réflexion approfondie sur les représentations contemporaines du travail, s’appuyant sur plusieurs décennies d’enquêtes menées dans les sociétés occidentales. À rebours des discours alarmistes sur une prétendue érosion de l’éthique laborieuse, il met en évidence une remarquable permanence des attentes à l’égard du monde professionnel, suggérant que les mutations économiques et les crises récentes n’ont pas altéré en profondeur son statut dans l’imaginaire collectif. Toutefois, l’auteur souligne l’existence de clivages nationaux marqués : si certaines sociétés continuent d’ériger le travail en valeur centrale, perçu tantôt comme une vocation, tantôt comme un impératif social, d’autres lui confèrent une dimension plus instrumentale, subordonnée aux aspirations personnelles. Galland démontre que ces divergences ne sauraient être pleinement expliquées par les seules conditions d’exercice ou les trajectoires individuelles, mais relèvent avant tout de ce qu’il qualifie d’“effet pays”– un ancrage culturel profond structurant le rapport au travail, bien au-delà des contingences immédiates. L’approche des dynamiques à l’œuvre qui s’articule dans l’ouvrage se veut nuancée, afin de mieux saisir la diversité des représentations selon les contextes nationaux.
Les valeurs du travail, Olivier Galland, Presses de Sciences Po, 2024, 152 pages, 9 euros.
Leurs enfants et eux
Deux ans après la parution de Vol au-dessus d’un nid de coucou en 1962, le super-héros de la contre-culture américaine Ken Kesey écrivait Et quelquefois, j’ai comme une grande idée. À première vue, son sujet n’est pas très emballant : plus de 800 pages sur une famille de bûcherons de l’Oregon qui bravent l’autorité d’un syndicat. Mais ce livre est un monument de la littérature américaine, un roman à l’ambition folle et démesurée, une réflexion sur la nature conquérante, les rapports humains, le travail, la famille, la vengeance, la littérature. Un chef-d’œuvre méconnu ressuscité par la maison d’édition Monsieur Toussaint Louverture. Mais attention, c’est aussi une lecture exigeante, une épreuve de force dont on ne sort pas indemne. L’éditeur nous avertit : “ne vous laissez pas décourager, prenez le temps, remettez à plus tard si besoin, mais n’abandonnez pas, c’est l’un des plus grands livres qu’il nous ait été donné de lire.” Alors, cap ou pas cap ?
Et quelquefois, j’ai comme une grande idée, de Ken Kesey, traduit de l’anglais par Antoine Cazé, Monsieur Toussaint Louverture, 2015, 896 pages, 14,50 euros.
Cem Algul et Christian Chevassus