PS contre LFI. Derrière des alliances électorales, la guerre des gauches bat son plein et les couteaux sont affûtés. Quels sont les atouts de la social-démocratie ? Quels handicaps doit-elle gommer ? Doit-elle avancer en solitaire, gouverner avec le centre ou jouer la carte du NFP ? Réponse avec le sénateur PS du Val-d’Oise Rachid Temal.
Rachid Temal (PS) : "Comme l’extrême droite, Jean-Luc Mélenchon essentialise les personnes qui portent mon prénom"
Cet entretien est une retranscription de Temps long. Diffusée sur BSmart 4 Change, l'émission donne chaque mois la parole à une personnalité du monde politique et intellectuel. Objectif, aller au-delà de la langue de bois et des éléments de langage pour analyser les signaux faibles qui feront le monde de demain.
Décideurs Magazine. En France, deux grandes familles se disputent actuellement le leadership de la gauche : la social-démocratie et la gauche radicale. Comment définir ces deux blocs ?
Rachid Temal : Votre question soulève un débat vieux de plus d’un siècle. La gauche socialiste, ma famille, estime qu’il faut améliorer la vie des gens en passant par des compromis. La gauche radicale va avoir le même objectif, mais avec une aversion à toute notion de compromis. Nous voyons bien cette différence de doctrine depuis la nomination de François Bayrou à Matignon. Le PS négocie avec l’Élysée et se déclare prêt à travailler avec des forces politiques adverses. LFI reste sur la posture : "Le programme du NFP, rien que le programme, tout le programme".
Parmi les sociaux-démocrates, certains prônent l’alliance avec les cousins radicaux. D’autres, comme vous, dénoncent un mariage de la carpe et du lapin…
Depuis quelques années, à gauche, nous faisons un mauvais diagnostic. Nous considérons la politique comme de l’arithmétique en estimant qu’additionner 15 % et 15 % fait automatiquement 30 %. Mais ce n’est jamais le cas. Il suffit de regarder l’Histoire pour s’en rendre compte.
L’intransigeance, c’est très beau sur le papier. Dans la réalité, lorsque la gauche a conquis le pouvoir, est parvenue à améliorer le quotidien, à obtenir de grandes avancées sociales, ce fut sous la direction d’un socialiste. Léon Blum, Guy Mollet, François Mitterrand, Lionel Jospin, François Hollande : tous ceux qui sont parvenus à rassembler la majorité du pays étaient de ce bord. Par ailleurs, vous observerez qu’à chaque fois que la gauche a remporté une présidentielle, plusieurs partis de notre camp étaient en lice au premier tour. Historiquement, l’idée qu’il faille être rassemblé autour d’un candidat unique pour l’emporter est donc une fable.
"Lorsque la gauche a pu obtenir de grandes avancées sociales, ce fut sous la direction d'un socialiste"
Une gauche qui ne serait pas guidée par le PS serait donc vouée à l’échec ?
Observez l’état de la gauche actuelle, elle est entre 28 % et 30 % avec une surreprésentation dans les grandes métropoles. Pour arriver au pouvoir, il faut au moins 50 %. Comment trouver ces millions d’électeurs ? Pensez-vous qu’un discours radical soit rassembleur ? Il est primordial de dépasser et élargir son socle, rassembler. D’évidence, la personnalité de Jean-Luc Mélenchon est bien trop clivante pour cela.
Outre la personnalité de son chef, quelles sont vos principales divergences avec LFI ?
Il y a des points de désaccords majeurs que je ne peux pas taire. Je crois viscéralement qu’il n’y a rien de meilleur que la démocratie et j’ai du mal à imaginer travailler avec un parti qui ne la pratique même pas en interne. La politique étrangère constitue une autre divergence stratégique majeure. Avoir comme alliés la Chine ou la Russie, ce n’est pas possible pour moi.
Sur la question de l’antisémitisme, là aussi ce ne sont pas les valeurs du PS. Quand j’entends certaines personnalités chez LFI, il est clair qu’il y a des propos antisémites. Évidemment, les intéressés diront qu’ils n’ont pas été condamnés, ils sont assez habiles pour éviter la justice. Mais je n’ai pas besoin du droit pour me faire ma propre opinion.
Certaines voix pointent également une vision communautariste de la société qui s’éloigne de l’idéal universaliste cher au PS…
Fervent défenseur de l’universalisme, je ne souhaite pas être mis dans une case pour un prénom ou une religion supposée. Jean-Luc Mélenchon est sur une ligne d’essentialisation de gens qui portent mon prénom ou viennent comme moi de la banlieue. Cette technique est également utilisée par l’extrême droite.
Je suis viscéralement contre le fait de découper une population en tranches, peu importe ce qui est tranché. La gauche est universaliste, elle se perd en agissant ainsi. Je suis élu dans le Val-d’Oise, un département à moitié urbain, à moitié rural. Il suffit d’aller à Sarcelles, à Argenteuil ou à Magny-en -Vexin pour constater que les problèmes et les solutions sont similaires sur le plan du travail, de l’emploi, des transports ou du sentiment de relégation.
"Je suis viscéralement contre le fait de découper une population en tranches, peu importe ce qui est tranché"
Essayons d’unifier les Français. Dans notre département, les maires socialistes qu’ils soient en zone urbaine, périurbaine ou rurale sont réélus régulièrement. Et dans les banlieues populaires, ils n’ont pas besoin de crier "Gaza" ou je ne sais quoi mais font en sorte que l’école fonctionne bien, que la qualité de vie s’améliore, que la vie sportive et culturelle soit diverse. Cela dit, je pense que tous les partis doivent prendre davantage à bras-le-corps les questions de lutte contre le racisme et toutes formes de discriminations.
Vous faites partie de l’opposition interne à Olivier Faure. Quel serait votre principal point de désaccord ?
Je connais Olivier Faure depuis des années et, même s’il existe des désaccords de ligne, ce qui nous rassemble est bien plus puissant que ce qui nous sépare. Mais je dirais que notre stratégie diverge, l’actuelle direction accorde une priorité aux alliances tactiques, puis au programme. Pour ma part, j’estime que c’est le programme qui doit être au centre de tout.
"Je connais Olivier Faure depuis des années, ce qui nous rassemble est bien plus puissant que ce qui nous sépare"
Comment rendre le parti socialiste plus fort ?
Le PS doit essayer de sortir d’un piège dans lequel est tombée la politique : celui de penser l’action publique catégorie par catégorie en proposant une mesure pour les retraités, une autre pour la jeunesse, une pour les agriculteurs…
Le travail de doctrine doit se faire de manière globale et non sectorielle pour insuffler un espoir collectif. J’invite les lecteurs à écouter le discours de victoire prononcé par François Mitterrand en 1981 à l’hôtel du Vieux Morvan. Il parle de la France, il parle aux Français. Il avait compris que l’intérêt général transcende les intérêts particuliers. Les socialistes ont un immense atout : au Parlement, dans les collectivités locales, sur le terrain, nous sommes au service de l’intérêt général, agissons. À nous de continuer à le faire savoir !
Êtes-vous optimiste pour la suite ?
L’optimisme est dans ma nature. Mais je reste persuadé que le socialisme est la meilleure réponse aux crises économiques, sociales et démocratiques que nous traversons. Les populistes ne prospèrent que sur des vieilles lunes, la nostalgie d’un passé imaginaire ou la recherche de boucs émissaires. Les Français finiront par constater qu’il n’y a rien de constructif dans le populisme. Le socialisme a peut-être tout pour redevenir tendance…
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz