Directrice générale de Safran Power Units, Ghislaine Doukhan est aux premières loges pour observer le manque de femmes dans les postes de direction. Si elle ne se voit pas comme un "role model", son parcours reste inspirant et peut susciter des vocations.

Décideurs. Dans l’industrie, la parité est loin d’être acquise. Vous considérez-vous comme un "role model "?

Ghislaine Doukhan. Je n’aime pas cette notion. Des milliers d’exemples de carrières de femmes peuvent être inspirantes et il n’y a pas de voie unique. Chacune peut avoir son propre parcours de vie avec sa sensibilité, ses priorités et ses envies.

Qu’est-ce qui vous a poussée à travailler dans l’industrie ?

J’aurais pu faire carrière dans le conseil ou la banque, ma formation m’y destinait, mais j’ai préféré m’orienter vers l’industrie. C’est extrêmement satisfaisant de transformer un concept en produit, de le fabriquer, de le livrer et de le voir apprécié par des clients. Travailler dans ce secteur est une incroyable aventure humaine, une expérience de l’interdépendance et de la réussite collective. Si un développeur peut élaborer un outil digital dans son coin, personne ne peut construire un avion seul ! Cet aspect humain trop méconnu devrait attirer davantage de femmes.

Au quotidien, que met en place Safran pour tendre vers la parité dans les instances dirigeantes ?

Entre 2020 et 2023, le pourcentage de femmes parmi nos cadres dirigeants est passé de 13 % à 19,5 %. L’objectif de Safran est d’atteindre 22 % d’ici fin 2025. Pour cela, différentes initiatives sont mises en place : des programmes de leadership pour accélérer le développement des femmes à haut potentiel, des programmes pour les managers incluant des formations aux biais inconscients… Sur le plus long terme, soulignons l’engagement de 461 marraines et parrains du groupe dans l’association "Elles bougent" dont l’objectif est de sensibiliser les jeunes femmes aux métiers de l’aéronautique. Safran est aussi partenaire de l’initiative CGénial pour promouvoir les sciences et les technologies auprès des collégiens et lycéens.

Avez-vous eu le sentiment d’avoir été traitée différemment d’un homme au cours de votre carrière ?

Non, pas vraiment. Peut-être que cela a été le cas, mais je ne l’ai jamais ressenti. J’ai toutefois constaté des traitements différents pour des collègues femmes. J’ai déjà entendu : "On ne peut pas lui proposer ce poste, elle a des enfants, ça va être trop dur pour elle." Pour ma part, je n’ai pas l’impression d’avoir été concernée. 

Certains pensent qu’il existe un management féminin. Qu’en pensez-vous ?

Ce serait basculer dans des clichés que de dire qu’il y a un management féminin mais tout de même… Il y a près de dix ans, nous avons créé le réseau Women at Safran pour rencontrer chaque mois des femmes inspirantes venues de tous les horizons. J’ai noté qu’elles étaient particulièrement en recherche d’équilibre, d’harmonie, de bonheur. Pour cela, il n’y a pas de temps à perdre en réunions, débats stériles, circonvolutions. Il faut aller droit au but. Les intervenantes ont souvent fait remarquer que ce caractère "un peu cash" faisait partie des qualités qui les avaient amenées là où elles sont, mais que c’était aussi un défaut qui, à partir d’un certain niveau, devient un "manque de sens politique". En termes de management, cela donne des équipes où on se dit réellement les choses, où tout peut être entendu si c’est fait de manière respectueuse. Les femmes managers ont souvent le souci de l’harmonie dans l’équipe et de la coconstruction. Cependant, ces qualités deviennent la norme chez les hommes comme chez les femmes. Le temps où seul le chef avait raison, où il devait être omniscient et décider seul, est passé.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail