Les véhicules autonomes envahiront dans quelques années les routes. Les expérimentations se multiplient afin de mettre au point les technologies embarquées et de sensibiliser le grand public à ce nouveau de moyen de transport, qui n’est pas sans risques.

De grands constructeurs automobiles et entreprises de technologie, tels que Tesla, Google et PSA, développent depuis plusieurs années des véhicules autonomes, suivant l’évolution technologique. Ils risquent cependant de mettre du temps avant de s’imposer sur les routes. La commercialisation de ces voitures capables de se passer de conducteur n’est pas prévue à court terme en raison des nombreuses difficultés que cela créerait, dont notamment la question de la responsabilité en cas d’accident et la hausse de la gravité des sinistres. Les conducteurs ne sont également pas encore prêts à se passer de volant et la majorité de la population à voir déambuler des véhicules autonomes dans les rues. La phase de test est néanmoins en cours sur les routes françaises.

Une technologie pas infaillible

Grâce aux véhicules autonomes, les accidents de la route seront probablement plus rares mais pas inexistants. En 2016, le chauffeur d’une voiture électrique Tesla équipée d’un système de conduite semi-automatique, Autopilot, est décédé à la suite d’une collision avec un camion, aux États-Unis. Une enquête a alors été ouverte par les autorités fédérales pour déterminer les circonstances de ce crash. Elle révèle ainsi que cet accident est dû à un concours de circonstances : un semi-remorque a coupé la trajectoire de la Tesla à une intersection sur une route à double sens, sans que la voiture n’ait eu le temps de freiner et, élément aggravant, le « conducteur » du véhicule n’a pas été assez attentif à l’environnement extérieur, faisant entièrement confiance au logiciel de pilotage automatique. Le constructeur automobile américain a expliqué que ce choc mortel a été aussi dû à un ciel très lumineux, ne permettant pas à l’Autopilot de détecter le camion de couleur blanche, et donc d’éviter la collision. D’autres accidents de la route impliquant de nouveau une Tesla électrique munie du système avancé d’aide à la conduite ont eu lieu ces derniers mois aux États-Unis. À la suite de quoi le National Transportation Safety Board (NTSB) avait demandé aux constructeurs automobiles de sécuriser davantage leurs dispositifs d’aide à la conduite et de notamment lutter contre la distraction des utilisateurs des véhicules autonomes. Au moment présent, le NTSB enquête sur pas moins de 25 accidents impliquant des véhicules équipés de systèmes d’aide à la conduite, dont 14 concernent une Tesla.

Faut-il cependant craindre les voitures autonomes ? Peut-être pas. Quatre-vingt-dix pour cent des accidents de la route sont dus à une erreur humaine (vitesse trop élevée, conduite sous l’emprise de l’alcool, fatigue, inattention). Les véhicules autonomes sont munis de multiples capteurs capables d’anticiper de nombreux risques et de réagir plus vite qu’un humain, ce qui permet de réduire le nombre d’accidents routiers. Ils sont toutefois soumis à de nombreux aléas, tels que la météo, les problèmes mécaniques ou informatiques ou encore les chutes d’objets sur la voie, pouvant affaiblir les capacités de la technologie embarquée. De plus, leur cohabitation avec les véhicules non autonomes, les vélos, les motos et les piétons pourrait engendrer de nouvelles typologies d’accidents, les conducteurs n’étant pas encore habitués à leur présence. Autant de facteurs qui augmentent les risques de sinistres.

Une inévitable adaptation de la législation

Au niveau français

La loi Pacte, adoptée définitivement par le Parlement le 11 avril 2019, crée un cadre juridique global pour l’utilisation de voitures autonomes. Elle autorise dans son article 43 la « circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite à des fins expérimentales », à la condition que « le système de délégation de conduite puisse être neutralisé ou désactivé à tout moment ». Mais la nouveauté réside dans l’autorisation d’absence de conducteur à bord. Le demandeur de l’expérimentation doit néanmoins être présent à l’extérieur du véhicule afin de superviser la conduite du test. « Les expérimentations en France de véhicules autonomes sont absolument nécessaires parce que les pays qui prendront de l’avance gagneront beaucoup sur les plans industriel et de l’innovation », avait notamment soutenu Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, à l’Assemblée nationale. C’est d’ailleurs le cas pour des pays tels que les Pays-Bas, le Danemark ou encore certains États américains comme la Californie, qui autorisent ces tests depuis déjà plusieurs mois.

Plus récemment, la loi d’orientation des mobilités, dite « loi Lom », a été promulguée le 24 décembre 2019. Elle réforme en profondeur le cadre général des politiques de mobilités, tout en intégrant les enjeux environnementaux. L’un de ses objectifs est d’accélérer la croissance des nouvelles mobilités en autorisant notamment dès 2020 la circulation des navettes autonomes. L’article 31 de cette loi autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance pendant les deux ans suivant sa promulgation pour adapter la législation et le Code de la route aux véhicules autonomes ainsi que le régime de responsabilité applicable (cf. paragraphe suivant). Le pouvoir exécutif espère ainsi rapidement pouvoir rapidement autoriser l’exploitation commerciale des navettes autonomes par des opérateurs de transport public. Les technologies développées par les entreprises françaises ne sont cependant pas encore au point pour se passer d’un opérateur de sécurité à bord des véhicules. Il faut toutefois noter que les expérimentations ont déjà commencé sur les routes françaises depuis maintenant quelques mois. Reste à voir ce que cela donnera.

À l’échelle internationale

Sur le plan européen, la commission économique pour l’Europe des Nations unies (Unece) a annoncé le 23 mars 2016 une révision de la Convention de Vienne du 8 novembre 1968 sur la circulation routière. Désormais, les « systèmes automatisés seront explicitement autorisés sur les routes, à condition qu’ils soient conformes aux règlements des Nations unies sur les véhicules ou qu’ils puissent être contrôlés voir désactivés par le conducteur », a indiqué l’organisation dans un communiqué. L’Unece a de plus créé en 2018 un groupe de travail sur les véhicules automatisés/autonomes et connectés, composé des principaux pays du marché automobile mondial, afin de poursuivre ses travaux sur l’élaboration de dispositions techniques sur le sujet, notamment en matière de cybersécurité, de mises à jour des logiciels et de méthodes novatrices de test. Les prises de décisions sont toutefois bien lentes. En deux ans, le groupe n’a adopté qu’un nouveau règlement concernant les systèmes avancés de freinage d’urgence (ABES) en janvier 2019. L’UE et le Japon ont déjà annoncé que ces systèmes deviendraient obligatoires pour toutes nouvelles voitures et tous nouveaux véhicules utilitaires légers à partir de 2022.

Les textes régulant la circulation routière sont bel et bien en pleine mutation afin de permettre l’expérimentation des véhicules autonomes sur route ouverte et, à plus long terme, d’accélérer leur commercialisation. 

Image

© metamorworks

À la recherche de la responsabilité

L’article 8-5 de la Convention de Vienne sur la circulation routière, que la France a ratifié, indique que « tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule ». Il n’y a donc pas de doute : le conducteur est responsable en cas de sinistre. Mais la question se complique lorsqu’un accident est causé par un véhicule entièrement autonome. La responsabilité sera-t-elle celle du propriétaire de la voiture, du conducteur qui aurait dû reprendre les commandes, du constructeur automobile, de la compagnie informatique qui a développé le logiciel embarqué ou encore la voiture intelligente elle-même ? Autant d’interrogations qui demeurent pour le moment sans réponse ferme et unanime, et qui soulèvent l’attention du législateur et des assureurs automobiles.

Pour l’avocat Alain Bensoussan, spécialiste du droit des technologies avancées, « le régime sera inévitablement celui de la responsabilité sans faute ». La victime disposera de plusieurs moyens pour obtenir réparation. Il est tout d’abord possible d’avoir recours à la loi du 5 juillet 1985 dite « Badinter », régime applicable aux accidents de la route, qui prévoit que l’indemnisation doit être mise à la charge soit du conducteur, soit du gardien du véhicule. Il s’agirait alors de déterminer si cette garde a été, ou non, transférée et à qui. Au constructeur ? La responsabilité du fait des produits défectueux prévue par la directive du 25 juillet 1985 pourrait également s’appliquer et être engagée contre le concepteur du logiciel ou contre le conducteur du véhicule. Cela impliquerait l’existence d’un défaut qui serait alors l’accident lui-même. Ainsi, avec ces deux mécanismes de responsabilité sans faute, un premier responsable peut être désigné pour des raisons de bonne indemnisation de la victime. Il pourra ensuite se retourner contre le responsable final, créant une chaîne de responsabilité, allant du constructeur automobile au fabricant de capteurs.

Cependant, la loi Lom devrait quelque peu changer la donne dans les années à venir. Son article 32 permet au gouvernement de publier dans les douze mois suivant sa promulgation, des ordonnances rendant accessibles, en cas d’accident de la route, les données de conduite enregistrées à bord du véhicule avant l’impact à la police judiciaire afin de déterminer les responsabilités ainsi qu’aux organismes chargés des enquêtes technique et de sécurité. Ce calendrier devrait néanmoins être quelque peu bousculé en raison de la pandémie de Covid-19 qui sévit en France comme dans le monde entier depuis le début de l’année 2020. Vers une évolution de l’assurance automobile

D’après une étude du courtier britannique Aon en 2017, près de 76 millions de voitures autonomes pourraient être vendues dans le monde d’ici à 2035 et plus de la moitié du trafic américain sera autonome d’ici à 2050. Les assureurs automobiles doivent donc se préparer dès maintenant et modifier leur modèle commercial. Si les véhicules autonomes permettront de baisser le nombre de victimes d’accidents de la route, ils n’empêcheront pas les accidents. Le rôle de l’assureur aura donc toujours toute son importance. « Les dossiers arriveront dans les années à venir. Pour le moment, il n’y a pas encore de cas précis mais cela ne saurait tarder », indique Florian Endrös.

Axa s’est donc engouffré dans la brèche. Le géant français de l’assurance a signé un partenariat stratégique d’une durée de trois ans avec le constructeur lyonnais de navettes autonomes Navya à l’automne 2018, avec pour objectif de développer des solutions d’assurance adaptées aux voitures autonomes. « Nous allons approfondir notre connaissance des risques liés à l’émergence de ces véhicules afin de proposer des offres et services toujours plus adaptés à nos clients », explique Guillaume Borie, PDG d’Axa Next et directeur de l’innovation. Axa accompagnera également Navya dans son activité de constructeur.

Toutefois, la législation française n’étant pas encore adaptée aux véhicules sans conducteur (cf. paragraphes précédents), il est pour le moment difficile, voire impossible, pour les compagnies d’assurance de proposer une offre assurantielle adéquate. La mise en circulation des véhicules autonomes devrait faire chuter le nombre d’accidents mais également le volume de primes des assureurs. D’après une étude KPMG de 2017, le coût total des sinistres pour les assureurs automobiles devrait connaître une diminution de 70 % d’ici à 2050, soit une réduction de près de 137 milliards de dollars. Au vu de ces prévisions, les assureurs réfléchissent dès à présent à se réinventer et travaillent au développement de solutions d’assurance appropriées aux véhicules autonomes. Mais pour l’heure, ces offres se font très rares.

La possibilité de confier aux fabricants de voitures autonomes la prise en charge de l’assurance de leurs véhicules a récemment fait leur apparition. Et c’est Tesla qui a le premier communiqué à ce sujet. Le constructeur américain de voitures électriques a décidé de lancer en 2019 sa propre offre d’assurance en partenariat avec la compagnie State National, une filiale du géant de l’assurance Markel Corporation, pour le moment uniquement en Californie. Elon Musk, le PDG de Tesla, avait précédemment déclaré que la couverture serait une option d’assurance « beaucoup plus convaincante » que les primes élevées auxquelles les propriétaires de Tesla avait été soumis jusqu’à présent. La firme américaine décrit en effet Tesla Insurance comme une « offre d’assurance à prix compétitif conçue pour offrir aux propriétaires de Tesla des taux jusqu’à 20 % plus bas » que ce qui peut être proposé ailleurs.

À voir maintenant si cela se révélera un succès ou un échec ! Nous dirigeons-nous vers une généralisation de l’assurance des véhicules autonomes par leurs propres constructeurs ? Beaucoup d’autres questions restent encore en suspens à ce sujet et seul l’avenir nous le dira.

Margaux Savarit-Cornali

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2023