Par Pierre Plaindoux, chef de projet. KLB Group

Le besoin toujours plus important de logements doit amener à revoir les rythmes de construction et la baisse des coûts. Ce changement ne peut se faire que par une modification de paradigme des processus de construction en cours. Les collectivités, par leurs actions sur l’urbanisme et les politiques locales de l’emploi, ont un rôle majeur à jouer pour y parvenir et des intérêts pour s’y investir.

 

Le constat est clair?: en France, sur tous les territoires dynamiques, la tension sur le secteur du logement est de plus en plus forte.
Les acteurs s’accordent pour se donner des objectifs ambitieux de construction afin de répondre au besoin, mais force est de constater qu’ils sont rarement atteints?!
Si les prix du foncier sont un problème important, l’augmentation des coûts de construction en est un autre. L’accroissement des normes environnementales et d’accessibilité a pu justifier une partie de ces surcoûts, mais les principes de construction n’ont pas évolué, n’apportant pas les gains de productivité attendus.
Les méthodes de production de logements doivent donc être revues fondamentalement. Ainsi, il serait possible de réduire à moins de six mois la construction de logements à grande échelle et de réaliser par ce biais environ 15?% d’économie. La réduction de la durée des cycles de construction est réalisable par l’introduction de nouvelles pratiques industrielles déjà éprouvées dans d’autres secteurs, notamment dans la gestion de parcs ou d’infrastructures. On peut cumuler des améliorations de pratiques à chaque étape de la chaîne. Contrairement à une idée reçue, réduire la durée des cycles permet de réduire les coûts. En particulier, si l’achat des fournitures augmente significativement (pièces industrialisées produites en usines), on réduit aussi de moitié la durée du chantier, le poste le plus coûteux de la chaîne.
Faute de réaction des acteurs de la construction, un élan extérieur est nécessaire. Les collectivités ont des moyens d’action importants pour initier cette démarche d’industrialisation. Elles y ont d’ailleurs beaucoup à gagner, en termes de qualité de vie, en proposant rapidement une offre adaptée de logements de qualité, ou en termes d’emplois, en redynamisant l’industrie locale.

 

Programmer globalement la construction
La culture du bâtiment est une culture du projet au coup par coup. Elle privilégie la reconduction à l’identique des pratiques, tout en générant une complexité qui ne permet pas l’obtention de gains de productivité et nie le respect des délais. La recherche de rentabilité se focalise sur les aspects de coût de la main-d’œuvre. Il y a une pression sur les salaires et la sursaturation des ressources empêche tout planning fiable. Les fournitures, spécifiques à chaque chantier, sont coûteuses. Il n’y a pas d’ouverture possible à la mutualisation entre les différents chantiers.
Face à ce constat, la collectivité peut jouer un rôle fédérateur pour organiser une stratégie collective de construction sur un territoire large et sur un horizon temporel long. Elle dispose déjà d’instruments comme le Plan local d’urbanisme (PLU) et le Programme local de l’habitat (PLH) qui peuvent permettre la planification globale des programmes et de leurs chantiers. De plus, maîtrisant la coordination urbaine, la collectivité et ses aménageurs, par leur intérêt aux processus de construction, peuvent prendre l’initiative du développement d’un système constructif local. Celui-ci permettrait la mise en place de produits innovants (éléments pré-équipés et modélisation logicielle BIM…) amortissables sur l’ensemble des programmes de la période.
En initiant cette démarche et en garantissant une programmation fiable, la collectivité incite les constructeurs à innover et à investir, ce qui leur permet d’industrialiser les processus et d’améliorer les relations avec leurs fournisseurs par une coopération sur la durée. Elle apporte également une vraie lisibilité et crédibilité à ces objectifs de production de logements.
Le schéma industriel à mettre en œuvre est comparable à celui de la filière automobile. Il permettrait l’utilisation massive sur les chantiers d’éléments industrialisés, fabriqués et assemblés en usine, capables de réduire la durée des chantiers. Le marché automobile a su concilier l’utilisation d‘éléments de plus en plus standardisés (châssis, moteur, composants…) et la création de modèles différents de plus en plus personnalisables.
L’industrialisation de la construction ne doit pas faire oublier la mission des architectes et urbanistes?! À l’aide des outils mis en place par le système constructif local, ils restent maîtres des formes, des aspects et de l’agencement de chacun des bâtiments. Le préfet Haussmann a réussi ce pari en son temps, et les bâtiments construits sur ses principes restent reconnus pour leurs qualités plus d’un siècle après.

 

Réindustrialiser les territoires
Les collectivités doivent lutter de plus en plus durement contre une logique de désindustrialisation, et contre les conséquences financières?: préservation de l’emploi dans des industries déclinantes, dépenses sociales compensatoires, gestion de friches industrielles…
Elles voient également se perdre des savoir-faire industriels nécessaires aussi à l’industrialisation de la construction (assemblage, câblage…).
Relancer l’industrie par un marché avec des besoins lourds, locaux et planifiés sur la durée, est une opportunité pour sortir de cette logique Et cela permet aux collectivités de rediriger l’argent public, par la fiscalité locale ou le financement public, vers de l’investissement dans l’appareil productif. Les savoir-faire sont préservés et valorisés. Une industrie moderne complète l’offre d’emplois locaux. Des filières d’éco-matériaux du territoire peuvent enfin émerger.
Pour ce faire, la collectivité doit élargir le cercle des industriels à l’ensemble des acteurs sociaux, des acteurs de l’habitat et aux citoyens afin de multiplier les communautés d’intérêt et les expériences collectives. Elle peut communiquer une vision économique autour d’un business plan fondant les décisions d’investissement sur des hypothèses partagées et de plus en plus crédibles au gré de sa réalisation.

 

Expérimenter sur un cas concret
Ces principes peuvent rapidement être mis en œuvre sur une typologie particulière d’habitat pour initier ces nouvelles approches. Elles pourront ensuite être étendues en fonction des capacités financières et techniques qu’auront acquises les industriels, et de l’adhésion à la démarche de l’ensemble des acteurs (de l’aménagement, de l’immobilier, de la construction, de l’emploi…).

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