Arnaud Leroi, directeur M&A pour la zone Emea chez Bain & Company, rappelle les fondamentaux d'une fusion-acquisition (partie 1/2).
Retrouvez la première partie en cliquant sur le lien suivant.

Quelles sont les décisions qui font ou défont un deal ?


Avant toute chose, la stratégie M&A ne peut pas être dissociée de la stratégie du corporate. Notre métier n’est surtout pas de pousser à faire des deals. L’entreprise doit se poser la question suivante : en quoi une opération de fusion-acquisition va m’aider à améliorer ou accélérer la réalisation de ma stratégie de développement ? Pour nous, les entreprises les plus aptes à s’adonner à la pratique du M&A sont celles que l’on appelle les « alpinistes ». Ce sont ces sociétés qui vont faire de nombreux deals, à échelle suffisante pour impacter la valeur et avec une fréquence suffisante pour créer des automatismes et routines internes. Dit autrement, celui qui débute au ski alpin ne devrait pas commencer par descendre une piste noire, mais plutôt par une piste verte ou bleue, répéter l’entraînement et accéder aux pistes rouges ou noires jusqu’à pouvoir affronter une difficulté supérieure. Plus on fait de deals mieux on les fait !

Les décisions qui gouvernent un deal sont au nombre de cinq aujourd’hui : définir la stratégie M&A en fonction de la stratégie corporate, construire la thèse d’investissement, confronter la thèse d’investissement à la réalité du deal, planifier l’intégration et exécuter l’intégration. Enfin, la réaction à adopter lorsqu’une transaction rencontre des difficultés n’est heureusement pas systématique car le but est effectivement d’éviter d’en arriver à une telle situation.

Pensez-vous qu’il y ait une hiérarchie entre les cinq avantages comparatifs qui font la force d’un corporate (compétitivité prix, loyauté des consommateurs, propriété d’un actif stratégique, force de la marque, protection légale de l’activité) ? En voyez-vous d’autres ?

Tout d’abord, les avantages présentés par une entreprise sont évidemment plus ou moins importants selon le secteur auquel elle appartient. La présence de ces atouts varie aussi selon la stratégie de l’entreprise. Pour Amazon par exemple, ses facteurs de différenciation sont d’être les meilleurs au monde en termes de coûts et de logistique. C’est dans ces domaines notamment qu’Amazon est imbattable et certaines de ses acquisitions les plus pertinentes ont certainement été effectuées dans ce secteur. Amazon a même littéralement contribué à transformer le métier de la logistique ces dernières années.

Par ailleurs, il ne faut plus parler de cinq avantages liés à l’activité d’une entreprise mais de la sélection de compétences distinctives sur lesquelles l’entreprise souhaite faire la différence par rapport à ses concurrents. Nous les structurons typiquement en trois catégories comprenant chacune cinq types d’avantages, à savoir les capacités du management, les capacités opérationnelles et les actifs propriétaires. Une entreprise comme Apple a assis sa stratégie sur cinq avantages bien identifiés : l’innovation, la stratégie de mise sur le marché, la relation clients, la force de la marque et la création d’un réseau de clients liés. L’existence de ces traits caractéristiques correspond au business model d’un corporate et traduit de fait une spécialisation qui va le conduire à se séparer de ses actifs non stratégiques.

Pour autant, de rares entreprises telles que General Electric conservent un panel varié d’activités. Pour le géant américain, cette stratégie se justifie notamment par le fait qu’il ne garde dans son portefeuille que les meilleurs acteurs des différents secteurs d’activité dans lesquels il souhaite être présent. Une sorte de prime à l’excellence qui lui a réussi et qui est fondée sur une culture de management et de la performance unique.

L’acquisition idéale est souvent déterminée par trois critères, le retour de cash, la proximité du cœur d’activité, la sous-performance de la cible. Est-ce que ce sont aussi des éléments que vous considérez prioritairement ?

La proximité de la cible avec le cœur d’activité de l’acquéreur et le retour de cash sont bien sûr des principes directeurs du M&A.

La sous-performance n’est pas en tant que tel un critère de sélection d’une cible, même si cela peut parfois être le cas. En réalité, ce n’est pas parce qu’une entreprise est mal gérée qu’elle pourra forcément être redressée par un nouvel acquéreur. Il faut toujours se poser la question suivante : en quoi vais-je être un meilleur parent que mon prédécesseur ? Il vaut mieux souvent acheter cher un bel actif et accélérer son développement plutôt que parier sur notre capacité à redresser un actif problématique. C’est le cas des laboratoires pharmaceutiques qui, à défaut de développer des processus internes toujours performants en termes d’innovation, n’hésitent pas à surveiller de jeunes laboratoires qui fonctionnent bien et à les racheter à un prix élevé une fois arrivés à maturité.

Il faudrait également ajouter le critère fiscal qui prend de plus en plus d’importance. Outre les motivations stratégiques, les récentes annonces de fusions dans la pharmacie ou les matériaux de construction ont vraisemblablement quelques motivations fiscales.

Enfin, un cinquième critère, celui du l’adéquation culturelle et humaine, mérite d’être évoqué. La réussite d’une fusion ou d’une acquisition tient aussi à la grande attention que les dirigeants sauront prêter aux équipes et notamment à celles de la société rachetée ou absorbée. Cela leur évitera de rencontrer l’une des trois grandes causes d’échec en la matière, à savoir le clash culturel entre les entreprises.

Propos recueillis par Firmin Sylla.

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