Olivier Schrameck, président du CSA, vient d’être nommé à la tête de l'organisme qui rassemble l'ensemble des régulateurs de l'audiovisuel en Europe. L’occasion d’expliquer ses nouvelles fonctions.
Décideurs. Vous venez d’être élu à la présidence du groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels. À quoi correspond ce groupe ?

Olivier Schrameck.
L’European Regulators Group for Audiovisuel Media Services (Erga), a été créé par la Commission européenne le 3 février dernier afin de discuter des questions relatives aux services de médias audiovisuels relevant de sa compétence. Il s’agit d’une innovation institutionnelle essentielle pour faire avancer les politiques européennes en matière d’audiovisuel. Collaborer au sein de cette structure sera l’occasion pour nous, régulateurs, de mener une réflexion en profondeur quant à l’avenir du secteur audiovisuel et de faciliter l’émergence d’initiatives communes.
L’Erga aura notamment pour tâche d’accompagner la Commission européenne dans la refonte des instruments législatifs, en particulier celle de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) qui pourrait être lancée à partir de janvier 2015. Les services audiovisuels ont considérablement évolué depuis 2007, date de l’adoption de la dernière directive. La situation actuelle, fruit de la convergence, n’a pas été anticipée et nécessite des ajustements pour prendre en compte les évolutions liées au développement des services à la demande, de l’interactivité et de l’usage des données associées.
Par ailleurs, l’arrivée sur le marché de l’audiovisuel européen et français de géants de l’Internet comme Netflix ou Google pose de nouvelles questions, qui ne peuvent trouver de réponse qu’à l’échelle européenne.


Décideurs. En septembre dernier, vous aviez réuni à Paris plusieurs présidents d’autorités de régulation dans la perspective d’une coopération à l’échelle de l’Union européenne. C’est désormais chose réalisée. Qu’est ce qui a motivé ce souhait ?

O. S.
Dès le début de mon mandat, j’ai souhaité renforcer la coopération entre autorités de régulation en charge de l’audiovisuel au sein de l’Union européenne, d’où l’initiative de la réunion de Paris préfigurant la création de l’Erga.
L’existence de l’Erga se justifie pleinement par la nature stratégique des sujets en discussion au niveau européen dans le domaine de la régulation audiovisuelle. Je pense en particulier aux questions soulevées par le Livre Vert sur la convergence, publié l’an dernier par la Commission : des sujets tels que les conséquences réglementaires de la convergence sont en effet d’une importance capitale pour l’ensemble du secteur audiovisuel.
Par ailleurs, il faut souligner que le moment est particulièrement propice : premièrement, le renouvellement institutionnel européen de 2014, synonyme de nouvelles initiatives à venir prochainement. Ensuite, la publication l’an dernier par la Commission européenne de trois consultations publiques sur des sujets clés pour le secteur de l’audiovisuel (l’indépendance des autorités de régulation, la liberté d’expression et le pluralisme des médias, ainsi que le Livre Vert sur la convergence) – preuve évidente de la nécessité d’aborder ces sujets au niveau européen, entre régulateurs, mais également avec les institutions européennes. Enfin, comme je le rappelais, nous serons bientôt confrontés aux perspectives de refonte des instruments juridiques européens en matière d’audiovisuel.


Décideurs. Quelle interaction existe-t-il entre les CSA de chacun des vingt-huit pays de l’UE, dont celui de la France, et l’European Regulators Group for Audiovisual Media Services ?

O. S.
L’Erga réunit les dirigeants des autorités de régulation de l'audiovisuel des vingt-huit États membres de l'Union. L’idée derrière ce groupe n’est pas de créer une autre structure dont le rôle serait redondant au regard de réseaux déjà existant : il s’agit du premier et du seul cadre rassemblant des représentants des régulateurs audiovisuels de tous les États membres au niveau décisionnel.
À ce titre, je voudrais souligner que ce groupe n’est pas un groupe d’experts comme les autres groupes créés par la Commission : il ne rassemble pas des représentants des administrations des États membres, mais les dirigeants des autorités de régulation. L’indépendance sera donc le maître mot de nos travaux : ce que l’on doit attendre d’un groupe de régulateurs indépendants, c’est une indépendance de point de vue.
Une autre particularité de l’Erga est sa diversité. Ce sera l’un des grands atouts et un élément clef de son identité. En effet, nous aurons à refléter et à prendre en compte la variété de nos modes de régulation, et cela ne fera qu’enrichir notre travail.
En offrant un cadre régulier de rencontre et d’échange autour de sujets d’intérêt commun, l’Ergadoit permettre aux autorités de régulation de l’audiovisuel des États membres de l’UE de créer des liens et une solidarité de fait, afin de coordonner leurs visions et de mener à terme des actions conjointes.


Décideurs. La régulation au niveau communautaire est-elle devenue obligatoire à l’heure de la globalisation numérique ? Pourrait-on envisager un régulateur au niveau mondial ?

O. S.
Une harmonisation plus poussée des réglementations nationales en matière d’audiovisuel est plus que jamais souhaitable, à charge pour les États membres de l’Union européenne d’organiser la régulation selon leurs traditions et spécificités. Une harmonisation forcée serait lourde et superficielle.


Décideurs. Quels pouvoirs – réglementation et sanction – aura ce groupe ?

O. S.
Les missions assignées à L’Erga sont particulièrement étendues puisque le groupe a pour mandat de travailler sur toute question relative aux services de médias audiovisuels et relevant de la compétence de la Commission européenne.
Comme je l’ai souligné, ce groupe se caractérise par son indépendance et n’hésitera pas à faire valoir son point de vue en adoptant des déclarations et des positions communes visant à faire bouger les lignes de la régulation européenne. C’est un aspect essentiel pour l’Erga, et plus encore pour la Commission, dans la mesure où l’apport opérationnel du groupe renforcera également la légitimité des travaux de la Commission.


Décideurs. S’agissant du CSA, quel bilan tirez-vous de la première année de votre présidence ?

O. S.
Je préfère parler de constat plutôt que de bilan. Le CSA est appelé à jouer un rôle économique de plus en plus important. Il importe qu’il puisse le faire en toute transparence et en toute confiance vis-à-vis de ses interlocuteurs, mais avec le souci permanent de promouvoir leur activité. L’audiovisuel illustre un certain nombre de principes fondamentaux pour notre État de droit, mais il représente aussi une part importante de notre économie et constitue un secteur essentiel pour la création. Le CSA doit répondre à tous ces impératifs primordiaux.


Décideurs. À l’heure d’Internet et de la dématérialisation des contenus, quelles actions le CSA peut-il encore mener ?

O. S.
Il ne faut pas sous-estimer l'importance de la régulation de l'audiovisuel alors que nos compatriotes regardent la télévision près de quatre heures par jour et écoutent la radio près de trois heures. D'ailleurs, ces médias se projettent de plus en plus dans le monde d'Internet à travers leurs sites, les réseaux sociaux et la télévision connectée. Ils restent la source émettrice principale.
Tout en respectant la conception libérale exigeante que partagent usagers et entreprises du Net, nous pouvons nous inspirer de l’expérience ailleurs accumulée en matière de normes techniques, de publicité ou de gouvernance d'entreprise, notamment à travers la pratique de l'autorégulation.


photo : © Manuelle Toussaint


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