C’est l’un des instigateurs du rachat de Keytrade Bank, leader de la banque en ligne en Belgique. Et c’est un pur produit de la maison Crédit mutuel Arkéa. En deux décennies, Ronan Le Moal a façonné par endroit le nouveau visage 2.0 de la banque française désormais estampillée « geek » dans la catégorie « open innovation ». À 43 ans, le directeur général breton féru de tech n’a pas son pareil pour détecter les pépites du numérique français. Son aura auprès des entrepreneurs est bien réelle. Son flair aiguisé n’a d’égal que la finesse de son jugement prédictif. Mais qu’est-ce qui fait mouliner ce financier hors norme ?

Il ne porte pas de cravate, sauf quand il rencontre d’autres banquiers. Il vit entre la très chic avenue des Champs-Élysées et l’authentique village de Plougastel-Daoulas (29). Il mise sur la rencontre. «?Ces fameuses trente minutes qui peuvent faire basculer une vie?», selon ses mots. Pourtant, il ne répondra jamais au téléphone pendant notre interview alors que son mobile ne cesse de vibrer. À 36 ans, Ronan Le Moal a vu la sienne, de vie, basculer lorsque Jean-Pierre Denis, fraîchement nommé président, l’a appelé pour prendre la direction générale du Crédit mutuel Arkéa qui réunit les fédérations du Crédit mutuel de Bretagne, du Sud-Ouest et du Massif central. C’était il y a sept ans. «?On forme un binôme pour le meilleur… et le meilleur?», s’amuse le patron du groupe bancaire qui n’a pas hésité en 2008 à opérer un choix en rupture avec les systèmes de promotion classiques. Parier sur un très jeune financier pétri de culture tech a évidemment créé la surprise dans le petit monde suranné de la finance. «?Ce n’était pas un choix attendu, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais aujourd’hui, personne ne peut prétendre que cela ne s’est pas révélé pertinent dans la durée?», observe M. Denis. Il faut dire que les faits sont éloquents.

 

En sept ans à peine, voilà Arkéa estampillée banque «?geek?» dans la catégorie «?open innovation?». Rien que cette année, le nom de Ronan Le Moal a été cité dans une dizaine d’opérations stratégiques du secteur tech. D’abord l’été dernier, lors du second tour de table lancé par la très prometteuse plate-forme de crédit entre particuliers, Prêt d’union, qui a levé trente et un millions d’euros. Ensuite à la rentrée où le directeur général a fait le buzz en rachetant la cagnotte Leetchi, dont il était le partenaire bancaire depuis sa création en 2009. En bonus, la start-up lancée par Céline Lazorthes a obtenu un investissement de dix millions d’euros pour soutenir son développement. Et le financier visionnaire de tempérer?: «?C’est l’effet boule de neige.?» Pas si sûr.

 

Le rachat de Keytrade Bank

Ces boîtes, encore faut-il savoir les conquérir. Habitué à détecter les hauts potentiels, Jean-Pierre Denis, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée sous la présidence de Jacques Chirac, répète que Le Moal gagne parce qu’il est «?câblé pour faire bouger les lignes?». Catherine Barba, fondatrice de Pep’s Lab, un observatoire de l’innovation dans le commerce, ajoute?: «?Ronan connaît les codes du digital. C’est un homme avisé qui prend les bonnes décisions.?» «?Il ne se comporte pas comme un opportuniste mais comme un financier éthique?: c’est ce qui le différencie de 98?% des banquiers?», remarque Erwann Menthéour, fondateur et CEO de Fitnext, une start-up de coaching alimentaire et sportif. «?Il a cette capacité à se mettre au niveau des gens. Il ne m’a jamais pris de haut. Il aurait pu se dire?: Elle est mignonne avec ses cagnottes, comme je l’ai entendu de nombreuses fois?», salue Céline Lazorthes.

 

Le dernier assaut de M. Le Moal, début décembre 2015, c’est le projet d’acquisition de Keytrade (groupe Crelan). Un leader de la banque en ligne en Belgique, dont il a arraché le rachat à la barbe de quatre autres candidats qui seraient selon nos sources la Société générale, BPCE, ING direct et un acteur bancaire du sud-est asiatique. Arkéa a gagné parce que son offre était «?de loin la meilleure?», résume un observateur. N’entendez pas plus rémunératrice, mais plutôt mieux ficelée. Le dossier aurait été envoyé à Bruxelles vingt-quatre heures avant la date limite. C’est cette rapidité d’exécution qui aurait permis à la banque mutualiste de damer le pion aux géants français ralentis par la lourdeur de leur process. Le closing de cette opération, estimée entre 200 et 300?millions d’euros, aura lieu en mars prochain. Avec cette acquisition, Arkéa devient numéro un de la banque en ligne en Belgique. En France, l’établissement se rapproche ainsi singulièrement de Boursorama et de Dab Bank en Allemagne. De quoi sceller dans les prochaines années, un destin européen. La façon dont Ronan Le Moal a gagné l’appel d’offres dit sa méthode?: des lignes de commandements très courtes, des équipes réduites composées de fidèles, un mental d’acier et une obstination sans faille. Il faut dire que le Crédit mutuel Arkéa avait loupé le coche d’un rachat en Belgique il y a trois ans. La persévérance de son directeur général a fini par payer.

 

« Les belles choses, tout le monde les veut »

Rien ne prédestinait le sémillant Ronan à prendre le départ de la course au digital. Petit, il voulait être coureur cycliste. «?On s’enfilait 15?000 kilomètres à vélo par an?», se rappelle son ami d’enfance, le sportif Erwann Menthéour. «?À l’époque, j’étais un fanatique?», reconnaît Le Moal. Jusqu’à ce jour où son père l’a réveillé brutalement?: «?Tu ne deviendras pas pro, alors bosse à l’école.?» Un conseil pris au pied de la lettre par son fils qui ne sachant que faire intègre HEC, exécute à la perfection un major en finance avant d’atterrir comme la plupart de ses camarades à la branche audit du cabinet E&Y. Rétrospectivement, le financier ne regrette rien. Ses parents ont toujours été de très bons sparring-partners. Ils lui ont appris que lorsque l’on travaille, on y arrive. Lui y a toujours cru. «?Le talent c’est bien quand on en a, mais arrivé à un certain niveau, il faut travailler et faire vœu d’abnégation. Les belles choses, tout le monde les veut. Et à un moment donné, on se retrouve cerné par des gens talentueux. Alors, naturellement, ce sont ceux qui travaillent qui réussissent.?»

 

Sa jeunesse parle de persévérance et d’humilité. Elle est émaillée de leçons de vie apprises les fesses vissées sur un deux-roues. Un sport relativement ingrat où trois jours de bonheur vous en imposent deux cents de galère à l’entraînement. «?Il faut être capable d’endurer la souffrance physique et psychologique?», signale le CEO de Fitnext. De ses années passées à pédaler, Ronan Le Moal a gardé une détermination à consentir des sacrifices et une grande discipline. «?Sur le vélo, vous trouvez toujours des gens plus forts que vous. Cela apprend à ne jamais baisser les bras?», assure celui qui malgré le poids des années conserve son âme de compétiteur. À Paris, une fois par semaine, il s’impose une séance de quarante-cinq minutes de RPM, un programme de cyclisme en salle extrêmement intense où l’on brûle 670 calories par séance. En Bretagne, tous les week-ends, le directeur général du Crédit mutuel Arkéa enfourche son vélo pour «?se mettre dans le rouge?» comme il dit. À ses côtés sur les routes sinueuses de la pointe Finistère, des entrepreneurs bretons qu’il a lui-même coachés. Régulièrement, son épouse lui suggère d’arrêter de viser la performance. Lui n’y arrive toujours pas. «?L’adrénaline que cela me procure me remet les idées en place.?» L’autre vertu que ce bourreau de travail passe presque sous silence, c’est le lâcher prise.

 

La tech comme sésame

Le 12?septembre 2008, quand il prend ses fonctions à la tête d’Arkéa, s’abat sur lui le vertige de la responsabilité. «?Pour parler un langage tech, on ne pivote pas avec 9?000 collaborateurs à bord. Si on se trompe, on se trompe pour de bon, explique-t-il. Il fallait réfléchir et se poser les bonnes questions.?» Trop pressé, Ronan Le Moal s’est trompé. Dans la course à la transformation, il a oublié de donner les clés de lecture à ses collaborateurs. Cette année 2011, le duo Denis-Le Moal n’a pas passé la ligne d’arrivée. À la place, il a affronté onze jours de grève historique et un marathon de négociations quotidiennes dans les locaux occupés par des salariés en colère. De cette douloureuse expérience, le directeur général a tiré un enseignement?: avoir une bonne idée et une équipe talentueuse ne suffit pas pour que les collaborateurs vous suivent. «?L’entreprise est un être biologique. Le corps social a besoin de comprendre les raisons pour lesquelles les dirigeants vont l’amener à suivre telle direction?», résume le banquier imprégné par cette culture digitale où il faut agir vite. Pour lui, «?la banque serait l’alpha quand la tech serait l’oméga.?» D’où cet engouement pour les fintech qui sont à ses yeux l’un des leviers phares pour donner un nouveau souffle à la banque de détail. Une stratégie qui commence à payer, mettant à mal la salve de préjugés selon laquelle le Crédit mutuel Arkéa serait un groupe de banque-assurance enclavé en Bretagne et sans avenir. Ce qui au départ semblait être une faiblesse est soudain devenu une force.

 

Aujourd’hui, nombreux sont ceux à envier cette montée en puissance dans l’écosystème numérique français. Certes, il y a cette ADN innovant sur lequel capitalise la banque, pionnière dans l’informatisation de l’assurance-vie en 1984 et première à passer ses ordres de Bourse via Internet en 1995. Certes, il y a cette armada d’ingénieurs qui veillent au grain en élevant significativement le niveau des standards techniques. Certes, il y a aussi cette taille intermédiaire qui confère une agilité redoutable face aux quatre mastodontes français du secteur. Mais aussi convaincant soit ce faisceau d’indices structurels, il ne peut en lui-même expliquer que les plus belles success-stories de la tech française soient historiquement épaulées par Arkéa. C’est que depuis 2008, le duo Denis-Le Moal creuse le sillon tech avec un flair inégalé. De Frédéric Mazzella, fondateur du site de covoiturage Blablacar, en passant par Jean-David Chamboredon, CEO du fonds de capital-risque ISAI, ou Olivier Jamault créateur de Cashway qui permet de payer en liquide sur Internet… Tous sont un jour passés par le bureau de Ronan Le Moal pour discuter de leur projet. Arkéa est ainsi devenue actionnaire de Blablacar, l’une des licornes de la French Tech, après avoir abondé de six millions d’euros le tout premier fonds d’ISAI. La banque possède 34?% du capital de Prêt d’union (une plate-forme de prêts entre particuliers) et a également investi dans Linxo (un service de gestion des dépenses personnelles). «?C’est le premier institutionnel français qui nous a fait confiance?», se souvient Antoine Flamarion, le fondateur de la société d’investissement Tikehau, passée de quatre millions d’euros à sept milliards d’euros sous gestion en une décennie. En mai dernier, Arkéa a pris 6,8?% du capital de la holding de tête du groupe Tikehau.

 

Un fonds d’amorçage tech de trente millions d’euros

Dans la finance comme dans la tech, ses réseaux accompagnent son parcours. Cette faculté à tisser du relationnel a permis à ce banquier d’ancrer progressivement son empreinte sur la toile. Ses cartes maîtresses?? La disponibilité et la réactivité. Par principe, il ne rate jamais une occasion de donner une chance à la rencontre. «?Je lui ai envoyé un mail et il m’a répondu dans la foulée?: Je suis très admiratif de ce que vous faites?! J’étais stupéfaite par sa réponse. Trois jours après je le rencontrais?», s’étonne encore Céline Lazorthes. Auprès des start-upers, l’homme possède une véritable aura, rarement attribuée aux banquiers français. Côté investisseurs, il fait l’unanimité. «?Chez la plupart des banquiers, le digital et le capital-risque sont des sujets très marginaux tandis que Ronan les place au cœur de son agenda?», souligne Jean-David Chamboredon. C’est plutôt côté banquiers que l’on grince des dents. Certains ne cachent pas leur désir de le voir rester petit. «?C’est normal, Ronan est un trublion?», lâche M. Chamboredon. Et ce n’est que le début.

 

Si aujourd’hui les start-up représentent entre 7?% et 10?% des flux de paiement annuels du Crédit mutuel Arkéa, ce pourcentage est appelé à progresser rapidement. Pour cela, la banque lancera en janvier prochain un fonds d’amorçage tech de trente millions d’euros abondé par un autre investisseur financier de la place et des petits institutionnels bretons. Ce véhicule financier baptisé West Web Valley (WWV) se fait l’écho de l’accélérateur du même nom lancé il y a trois ans par Ronan Le Moal et deux «?serial entrepreneurs?»?: Sébastien Le Corfec et Charles Cabillic. La création de WWV devrait permettre à Arkéa d’accompagner des opérations que la banque ne ferait sans doute pas en fonds propres. De quoi combler ce fameux equity gap. Au 15 décembre, près de 120 projets ont déjà été reçus sans que le fonds soit officiellement lancé.

 

« C’est un intrapreneur?»

Sa réputation, Ronan Le Moal la doit à un travail de longue haleine. Pour apporter sa pierre à l’édifice numérique français, il sonde sans relâche l’écosystème, multiplie les rencontres avec les entrepreneurs français, s’engage à leurs côtés dans le lobby France Digitale et comme si cela n’était pas suffisant, il lance en 2013 le West Web Festival qui réunit en marge des Vieilles Charrues le gotha des entrepreneurs du Web. Selon sa définition, un banquier ne fait pas que de la finance. C’est aussi et surtout un chef d’entreprise. La petite dizaine de personnes que nous avons interrogées répètent que Ronan Le Moal est un entrepreneur qui s’ignore. Ils ajoutent que si Arkéa ne lui laissait pas les coudées franches pour entreprendre, la question de son départ se poserait. Lui rétorque avec lucidité?: «?Un entrepreneur, c’est celui qui un jour met sur la table son argent et sa vie pour se mettre en risque. Je ne l’ai jamais fait et j’ai beaucoup de respect pour celles et ceux qui ont sauté le pas.?» Et le fondateur de Prêt d’union de trouver le mot juste?: «?C’est un intrapreneur?: il a le mode de fonctionnement, la réactivité, les codes et les réflexes d’un entrepreneur de très haut niveau mais il a choisi d’évoluer dans un grand groupe.?» Un profil moins rare aux États-Unis qu’il ne l’est en France. Jean-Pierre Denis l’a bien compris. «?Le plus de valeur ajoutée qu’il donnerait serait de prendre ma place?», glisse-t-il comme un appel du pied.

 

Prendre des risques sur l’humain

«?De qui parle-t-on???» est sans doute la question la plus récurrente que se pose Ronan Le Moal. «?Quand on est banquier, on croit beaucoup à l’analyse des risques et aux systèmes de notation. Or tout n’est pas dans le tableur Excel. Si vous voulez faire des paris stratégiques, il faut prendre des risques sur une équipe.?» La curiosité est un des traits de caractère de Ronan Le Moal qui vous raconte sa vie comme une succession de rencontres, tout en s’excusant de «?donner trop de détails?»?: lorsqu’il a vu Frédéric Mazzella dans un restaurant du XVIIe arrondissement où ce dernier lui expliquait que les pâtes étaient le meilleur ami des start-upers parce qu’on peut en manger tous les jours?; la fois où il a rencontré Pierre Kosciusko-Morizet à une conférence de l’argus de l’assurance en 2007?; celle où les fondateurs de Prêt d’union sont venus jusqu’à Brest pour prouver leur motivation. «?Il nous a dit que notre idée était intéressante mais qu’il fallait modifier deux points. Six mois après, nous avions corrigé le tir et il entrait au capital?!?», s’enthousiasme encore Charles Egly.

 

On se retourne alors sur ses success-stories rendues possibles par le flair d’un banquier pionnier du numérique et pétri d’empathie. «?On se souvient toujours de ceux qui étaient là le premier jour?», observe M. Chamboredon. «?Lentrepreneuriat est jonché de difficultés. On traverse une forêt les yeux bandés et il ny a pas de chemin. Ronan, cest celui qui vous tend la main quand vous tombez tous les trois mètres?», image Céline Lazorthes qui loue la capacité de ce financier à aider les start-up à trouver leur voie. Lui a sa petite théorie sur la question. «?Un petit qui est fait comme les gros finit toujours par disparaître. Cest pourquoi, il doit trouver sa voie. Cest darwinien?», brandit en souriant Ronan Le Moal. Lui a assurément trouvé la sienne. Très loin de l’image d’Épinal du banquier français traditionnel.

 

Émilie Vidaud

 

 

Keytrade, le rachat éclair

«?La Belgique est un territoire très important qui pèse aussi lourd que la France?», confirme Ronan Le Moal, le directeur général de Crédit mutuel Arkéa entré en négociations exclusives le 7?décembre dernier pour finaliser le rachat de Keytrade, leader de la banque en ligne en Belgique et propriété du groupe Crelan. L’ensemble consolidé devrait représenter 600?000 clients pour vingt milliards d’actifs gérés. Si cette opération complète les activités belges du groupe, elle renforce surtout son positionnement dans la banque en ligne et les services digitaux. Un virage amorcé dès 2006 avec l’acquisition de Fortuneo puis de Cortal Consors Belgique cédé en 2009 par le groupe BNP Paribas. Le marché belge a beau être six fois plus petit que celui de la France, il intéresse Arkéa qui avec cette opération se voit propulser parmi les leaders européens de la banque en ligne.

 

 

L’offensive Arkéa

• 3,6?millions de clients.

• 1?000 clients BtoB.

• 9?000 collaborateurs.

• 269?millions d’euros de résultat net.

• 5,5?milliards d’euros de capitaux propres.

• À travers de la filiale Monext, la banque opère dans vingt-six pays.

• Les start-up représentent 7?% à 10?% des flux de paiements annuels.

• 7 décembre 2015, début des négociations pour le rachat de la banque en ligne belge Keytrade.

• Fin janvier 2016, lancement du fonds d’amorçage West Web Valley.

 

 

 

 

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