Depuis trois générations, les Rapin et les Despagne oeuvrent pour magnifier le domaine viticole de Montagne Saint-Émilion. Mais Nicolas Despagne a un avis qui tranche avec celui de son patriarche. Adieu la chimie, bonjour le bio.
Nicolas Despagne (Maison-Blanche) : chai d'œuvre par nature
En 1938, un Lot-et-Garonnais d’origine, Louis Rapin, s’offre Maison-Blanche, un domaine de 18 hectares situé au sud-ouest de l’appellation Montagne Saint-Émilion. Celui dont la famille a connu naguère une faillite retentissante reprend en main l’exploitation, acquiert sept hectares supplémentaires, agrandit la maison pour accueillir les clients. Il remplace les vignes en mauvais état, prépare l’arrivée des tracteurs et crée même des logements sociaux.
Sa fille hérite en 1972 de Maison-Blanche ainsi que d’un petit cru de La Rose Figeac et de quelques arpents de Saint-Émilion. Gérard Despagne, son mari, qui a travaillé plusieurs années – non sans quelques étincelles – avec Louis Rapin, est un enfant du pays issu d’une famille de viticulteurs. Si les débuts du couple sont difficiles (mauvaises récoltes, sécheresses, vendange trop précoce), les bons crus de la décennie suivante leur permettent de vivre confortablement. Gérard Despagne investit alors dans le domaine, en mettant notamment sur pied le plus grand chai à barriques du Libournais. "Il fait construire des bâtiments considérables qui sont aujourd’hui une force, car ils permettent de conserver des stocks plutôt que de les vendre à prix bradés pour gagner de la place", explique son fils, Nicolas Despagne.
Miroir aux alouettes
Sur le papier, le bilan est bon. "Mon père a magnifié ce qu’a fait mon grand-père, à un seul bémol près, raconte Nicolas Despagne. Comme presque tous ses confrères, il s’est laissé convaincre par le miroir aux alouettes de la chimie" en plantant davantage dans des parcelles moins adaptées, mais rendues cultivables grâce aux nouveaux produits. De 30-35 hectolitres par hectare, sa productivité passe à 60-65.
Les trois enfants du couple partagent le virus du vin, mais pas les mêmes convictions quant à la manière de le produire. Nicolas Despagne reprend peu à peu Maison-Blanche après avoir débuté sur la partie commerciale, son frère et sa soeur s’occupant des terres à Saint-Émilion et Figeac. Le père peine à achever sa succession, les conflits sont récurrents, notamment sur un point : le bio. Nicolas Despagne veut tenter l’aventure.
Des vins vivants
Après une énième dispute en 2000, Nicolas Despagne obtient que son père lâche les rênes. Le représentant de la troisième génération passe au bio six ans plus tard, avant de se lancer plus largement dans la biodynamie. "Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le label, mais de faire des vins vivants, qu’on arrête d’empoissonner les terres, l’air, l’eau, les personnes qui travaillent dans les vignes. Je veux faire autre chose que les 'chimistes' qui m’entourent." Comment ? Il plante des haies et des arbres fruitiers, arrache les vignes mal placées, crée une pépinière pour éviter les plants monogéniques. "Un domaine doit se rapprocher le plus possible d’un organisme vivant, avec ses entrées, ses sorties, une respiration, des énergies qui circulent, de la diversité…" De quoi regénérer la terre ou encore casser les nappes de froid qui gèlent les cultures.
Est-ce une réussite ? "Si l’on compare les rendements, c’est la catastrophe." Ceux-ci ont été divisés par deux pour revenir à ce que la vigne est capable de produire par ellemême. D’où une augmentation des prix en conséquence. "Je ne juge pas les jeunes ou les personnes endettées qui font ce métier avec la chimie, car ils n’ont pas le choix. Moi, j’ai eu la chance d’hériter. Si je ne donne pas la parole à la nature sur mon domaine, qui le fera ?". En évitant "vingt ans de saloperies sur 40 hectares", Nicolas Despagne aura apporté sa pierre à la préservation de l’environnement.
Olivia Vignaud