Invité avec les plus gros acteurs de la tech à l’Élysée le 23 mai dernier, OpenClassrooms, spécialiste des cours en ligne, a conclu un impressionnant tour de table de 60 millions de dollars une semaine auparavant. Pierre Dubuc témoigne de sa réussite et de la dimension d’entrepreunariat social dont la start-up fait sa philosophie.

Décideurs.Comment est né le concept d’OpenClassrooms ?

Pierre Dubuc.Tout est parti d’un projet personnel. En 1999, élève en classe de 4e, Mathieu Nebra (co-fondateur d’OpenClassrooms), voulant créer un site, ne trouve pas matière à l’aider en ligne. Partant de ce constat, il lui vient l’idée d’en concevoir un pour ses amis. Je l’ai rejoint en 2001. La genèse était vraiment altruiste. Après nos études, nous avons décidé d’en faire notre métier. Nous avons alors créé OpenClassrooms avec la même philosophie d’entrepreunariat social. Nous sommes une entreprise dont la mission est de rendre l’éducation accessible et en particulier l’éducation professionnalisante, celle qui aboutit à un emploi. L’entreprise existe depuis 2013 sous le nom d’OpenClassrooms. Grâce à nous, plus de trois millions de personnes dans 130 pays se sont formées sur les métiers et compétences de demain. Le tout en lien avec la transformation digitale des compétences et des métiers. Nous proposons des formations dans toutes les thématiques des métiers du digital (développeur, data, marketing, cybersécurité, gestion de projet) mais également des métiers plus traditionnels tout autant impactés par le digital (communication, ressources humaines, management, finance, comptabilité…).

Décideurs. Quel est votre mode de fonctionnement ?

Nous proposons une plateforme à deux entrées : l’une pour les étudiants, l’autre pour les employeurs. Les étudiants une fois formés et diplômés sont insérés sur le marché de l’emploi. S’agissant des employeurs, nous leur offrons de former leurs salariés en place ou de créer des profils en fonction de leurs besoins. Nous partons des impératifs de l’entreprise après avoir identifié les métiers, les compétences, les villes et le timing afin de créer ces talents sur mesure. Pour chaque entreprise en développement, le frein principal est celui du fossé des qualifications. Les métiers évoluent très vite. Les entreprises ont besoin de compétences nouvelles, que tout le monde recherche simultanément et qui ne sont pas assez nombreuses sur le marché. En parallèle, les métiers existants sont en train de se transformer, voire de disparaître pour certains obligeant les personnes concernées à se reconvertir beaucoup plus qu’avant. Les études de McKinsey ou d’Oxford montrent que d’ici à 2030, 30 % de la force de travail mondiale seront impactés par le digital et dont les compétences seront bouleversées. Cela signifie que dans 12 ans maximum, un milliard de personnes minimum dans le monde devront être formées. Le chantier est colossal. Il nous faut répondre aux entreprises qui ne trouvent pas les talents dont ils ont besoin tout en améliorant simultanément l’employabilité des salariés en place.

Il y a une troisième composante : les formateurs. Qui sont-ils ?

C’est le cœur du dispositif : les mentors. Chaque étudiant inscrit sur OpenClassrooms est suivi individuellement tout au long de son cursus par un mentor, expert dans son domaine. Chaque semaine, ils ont rendez-vous pour une séance de mentorat en vidéoconférence. Nous avons une approche par compétence et par projet. Prenons le cas d’une personne formée au métier de développeur. Ses compétences vont être évaluées par des projets professionnalisants, des cas concrets d’entreprise, la création d’un site web par exemple. Et ce tout au long de sa formation, à l’issue de laquelle un diplôme de bac +2 à bac +5 reconnu par l’État lui sera délivré. Le mentor est là pour l’aider, le motiver, lui donner les bonnes pratiques, lui fixer des objectifs pour la semaine suivante. L’obtention du diplôme est doublement validée par le mentor et un validateur lors d’une soutenance de projet enregistrée en vidéo. Le diplômé aura ainsi constitué un portfolio de ses savoir-faire (projet, soutenance) qu’il peut présenter à un futur employeur.

Ces mentors exercent-ils d’autres activités professionnelles en parallèle ?  

Ce sont des professionnels en activité.  Nous souhaitons qu’ils se maintiennent dans leur haut niveau d’expertise. C’est le concept même du mentor. C’est un peu dans l’esprit du compagnonnage.  Ce n’est pas juste de la théorie, c’est le fruit de la pratique de leur métier au quotidien dont ils connaissent les évolutions. Un mentor qui ne ferait que ça serait rapidement obsolète.

"Dans 12 ans maximum, un milliard de personnes minimum dans le monde devront être formées"


À quels projets destinez-vous la levée de fonds de 60 millions de dollars que vous avez conclue ?

Nous allons investir en suivant deux axes : un axe géographique et un axe produit.
Le premier consiste à étendre notre leadership sur la zone francophone (France, pays limitrophes de langue française, Afrique) ainsi que sur la zone anglophone (Royaume-Uni et États-Unis).
Le second annonce l’accroissement de notre offre catalogue de formation, en français et en anglais, sur tous les métiers du digital et toutes les fonctions transverses de l’entreprise. Ainsi, plus d’une centaine de métiers seront couverts avec les diplômes correspondants d’ici à un an.
Nous voulons également développer le concept novateur et assez unique de l’approche corporate proposée aux employeurs, une formation sur mesure de talents, en fonction de leurs besoins. Nous sommes en train de l’industrialiser et de le proposer dans plusieurs pays.
Ce qui est vraiment intéressant avec cette approche, c’est que l’entreprise s’engage dès le premier jour en finançant l’intégralité de la formation et en salariant le futur diplômé. Le modèle est vertueux dans la mesure où l’on peut avoir des demandeurs d’emploi ou des jeunes décrocheurs qui n’auraient pas forcément accès à des cursus académiques classiques. Nous leur donnons l’opportunité de suivre cette formation puisqu’ils touchent un salaire et n’ont pas à faire face aux frais engagés pour la suivre.

Vous avez conclu un partenariat avec Pôle Emploi. En quoi consiste-t-il ?

Il consiste à former gratuitement les demandeurs d’emploi. OpenClassrooms finance intégralement ces formations. C’est une action a un fort impact social puisque nous avons formé environ 60 000 demandeurs d’emploi. Nous l’avons répliquée avec d’autres services publics de l’emploi dans une quinzaine de pays, notamment en Afrique. Menées pas notre branche nonprofit OpenClassroom.org, leur vocation est d’animer des projets philanthropiques à destination de publics dits défavorisés en créant des bourses qui leurs sont destinées.

Vous semblez très attaché à ces actions sociales ?

Oui. C’est à la base de notre projet. D’où leur importance pour nous. Nous les avons même inscrites dans les statuts de l’entreprise qui affichent « rendre l’éducation accessible ». La gouvernance de l’entreprise a créé un comité de mesure de l’impact de cette insertion professionnelle de façon à démontrer aussi bien les retombées économiques que sociales. La garantie d’emploi permet de lier les deux. Dès lors que nous générons du revenu, nous créons un emploi mais si nous ne créons pas d’emploi nous ne générons pas non plus de revenu. Du coup, il y a de bonnes interactions au cœur du modèle.

Quels sont les principaux freins rencontrés dans votre expansion ?

Cela dépend des marchés. En France, nous commençons à avoir levé pas mal de freins. Désormais, c’est beaucoup d’exécution et réussir à faire tourner la boutique en fonction de sa croissance.
À l’étranger, nous sommes confrontés aux problèmes que nous avons fini par résoudre en France à savoir les questions d’accréditation ou de régulation. Nous devons faire reconnaître notre modèle qui ne correspond parfois ni aux habitudes, ni aux lois. Dans certains pays, une formation est obligatoirement dispensée en présentiel. Du coup, il faut faire changer ou adapter le modèle. C’est ce que nous cherchons à faire au Royaume-Uni ou aux États-Unis par exemple.

Quelle est votre stratégie en ce qui concerne le développement de votre notoriété en France comme à l’étranger ?

Dans le domaine de l’éducation dans le monde francophone, notre notoriété commence à être bien établie. Nous allons continuer à développer nos partenariats avec des universités et des grandes écoles (Polytechnique, Centrale-Supelec, Science Po…) mais également avec Pôle Emploi ou des associations qui nous permettent de travailler avec des publics nécessitant d’être réinsérés professionnellement, voire socialement. Toutes ces alliances contribuent à notre notoriété.
Nous nous employons à faire la même chose à l’étranger en développant ce type d’accords avec des universités très renommées et des grands employeurs qui s’engagent à embaucher les personnes que nous formons. Notre notoriété en ressort renforcée en quantité comme en qualité.  


À terme, pensez-vous que le modèle OpenClassrooms continuera uniquement en ligne ou imaginez-vous d’autres formats ?  

La formation en ligne reste notre cœur de métier. Les universités et écoles proposent du présentiel. En travaillant ensemble, et c’est déjà le cas, nous pouvons offrir du blended learning qui mixent les deux approches. En parallèle, des espaces de coworking dans les principales villes sont mis à disposition. Par exemple, le jeudi après-midi à Paris, à un endroit donné, les étudiants peuvent retrouver ceux qui sont sur le même parcours qu’eux pour travailler ensemble, s’entraider, échanger.

Propos recueillis par Philippe Labrunie

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