À la tête du pôle média du groupe Havas (groupe Vivendi) depuis 2017, Laurent Broca connaît bien la maison pour y avoir travaillé de 2007 à 2013 en passant notamment par Havas Digital, puis Havas Media en tant que directeur associé et global client officer de Havas Digital de 2010 à 2013. Il revient sur la stratégie du groupe.

Décideurs. Comment le secteur de l’achat média a-t-il évolué ces dernières années ?

Laurent Broca. Au-delà de dates charnières pour le secteur, telles que le 25 mai 2018 avec la mise en place du RGPD, la tendance lourde de ces dernières années concerne l’intégration, de plus en plus forte, des « MarTech », un écosystème qui se densifie, et de la place de la technologie dans les problématiques médias des marques. Les prévisions montrent qu’en 2020, 80 % de la publicité display sera programmatique aux États-Unis et la tendance devrait être la même en France. Une tendance lourde qui implique que les marques se dotent de la technologie nécessaire pour y faire face.

Parallèlement à cette expansion des investissements technologiques, il y a une croissance de la défiance ces trois dernières années avec, à la fois des annonces de réduction drastique des investissements médias et des scandales liés à l’utilisation des données personnelles par des plateformes de l’écosystème Facebook telles que YouTube, d’où la mise en place du RGPD.

On oppose souvent achat premium et achat programmatique. Qu’en pensez-vous ?

L’achat programmatique et l’achat premium ne sont pas du tout antinomiques car on peut faire du programmatique premium. La question se situe aujourd’hui au niveau des KPIs [indicateurs de performance, Ndlr] que vont suivre les marques. Et à force de rechercher en priorité la performance, certaines en oublient parfois le caractère premium de leurs achats en programmatique.

On le sait, l’audience n’est plus le seul indicateur de performance d’un achat média. Quels sont les autres KIPs clés aujourd’hui ?

En effet, les KPIs ont évolué ces dix dernières années même si, sur le terrain, toutes les marques n’ont pas le même degré de maturité en la matière. Un média ne pourra devenir significatif qu’après une redéfinition de la lecture de son efficacité en tant que support publicitaire. On s’éloigne donc définitivement de l’efficacité à l’aune d’indicateurs purement médias pour suivre des indicateurs de performance à la fois business et liés aux marques pour évaluer, par exemple, l’évolution de la relation entre une marque et un prospect.

"Un média ne pourra devenir significatif qu’après une redéfinition de la lecture de son efficacité en tant que support publicitaire"

Quel avenir pour les contenus ?

Les marques sont en pleine réflexion sur leur contenu mais toutes n’ont pas encore intégré le fait qu’elles vont devoir substituer une partie de leur contenu publicitaire par du contenu de marque. Certaines ont néanmoins fait ce chemin et sont actuellement en train de réfléchir à la manière de transformer leur marque en média, c’est le cas notamment du groupe Orange ou du Crédit Agricole qui ont développé en interne des « content factory » pour conceptualiser et industrialiser le processus de création de contenu.

Iront-elles jusqu’à internaliser la production des contenus ?

Elles internalisent la capacité à piloter la production et non de produire voire de diffuser intégralement ces contenus. Elles ont compris qu’il devait y avoir une hybridation avec un pilotage interne tout en s’appuyant sur des ressources externes spécialisées dans le domaine.

Selon vous, le modèle d’agence traditionnelle peut-il être sérieusement concurrencé par les grands cabinets de conseil ?

Havas n’est plus, à mon sens, une agence traditionnelle dans la mesure où nous avons développé beaucoup de nouveaux métiers et de nouvelles approches pour accompagner nos clients notamment en stratégie. Si les grands cabinets de conseils se dotent, certes, de structures créatives et font évoluer leur business model, nous avons de notre côté et en tant qu’agence média, la capacité d’activation des campagnes. Nous ne sommes pas une entreprise de « tech » et ne souhaitons pas le devenir. Notre vocation est de sourcer les meilleures solutions tech du marché pour nos clients. Par notre approche agnostique de la technologie, nous restons très agiles, ce qui nous permet d’être beaucoup plus pertinents par rapport aux problématiques d’audience planning de nos clients.

Les Gafa sont-ils amis ou ennemis des marques ? Quel est votre rôle ?

Nous ne sommes pas comparables en termes d’échelle. La question se pose au niveau des marques que l’on ­accompagne. Si les Gafa peuvent aujourd’hui accompagner les marques, tout est une question de curseur. Notre mission, en tant qu’agence média, est de conseiller au mieux les marques et de les mettre en garde aussi contre ces plateformes afin qu’elles en tirent le meilleur et non le pire pour ne pas inféoder leur business, voire leur en donner les clés. Car ces plateformes sont tout à fait à même, demain, de le supplanter.

Si certaines marques ont bien conscience de la juste part de leur business qui va sur ces plateformes, ce n’est pas le cas de toutes car il y a encore un défaut de vigilance en la matière. Nous avons donc un rôle de vigie pour les accompagner au mieux. 

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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