Éric Pinon vient d’être réélu à la présidence de l’Association française de la gestion financière (AFG). Après avoir dressé le bilan de son premier mandat et dévoilé ses ambitions pour les années à venir, il a accepté de répondre sans tabou à nos questions sur les choix des Français en matière d’épargne.

Décideurs. Vous venez d’être élu pour un deuxième mandat à la tête de l’AFG. Quel bilan dressez-vous de ces trois premières années ?

Éric Pinon. Étant le premier président issu d’une société de gestion entrepreneuriale, certains ont pu penser que mon arrivée à la tête de l’AFG était quelque peu surprenante. Ma réélection apporte la preuve contraire : un représentant issu d’une société de gestion à taille humaine peut être le porte-parole de l’ensemble de la profession. Lors de ce premier mandat, je m’étais fixé trois objectifs : renforcer la compétitivité du monde de la gestion, travailler davantage ensemble et promouvoir l’éducation des investisseurs. Les deux premiers ont été atteints. Nous avons réussi à positionner l’AFG comme l’un des acteurs de premier plan et nous avons montré une unité dans les décisions bien supérieure à ce qui avait été fait jusqu’à présent.

Qu’en est-il de votre objectif d’améliorer l’éducation de l’investisseur ?

L’éducation devient désormais mon objectif numéro un, du côté tant des distributeurs que des investisseurs finaux. Nous devons faire preuve de pédagogie auprès des épargnants pour qu’ils puissent intégrer le fait que la retraite est un placement long et que la volatilité à court terme des marchés financiers ne doit, par conséquent, pas être vue comme un problème. L’AFG souhaite également participer à la montée en puissance des solutions d’épargne verte et au développement à l’international des acteurs de la gestion. Pour ce deuxième mandat, il est par ailleurs essentiel que ce soient les membres de l’AFG qui portent la parole. Les messages individuels ne devront pas venir troubler les messages collectifs.

"L’éducation devient désormais mon objectif numéro un"

Depuis la loi Macron de 2015, le capital investissement gagne du terrain en assurance-vie. Les banques privées, les conseillers en gestion de patrimoine mais aussi les acteurs de l’épargne en ligne ont ainsi musclé leur offre. Pensez-vous qu’il faille améliorer le dispositif réglementaire existant ?

Probablement. Nous poussons pour que ces solutions d’épargne soient davantage présentes dans les unités de compte des assurances-vie. J’attire cependant l’attention sur l’illiquidité du sous-jacent. Ce placement demande un horizon de temps important. À la fin des années 1970, toute entreprise rêvait d’être cotée en Bourse. Aujourd’hui, les sociétés restent durablement en dehors des marchés financiers, mais le partage de leur valeur est à mes yeux de même nature. Il est, en effet, plus difficile pour les entreprises de taille moyenne de s’introduire en Bourse, à la fois pour des questions réglementaires et financières. Il est donc important que les investisseurs privés aient la chance de profiter des belles aventures françaises et européennes.

L’attrait des épargnants pour le capital investissement n’est-il pas également le signe d’un moindre intérêt des investisseurs pour les marchés financiers ? Est-il encore possible de redonner le goût des actions aux Français ?

Prenons l’exemple d’un propriétaire immobilier. Lorsqu’il met la clé dans la serrure pour entrer dans son logement, le prix au m2 ne s’affiche pas. Ce n’est, hélas, pas le cas des actions, dont la cotation est en temps réel. Pourtant, le marché immobilier peut être soumis à des évolutions de prix très sensibles. Entre 1990 à 2000, les prix ont baissé de 35 %. Les épargnants doivent comprendre que l’investissement en actions est à regarder sur une très longue période. On ne pourra redonner de l’attrait aux placements en actions que si l’on donne envie aux Français d’investir sur le long terme. Cette approche me semble d’autant plus pertinente que les rendements des produits sans risques sont désormais proches de zéro. Pour bénéficier de meilleures performances, il faut se placer sur d’autres actifs. Et les valeurs d’entreprises cotées ou non cotées me paraissent être une réponse adaptée à cette problématique.

"Si l’on veut changer profondément les choses, tous les placements devront être transférables" 

La loi Pacte prévoit un volet important sur l’assurance-vie et a adopté le principe de « transférabilité interne ». Ce dispositif peut-il, selon vous, avoir des conséquences notables pour les épargnants ? Les réticences potentielles des assureurs ne vont-elles pas condamner son application ?

Contrairement aux établissements bancaires qui ont accepté l’idée d’une transférabilité totale pour les plans d’épargne en actions (PEA), les assureurs sont réticents à ce que ce principe soit appliqué à l’assurance-vie. Cette enveloppe n’est donc malheureusement pas transférable vers un autre assureur. Ce dispositif donne toutefois la possibilité aux conseillers de faire comprendre à leurs clients que le sujet n’est pas figé, que les choses peuvent bouger, que d’autres placements que les fonds en euros sont à leur disposition pour valoriser leur épargne. Je reconnais que cela ne va pas bouleverser le monde de la gestion pour compte de tiers. Si l’on veut changer profondément les choses, tous les placements devront être transférables. Mais il y a tellement de barrières à la sortie que cela me semble compliqué à appliquer.

Lors des discussions autour de la loi Pacte, vous aviez appelé à une épargne retraite plus attractive. Votre vœu a-t-il été exaucé ? L’épargne retraite peut-elle rattraper une partie de son retard sur l’assurance-vie ?

26 % des dépenses de la France concernent la retraite. La question de leur financement est donc essentielle. Lorsque nos systèmes de retraite ont été mis en place, la durée de vie moyenne d’un retraité était d’environ six ans. Aujourd’hui, elle se situe entre 18 et 22 ans. Les Français commencent à accumuler de l’épargne pour leur retraite à 53 ans. Notre ambition est d’abaisser ce chiffre à 45 ans. Pour cela, il fallait rendre l’épargne retraite attirante. Or, il était difficile de convaincre les épargnants sans leur donner la faculté de pouvoir sortir en capital au moment de leur départ en retraite. Malgré ses avantages, la rente ne permet pas de transmettre un capital à ses héritiers si le cotisant décède trop rapidement. Cette nouvelle possibilité permet de libérer et de responsabiliser les épargnants. Elle va également renforcer la mission de conseil des acteurs de la gestion de patrimoine. Notre objectif est que d’ici à 2021, 100 milliards d’euros supplémentaires soient versés sur des produits d’épargne retraite.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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