Prison, peines, recrutement de magistrats... Les mots-clés des candidats pour la Justice sont, finalement, toujours les mêmes. Mais leurs idées diffèrent : panorama des principales propositions.

Il y a deux ans, Éric Dupond-Moretti annonçait, pour 2021, un budget Justice "exceptionnel et historique". 8,2 milliards pour "rendre une justice de qualité", la promesse était belle. Dans les faits, c’était bien un budget inédit… Qui, aux yeux de ses opposants, a été mal réparti. Et n’a pas suffi à satisfaire les magistrats : ils sont plus de 7 000 à avoir signé, fin 2021, une tribune alertant sur leurs conditions de travail et exigeant plus de moyens. Près de 1 000, dans la foulée, ont manifesté bien que leur profession ne leur donne pas le droit de grève. D’autres ont, il y a quelques mois, mis le garde des Sceaux en examen pour prise illégale d’intérêts dans le cadre d’une enquête sur de possibles conflits avec ses anciennes activités de pénaliste.

Évidemment, tous les candidats en lice promettent de faire mieux. Valérie Pécresse promet un "plan Orsec" de 9 milliards injectés dans les tribunaux, car "la justice souffre d’un manque de moyens qui la paralyse, et la situation est dramatique", selon les mots d’Hervé Lehman, avocat et soutien de la candidate. Yannick Jadot, pour sa part, propose un milliard d’euros supplémentaire d’ici à 2027. Mais la question de la justice ne se pose pas qu’en termes de moyens.

À droite, course à la fermeté

Justice trop laxiste, pas assez… À droite, c’est simple : tout le monde rêve de peines plus sévères. Nicolas Dupont-Aignan et Valérie Pécresse (ré)instaureraient des peines planchers pour les récidivistes, supprimées par une loi du 15 août 2014. Éric Zemmour et Marine Le Pen, quant à eux, les appliqueraient à tous les crimes et délits. Tous souhaitent réduire, voire supprimer, les possibilités d’aménagement ou de réduction de peine. Au Rassemblement national et à Reconquête!, on prône aussi l’établissement d'une perpétuité réelle. Éric Zemmour et Valérie Pécresse s’accordent sur la majorité pénale à 16 ans, ce qui impliquerait que les jeunes de 16 à 18 ans seraient jugés par un tribunal correctionnel ou une cour d’assises ordinaire… Et ne s’inscrirait pas vraiment dans la lettre de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France, qui prévoit que les mineurs soient soumis à une justice spécifique. L’idée déplairait sans doute aussi au Conseil constitutionnel, qui a jugé, en 2002, que la majorité pénale à 18 ans était un principe constitutionnel.

En matière de justice, le clivage gauche droite existe bel et bien

Mais c’est avec une autre idée que la candidate LR se distingue : la création d’une "circonstance aggravante" pour les auteurs de crimes commis dans l’un des 62 quartiers de "reconquête républicaine". Une suggestion jugée, à raison, par Éric Dupond-Moretti comme "quintuple fois inconstitutionnelle". Nicolas Dupont-Aignan, pour sa part, souhaite faciliter la délocalisation dans des juridictions régionales pour "juger les délinquants loin de leurs quartiers".

Places en prison

Se pose alors une question essentielle : où installer les détenus ? Emmanuel Macron promettait, en 2017, d’ouvrir 15 000 places de prison. Cinq ans plus tard, la réalité est différente : les établissements pénitentiaires de l’Hexagone peuvent accueillir 2 000 détenus supplémentaires. Nicolas Dupont-Aignan créerait 40 000 places de prison, Marine Le Pen 25 000. Valérie Pécresse, qui demanderait une participation financière aux détenus pour leur incarcération, en construirait 20 000. Éric Zemmour n’en prévoit que 10 000, avec une autre solution pour régler le problème de la surpopulation carcérale : l’expulsion de 10 000 étrangers incarcérés. Graphique à l’appui, il tient à souligner, dans son programme, la part totale des étrangers mis en cause dans divers crimes et délits en 2020 et celle, plus précise encore, de la proportion, parmi ces étrangers, d’individus ayant la nationalité d’un pays africain.

En 2017, le programme d'Emmanuel Macron promettait l'ouverture de 15 000 places de prison. Le chiffre est finalement de 2 000

Anne Hidalgo veut pouvoir garantir l’encellulement individuel, mais, comme Yannick Jadot, Jean Lassalle et Philippe Poutou, elle préférerait recourir davantage aux alternatives à l’incarcération. Ces candidats souhaitent rompre avec le tout-carcéral pour les faits ou délits mineurs, donc privilégier les travaux d’intérêt général, les amendes et la liberté surveillée aux peines de prison. Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan voudraient développer le travail en prison pour favoriser la réinsertion. Jean Lassalle visualise des formations en association avec les entreprises. Philippe Poutou appliquerait le Code du travail aux détenus.

Recruter, beaucoup

Pour assurer la bonne gestion de tout ce monde judiciaire ? Des sous, forcément. Les candidats promettent de ne pas lésiner sur les moyens pour redonner à la justice la place qu’elle mérite. Ou, au moins, restaurer le service public de la justice et permettre à tous les acteurs du milieu judiciaire de rendre une justice rapide et accessible. Certains candidats n’ont pas d’objectif arrêté, d’autres si : Yannick Jadot recruterait 3 000 magistrats et 8 000 agents de tribunaux, Valérie Pécresse 3 000 juges et 2 000 procureurs, Éric Zemmour 3 000 magistrats et autant de greffiers. Marine Le Pen doublerait le nombre de magistrats. "On veut atteindre la moyenne européenne, qui se situe à 21,4 juges pour 100 000 habitants. En France, il n’y en a que 10,9 pour 100 000 habitants", explique Jean-Paul Garraud, député européen proche de la candidate RN qui souhaite, également, accroître le nombre de postes qui accompagnent les magistrats.

"Attention à la surenchère démagogique"

"Attention à la surenchère démagogique", avertit toutefois Élisabeth Guigou. L’ancienne ministre de la Justice, qui a choisi de soutenir la candidature d’Emmanuel Macron "car nous avons la même vision pour la justice", se félicite des 698 postes de magistrats créés pendant le quinquennat. Pour elle, promettre 5 000 juges supplémentaires n’est pas réaliste : "Pour disposer de 100 magistrats supplémentaires, il faut, en tenant compte des départs à la retraite, en recruter 250". Anne Hidalgo promet réduction des délais, simplification des démarches, amélioration de l’accès au droit. Valérie Pécresse veut réduire les délais de jugement des délits du quotidien à moins de six mois. Nicolas Dupont-Aignan assure que les affaires civiles, commerciales, prud’homales et administratives seront définitivement jugées en moins d’un an d’ici à 2027. Et a une idée pour que cela fonctionne : l’instauration d’un "véritable contrôle professionnel des magistrats", qui passerait notamment par une carte judiciaire de la France avec plusieurs indicateurs – délais de traitement des affaires, nombre de dossiers en attente, etc. – et la mise en place des bilans pour chaque tribunal, consultables par les citoyens. Jean-Luc Mélenchon expérimenterait les jurés dans les tribunaux constitutionnels. Mais lui qui, d’ordinaire, n’hésite pas à envoyer son hologramme en meeting limiterait, par contre, le recours à la visioconférence : l’outil "déshumanise la justice", d’après lui.

Éloigner le politique

Les promesses d’embauche sont là. Reste, pour certains candidats, à s’assurer que ces magistrats rendront une justice satisfaisante. Anne Hidalgo et Yannick Jadot veulent garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif, en alignant les nominations des magistrats du parquet sur celles du siège. L’écologiste, comme Jean-Luc Mélenchon, souhaite mettre un terme aux remontées d’informations, "sauf si elles appellent à une intervention directe de l’exécutif en matière d’ordre public", précise le candidat LFI. Fabien Roussel, de son côté, remplacerait le Conseil supérieur de la magistrature par un Conseil supérieur de la justice, "garant de l’indépendance des magistrats et magistrates". Nicolas Dupont-Aignan voudrait, lui, garantir la neutralité politique des magistrats. Son plan ? Supprimer les syndicats, qui ont "abouti à une politisation de la magistrature contraire à l’esprit de la justice populaire". À la place, des associations professionnelles se chargeraient des questions liées, uniquement, à l’exercice de la profession. Il simplifierait, aussi, les conditions d’engagement des procédures disciplinaires contre les juges.

Olivia Fuentes

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