Quête de sens, cadre de travail collectif structuré, égalité réelle : les entreprises sont aujourd’hui face à une triple attente de leurs collaborateurs. À elles de bien appréhender les conflits collectifs et la conflictualité individuelle.

Le monde du travail et de l’entreprise semble être en train de vivre un paradoxe : d’un côté des indicateurs historiques de la tension sociale qui ne cessent de diminuer – nombre de jours de grève, manifestations sociales, recours prud’hommaux – et de l’autre un sentiment, un ressenti sur des tensions de plus en plus fortes au sein des collectifs de travail. Ainsi, un sondage d’OpinionWay indique que deux tiers des salariés français se trouvent en situation de conflit au travail et que 25 % estiment que cette situation se produit “fréquemment” ou “assez souvent”. Les logiciels habituels de mesure de la tension sociale ne permettent donc pas de rendre compte d’une réalité plus complexe au sein des organisations, dans lesquelles cohabitent des conflits collectifs et une conflictualité individuelle.

Crise sanitaire et dialogue social

Tous les acteurs et les observateurs du dialogue social s’accordent à dire que la période de confinement puis la période progressive de déconfinement ont été marquées par une grande richesse d’échanges et de négociations entre les partenaires sociaux. Les accords sur le télétravail, l’activité partielle, les protocoles sanitaires de retour sur sites ont été très nombreux sans faire l’objet significativement de contentieux juridiques. L’organisation des réunions en distanciel, le rythme soutenu des échanges, la diversité des thématiques abordées ont contribué à régénérer cette matière qui peut être ô combien vivante : le dialogue social. Le métier RH et la fonction de DRH se sont retrouvés en première ligne pendant cette période, devant articuler la mise en place de nouvelles organisations du travail (accélération de la numérisation et du travail distanciel) et une plus forte prise en compte du facteur humain face aux risques sanitaires et aux risques psychosociaux. Selon le baromètre Cegos, 74 % des DRH trouvent ainsi que leur fonction est devenue plus stratégique avec cette crise. Les syndicats, qui ont eux aussi durant cette période imaginé ces articulations nouvelles entre organisation du travail et prise en compte du facteur humain, ont retrouvé également un regain de confiance auprès des Français dans les différents sondages.

Si les origines de la crise pandémique ne sont en rien comparables à la crise financière de 2008, il convient de noter que les “réponses” des pouvoirs publics ont été particulièrement différentes. Ainsi, en proposant aux entreprises des dispositifs, certes protecteurs pour les salaires, ils ont permis de donner un nouveau terrain de négociations aux partenaires sociaux. L’élaboration d’un nouveau contrat social au plus proche de l’entreprise voulu par les ordonnances travail a trouvé une vraie matérialité (à la différence des premiers accords de CSE) pendant cette crise avec un pouvoir public qui met à disposition (sans être dans l’intrusion et le contrôle permanent) des outils dont se saisissent les partenaires sociaux.

Du sentiment d’injustice à la conflictualité

Le cadre collectif et la négociation collective ont donc apporté une contribution positive au socle social et économique des entreprises. Néanmoins, cette dynamique ne semble pas répondre aux nouveaux enjeux sociaux. La crise sanitaire a amplifié un mouvement préexistant d’aspiration à une égalité réelle entre les personnes. Il y a bien évidemment eu, dans un premier temps, les salariés de la première ligne qui ont pu ressentir une injustice en termes d’exposition au risque pour leur santé, un sentiment d’injustice également vis-à-vis des règles de l’activité partielle et du rapport différent pour les uns et les autres entre temps de travail et rémunération. Les conditions de télétravail sont aussi rentrées dans le sentiment d’injustice en fonction de la situation familiale, des conditions ou des lieux d’habitation. Ces nouvelles injustices de situation sont venues s’agréger aux injustices de discrimination qui étaient de plus en plus dénoncées au sein des entreprises, comme l’inégalité entre les femmes et les hommes.

L’entreprise se retrouve donc aujourd’hui face à une triple attente. La première est celle d’un rapport au travail qui doit avoir plus de sens, d’utilité. L’entreprise à mission essaye de répondre à cette attente. La deuxième est celle d’un cadre de travail collectif structuré. Le dialogue social et les accords collectifs peuvent apporter des éléments de satisfaction sur ce sujet. Enfin, la dernière est celle d’une reconnaissance des singularités individuelles pour disposer d’une égalité réelle. Sur ce besoin, il faudra construire d’autres réponses que la production actuelle des relations sociales.

Des facteurs de régulation et une politique d’inclusion comme réponses possibles

On doit s’interroger sur la concomitance de la hausse de la conflictualité au plus près des personnes et des situations de travail avec les nouvelles organisations du dialogue social. En effet, les bilans des premières années de mise en place des CSE évoquent systématiquement le problème du dialogue social de proximité. La mise en place d’un “supra” CSE a conduit à négliger les régulations sociales de premier niveau. Les situations individuelles, c’est-à-dire les singularités des uns et des autres, pouvaient être évoquées dans des réunions de délégué du personnel. Ces instances étaient généralement en proximité et en connaissance de l’organisation réelle du travail et de l’animation managériale, des solutions pouvaient alors être trouvées et mises en place. La suppression de ces instances s’est parfois accompagnée de celle des RRH de proximité, autre acteur capable d’apprécier les situations individuelles et d’y apporter une résolution adaptée. Il ne reste aujourd’hui que la ligne managériale directe qui se retrouve à endosser une responsabilité supplémentaire dans des organisations qui ont déjà eu tendance à alourdir significativement le travail de l’encadrement.

En parallèle à une réflexion sur le dialogue social de proximité, une réponse adaptée à l’expression des singularités individuelles est de construire une politique inclusive. L’inclusion repose sur la compréhension des besoins de chacun pour pouvoir explorer son potentiel et s’épanouir. Il s’agit donc de cultiver l’ouverture et la curiosité vis-à-vis d’autrui pour faire coïncider compétences, besoins et envies avec les objectifs de l’organisation. En procédant ainsi, on supprime le sentiment d’injustice.

Résoudre les nouvelles formes de conflictualité en entreprise nécessitera un temps long de transformation culturelle, de transition inclusive. Néanmoins, des premières mesures peuvent être mises en place dans le cadre du renouvellement des accords CSE : représentant de proximité, fonctionnement des commissions du CSE, etc. Le renforcement et la formation des responsables RH de proximité en soutien des managers peuvent aussi apporter rapidement des évolutions positives. Ne pas anticiper, ne pas prévenir ces nouvelles formes de conflictualité est tout simplement impossible pour les entreprises qui s’exposeront d’une part à un mouvement interne de dénonciation et d’autre part à une érosion importante de leur attractivité sur le marché de l’emploi. 

Thomas Germain, directeur associé de Human & Work

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