Redevenu l’objet de débats parlementaires et de propositions de loi ces dernières années, le cadre juridique de la loi dite "de blocage" ("LdB") vient d’être renforcé par un décret de février 2022 et un arrêté ministériel de mars 2022, selon une approche voulue par les autorités françaises entre souplesse et sécurité juridique. Ces textes viennent consacrer un renforcement du dispositif qui s’est aussi construit par jalons, de sorte que la LdB bénéficiait déjà d’une considération renforcée de la part des autorités étrangères depuis quelques années. La solution retenue par les autorités françaises permet cependant d’offrir un cadre clair aux entreprises françaises en leur permettant à la fois de respecter leurs obligations nationales sans souffrir d’un système juridique pouvant entraver leur désir éventuel de coopération.

L’évolution de la loi de blocage

Schématiquement, la malnommée "loi de blocage" rappelle à toutes personnes physique ou morale qu’elles ne peuvent demander ou produire dans le cadre de procédures étrangères des "documents ourenseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique" sans passer par le canal des textes applicables en matière de coopération internationale, telle que la Convention de la Haye pour les procédures civiles, ou les traités d’entraide pénale internationaux pour les affaires pénales (Article 1 bis). La LdB fait le même rappel aux personnes françaises concernant la production à des autorités publiques étrangères de "documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public" (Article 1).

En ce sens, la LdB est ainsi plutôt une loi "d’aiguillage" ou de "rappel à la loi". La violation des articles 1er et 1er bis est sanctionnée par six mois de prison et/ou une amende de 18 000 euros pour les personnes physiques, et 90 000 euros pour les personnes morales (Article 3). La loi de blocage a par ailleurs toujours exigé que les personnes qu’elle vise informent sans délai le ministre compétent lorsqu’elles se trouvent saisies d’une demande de communication d’informations (Article 2). Cette obligation n’est cependant pas sanctionnée par cette loi, qui n’a jamais été codifiée.

Le renforcement du dispositif

Les entreprises françaises ont longtemps pu rencontrer des difficultés à faire reconnaître l’application de la LdB aux autorités étrangères, notamment de poursuite, celles-ci soulevant en particulier l’absence de risque pour les entreprises françaises de se conformer aux demandes étrangères compte tenu de l’absence quasi totale de condamnations en France pour violation de la LdB. Cette résistance s’est cependant progressivement assouplie en réaction aux discussions dont la LdB a fait l’objet en France depuis 2016. Ainsi, ont successivement remis la LdB sur le devant de la scène : les rapports parlementaires Lellouche-Berger et Gauvain, qui préconisèrent notamment le renforcement des sanctions pénales en cas de non-respect de la LdB ; la loi Sapin 2, qui confia à l’Agence française anticorruption le soin de veiller au respect de la LdB dans le cadre de procédures étrangères dites de "monitorship"; et la création du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques ("Sisse"), en charge de veiller, entre autres, à l’application de la LdB par les personnes y étant assujetties.L’implication grandissante des autorités françaises, et notamment du PNF, dans les dossiers multijuridictionnels a également favorisé la reconnaissance et le respect de la LdB par les autorités étrangères.

La réponse des autorités françaises aux préconisations des rapports précités se faisait cependant attendre pour confirmer les signaux latents envoyés par la France ces dernières années en matière de LdB. C’est finalement le choix de l’accompagnement plutôt que de la sanction (qui reste ainsi inchangée) qui fut préféré par le gouvernement. Ainsi, en février 2022, le décret n°2022-207 vint confirmer l’obligation pour les personnes visées par la LdB de communiquer "sans délai" au Sisse toute demande de communication d’information reçue de la part d’autorités étrangères. Le décret prévoit également qu’uneréponse sera donnée aux opérateurs quant à l’applicabilité de la LdB sous un mois.

Le décret fut complété en mars 2022 par un arrêté ministériel venant préciser les informations attendues par le Sisse dans le cadre du dépôt de dossier des entreprises. Enfin, un ultime effort de clarification du dispositif fut consacré par des lignes directrices Medef/Afep, publiée en concertationavec le Sisse, quant aux données "sensibles" visées par l’article 1er de la LdB.

L’impact de la réforme sur les opérateurs

Sur le fond, la lettre de la LdB reste inchangée et les textes de 2022 ne créent pas de dispositif nouveau (la lecture combinée de l’article 2 et des réformes récentes imposaient déjà aux entreprises recevant des demandes d’information étrangères de se manifester auprès du Sisse). Cependant, cette "réforme" aura un impact positif sur les opérateurs et les enquêtes internationales à plusieurs titres. C’est d’abord la confirmation par la France qu’elle entend continuer à veiller au respect de la LdB par ses entreprises et les autorités étrangères. La difficulté pour un opérateur ou une autorité étrangère de contraindre un opérateur français à se soustraire à la LdB devrait ainsi aller en grandissant. Par ailleurs, le dispositif ainsi clarifié n’est dissuasif ni pour les entreprises françaises, qui ont peu de pièces à fournir, ni pour les autorités étrangères, qui reçoivent l’assurance d’une prise en considération,par l’intermédiaire des entreprises françaises, de leur demande en un temps réduit (un mois). Si la teneur de l’avis émis par le Sisse n’est pas encore clairement établie à ce jour (va-t-il s’agir d’un simple avis sur l’application de la LdB, ou l’avis sera-t-il assorti d’une recommandation quant à la procédure à suivre pour s’y conformer ?), celui-ci offre une sécurité juridique aux entreprises françaises et, par leur intermédiaire, l’ouverture d’un canal de discussion aux autorités étrangères. C’est enfin un outil qui pourra se révéler précieux pour les entreprises françaises qui, à défaut de jurisprudence, manquent encore d’éclairage quant à l’application de la LdB dans certaines circonstances particulières, comme celles de données appartenant à une entreprise française, mais sauvegardées sur des serveurs "cloud" à l’étranger.

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Sidne Koenigsberg et Margot Sève

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