Par Patrick Jaïs, avocat associé, et Sampiero Lanfranchi, avocat. De Pardieu Brocas Maffei
La récente censure du pouvoir de sanction de l’Arcep, autorité administrative indépendante, soulève l’actualité de la question du respect des droits de la défense dans la procédure d’enquête et de sanction de l’AMF.

Autorité administrative indépendante, l’Autorité des marchés financiers (AMF) présente des particularités au regard de notre organisation judiciaire. L’AMF se voit conférer de fait l’ensemble du pouvoir réglementaire, exécutif et de la fonction judiciaire lié au droit et contentieux des marchés financiers, justifiant que soit portée une attention toute particulière aux règles susceptibles d’éviter les conflits d’intérêts en garantissant l’impartialité des organes de l’AMF. Cette particularité atteste de la contradiction entre la position soutenue par l’AMF, qui considère ses organes comme un tout indivisible, et la nécessité pour la Commission des sanctions de se transformer, pour reprendre les termes de sa présidente, en un véritable «?Tribunal des marchés financiers?».

L’AMF, une spécificité française ?
L’AMF, malgré une séparation dite «?fonctionnelle?», réunit en son sein un pouvoir réglementaire, exécutif, mais également une fonction de nature judiciaire. Réglementaire, d’une part, puisqu’elle participe à l’élaboration de son règlement, lequel s’impose de fait tant aux prestataires qu’elle agrée qu’aux opérateurs et investisseurs qui agissent sur les marchés réglementés. Exécutif, d’autre part, en ce qu’elle contrôle l’application des règles qu’elle fixe. Enfin, l’AMF dispose du pouvoir de sanctionner les pratiques qui porteraient atteinte aux règles qu’elle édicte, au travers d’une procédure de sanctions, et dont le déclenchement résulte d’une «?notification de griefs?» (décision de poursuite) appartenant au Collège. Ces seuls éléments justifient qu’une attention particulière soit portée sur le respect des droits de la défense et du droit à un procès juste et équitable lors de la procédure de sanction. Si des avancées récentes témoignent d’une véritable volonté d’aller dans ce sens, la pratique montre qu’un pan entier de la procédure échappe toujours à cette logique, et plus particulièrement les règles relatives à l’impartialité des intervenants.

La phase d’enquête, les apports de la charte de l’enquête
Lorsque l’AMF s’interroge sur le respect des dispositions du règlement général, le secrétaire général peut prendre la décision d’ouvrir une enquête. Cette enquête est alors confiée à la Direction des enquêtes et des contrôles qui dispose d’un large éventail de pouvoirs d’investigation concernant les faits visés, toute résistance pouvant alors être constitutive d’un délit d’obstacle, répréhensible pénalement (1). Initialement, peu de règles encadraient ce pouvoir en vue de protéger le justiciable d’éventuels conflits d’intérêts. Pourtant, une nouvelle charte de l’enquête adoptée le 10?septembre 2012 a marqué une avancée considérable en la matière, en imposant formellement - en application de l’article R621-33 du code monétaire et financier (CMF) - l’obligation pour les enquêteurs d’effectuer leur mission en parfaite impartialité : «?Nul ne peut-être désigné pour effectuer une enquête ou un contrôle auprès d’une personne morale au sein de laquelle il a exercé une activité professionnelle au cours des trois années précédentes?» ou s’il «?a contrôlé ou conseillé les personnes concernées sur les services ou transactions en cause?». En outre, la charte précise également l’obligation d’enquêter à «?charge et à décharge?», et de respecter strictement le principe du droit à la présomption d’innocence. À l’issue de leurs investigations, les enquêteurs produisent un rapport d’enquête, présenté au Collège qui prendra alors la décision de poursuivre ou non la procédure.

L’opacité de la décision de poursuite
Organe pivot de la procédure, le Collège décide de l’opportunité de poursuivre ou non un justiciable, et d’enclencher la procédure dite de «?sanctions?» qui se conclura en principe par l’audience publique devant la Commission des sanctions, et la publication de la décision. Or le Collège, à la différence de la Commission des sanctions, ne peut pas être considéré comme un «?tribunal?» au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (2), et aucune disposition ne protège le justiciable contre d’éventuels conflits d’intérêts et/ou risques de partialité des membres du Collège appelés à statuer sur la décision de poursuite. Si le Collège n’est en effet pas appelé à trancher le litige sur le fond, cette interprétation ne devrait-elle pas être remise en cause à la lumière de la gravité des enjeux en cause ? Ne pourrait-il pas être opposé qu’en prenant sa décision à la lumière du rapport d’enquête, d’une part, et de la réponse du mis en cause à la lettre circonstanciée adressée par la Direction des enquêtes et des contrôles d’autre part, le Collège présente déjà un avis sur l’issue du litige ? Ainsi, le justiciable devrait avoir systématiquement accès au procès-verbal de la décision du Collège, afin de comprendre les motifs ayant justifié la décision de poursuite. Chaque membre du Collège devrait divulguer les éventuels conflits qui le concernent ou, de manière préventive, s’abstenir de participer au vote lorsqu’il existe un risque de conflits d’intérêts.

La récusation des membres de la Commission des sanctions

Au stade de la phase de sanction, le droit à un tribunal impartial est garanti par la mise en place d’une procédure de récusation ouverte au mis en cause. Cependant, cette procédure, encadrée dans un délai très court, manque d’efficacité. En effet, compte tenu du caractère confidentiel des affaires qui peuvent être traitées par les membres de la Commission des sanctions dans leurs fonctions civiles, certains conflits d’intérêts n’apparaissent qu’après l’audience devant la Commission des sanctions. À ce titre, il paraît judicieux que l’AMF, s’inspire des règles applicables en matière d’arbitrage, et notamment de l’article 1456 du Code de procédure civile, qui énonce : «?Il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission?».
En outre, l’AMF pourrait également prendre exemple de la procédure applicable devant la CCI (3), prévoyant que chaque arbitre révèle la totalité des conflits potentiels à un tiers de confiance, lequel est ensuite chargé d’attester de l’impartialité de la formation.
Enfin, et au vu de ce qui précède, il paraît nécessaire d’opérer une véritable coupure organique entre l’AMF et la Commission des sanctions, laquelle, à l’image par exemple de ce qui se fait outre-Atlantique avec la SEC, permettrait de lever le doute sur d’éventuels conflits d’intérêts ou de confusion entre les départements de l’AMF et de mettre à la disposition des justiciables une Commission des sanctions
bénéficiant de tous les attributs d’un véritable tribunal.

1-Article L.642 2 du CMF
2-AMF CDS, 8 janvier 2009
3-Article 9.2 du règlement CCI





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