Par Laurent Gamet, avocat associé. Flichy Grangé Avocats
Le droit pénal du travail n’est-il pas comme le fantôme dans le grenier, que l’on craint beaucoup sans l’avoir jamais vu ? Plus ou moins. Même si elle n’a pas l’ampleur et la sévérité qu’elle pourrait avoir, à lire les textes, la répression pénale des infractions du travail existe, et elle mobilise les avocats travaillistes. Avec parfois le sentiment d’une fatalité. La perspective d’une dépénalisation reste toujours d’actualité.

S’il était entrepris, le recensement exhaustif de l’ensemble des incriminations ferait apparaître un droit du travail largement recouvert des eaux du droit pénal, comme ces vues aériennes de paysages inondés d’où n’émergent que de rares parcelles à découvert. Le législateur résiste difficilement au charme terrible de la sanction pénale.

L’intérêt des poursuites pénales est discutable
Une déclaration de culpabilité pénale est utile lorsque le salarié entend ultérieurement obtenir la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur. L’action pénale a également une portée symbolique très forte. Cependant, le choix de la voie pénale s’avère souvent délicat pour les salariés. En premier lieu, le principe d’interprétation stricte des textes en matière pénale et le régime probatoire propre au droit pénal peuvent conduire le juge répressif à prononcer la relaxe, alors que le juge civil aurait peut-être admis la responsabilité civile de l’employeur. En cas de relaxe, l’autorité de la décision pénale sur le civil affaiblit considérablement le dossier prud’homal, si elle ne le ruine pas. En second lieu, l’engagement d’un procès pénal avant un procès prud’homal est une option entraînant des délais supplémentaires.

L’intérêt pour les représentants du personnel à engager une action pénale est également loin d’être acquis. Dans les années?1960 et?1970, la chambre criminelle de la Cour de cassation a paru plus «?sociale?». Le recours au juge pénal a servi alors de pied-de-biche pour ouvrir de nouvelles interprétations des textes de droit du travail. Un tel intérêt pour les représentants du personnel de recourir au droit pénal a aujourd’hui disparu. Difficile en effet d’affirmer que la chambre sociale ne serait pas «?sociale?». La condamnation du manquement de l’employeur aux droits des représentants du personnel peut être recherchée de façon plus efficace sur le terrain civil. Le juge civil, aujourd’hui, annule, suspend, réintègre, indemnise, ordonne…, de sorte que les représentants du personnel privilégient l’action civile.

Au-delà des victimes, les poursuites pénales peuvent être initiées par les inspecteurs du travail. De fait, les inspecteurs du travail se sont forgé un outil original : la menace du procès-verbal. Mais pour qu’une menace soit crédible, il convient que la personne menacée soit convaincue qu’elle subira un châtiment si elle n’obtempère pas. Or, la moitié des procès-verbaux des inspecteurs du travail restent lettre morte. La répression pénale se concentre sur quelques infractions, principalement en matière de santé au travail et de travail dissimulé.

Les peines encourues ne sont pas les peines prononcées
Outre diverses contraventions, la loi prévoit de nombreux délits, généralement passibles d’un emprisonnement (d’un an à cinq ans) et d’une amende. Aussi le Code du travail prévoit-il fréquemment qu’il est prononcé autant d’amendes délictuelles ou contraventionnelles que de salariés concernés par l’infraction. Enfin, certains délits sont passibles de peines complémentaires. Celles encourues par les personnes morales peuvent paraître démesurées : en toute légalité, un Tribunal correctionnel peut interdire à un constructeur d’automobiles de produire des automobiles, s’il est reconnu coupable d’avoir causé involontairement une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois au sein d’une usine.
Mais si l’on est impressionné par les peines encourues, on l’est moins par les peines prononcées. À bien y regarder, souvent, le chef d’entreprise ne craint pas tant la condamnation que les poursuites. Certains chefs d’entreprise vivent bien plus difficilement une mise en examen ou une audience, que la peine prononcée. La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité présente alors un intérêt bien compris.

Les délits non intentionnels, ou la répression perçue comme une fatalité
Le droit pénal peut être perçu comme la contrepartie d’un risque, et ce d’autant plus quand est sanctionnée une infraction non intentionnelle. La loi du 10?juillet 2000 a eu pour objectif de dépénaliser certaines infractions non intentionnelles en retenant la culpabilité seulement en présence d’une faute délibérée ou caractérisée, lorsque la personne n’a pas causé directement le dommage. Mais les employeurs n’ont pas bénéficié de la mansuétude que les parlementaires accordaient de fait aux décideurs publics (donc le plus souvent à eux-mêmes). Le juge entre quasi systématiquement en voie de condamnation, en retenant le moindre manquement, tout en modulant la peine selon plusieurs paramètres que sont le dommage (mort, blessé plus ou moins grave) et le caractère plus ou moins grave du manquement de l’employeur, alors que le premier paramètre détermine la nature de l’infraction et le second devrait être retenu en amont pour se prononcer sur la culpabilité.

Vers une dépénalisation ?
Le droit pénal du travail irrite ; d’autres relativisent la critique, arguant que son application est modérée. En écho aux employeurs qui exhibent leurs condamnations pour illustrer l’arbitraire du droit pénal du travail, comme l’ancien combattant montre ses blessures pour plaider la stupidité de la guerre, recommandée par certains rapports (1) la dépénalisation est un serpent de mer, et l’on fixe en ligne de mire d’autres droits qui se sont engagés dans cette voie.
L’objectif ne saurait être de passer au massicot le droit pénal du travail. Il s’agirait davantage de repérer dans le fatras d’aujourd’hui les règles de droit du travail dont la violation s’analyse en un comportement grave, celles où l’intérêt public est en jeu au-delà de celui des parties. Sur ces infractions pourrait se polariser le droit pénal du travail. Au final, d’ailleurs, les incriminations qui subsisteraient après cette décantation devraient peu ou prou se superposer à celles aujourd’hui effectivement poursuivies. Disparaîtraient du Code du travail les dispositions pénales fantômes qui le hantent : chambres d’allaitement, cabinets d’aisance, droit pénal du contrat d’apprentissage, etc. De même, pourraient être exclus du champ de la répression pénale, les comportements sans véritable culpabilité, ceux qui témoignent d’une défaillance et non d’une délinquance, l’intérêt des victimes étant pris en compte par les mécanismes de responsabilité civile.

1- Rapport de Virville, « Pour un code du travail plus efficace », janvier 2004.


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