Par Cécile Théard-Jallu, avocat associé. De Gaulle Fleurance & Associés
Le contexte économique délicat et les difficultés à trouver des financements n’empêchent pas le secteur de la santé de poursuivre ses efforts de R&D et pour certains acteurs, de lancer de nouveaux projets collaboratifs mêlant partenaires publics et privés. L’innovation est sur tous les fronts… Et le droit dans tout cela ? Voici un bref aperçu de quelques enjeux juridiques que ces projets induisent.

Rapprocher recherche publique, universités et monde industriel, personnaliser la médecine, développer les technologies numériques du futur… Les sujets sont multiples et l’innovation par la R&D publique/privée a de beaux jours devant elle malgré la crise économique. La preuve en est des programmes de financement public pluriannuels lancés en France ou en Europe comme le Programme d'investissements d’avenir (PIA) dont une part importante de l’enveloppe vise les sciences de la vie. L’expérience montre que l’innovation doit également passer par le droit pour l’accompagnement de tous
ces projets.

R&D rime avec mosaïque juridique
Quel que soit leur stade d’avancement, les projets de R&D réclament la mobilisation de disciplines juridiques variées. Viennent naturellement à l’esprit le droit de la propriété intellectuelle et les outils permettant d’assurer à la fois sa protection et sa valorisation. La check list est vaste pour les partenaires : quelle technologie préexistante, apportée par qui, qui d’autre peut l’utiliser, pour quelle durée, dans quel but ? Quels sont les résultats recherchés ? Qui sera titulaire des droits de propriété, y aura-t-il une copropriété, selon quels critères de répartition et qui en assurera la gestion ? Qui pourra les exploiter, dans quel domaine, quel territoire, quelles conditions notamment financières ? Quelles conditions et conséquences pour une entrée ou sortie de partenaire en cours de projet ? À ceci se greffent les règles du droit des sociétés lorsqu’une nouvelle entité est créée pour héberger le projet. L’on peut citer l’exemple des Instituts de recherche technologique dans le cadre du PIA. Là encore les questions sont multiples : quelle forme sociale pour le projet, quels apports de chacun, faut-il prévoir un règlement intérieur et lui adosser une charte de propriété intellectuelle, quelles règles de gouvernance ? Sont également en jeu d’autres disciplines comme, par exemple, le droit public, fiscal, social, commercial… : tâches confiées par des partenaires publics déclenchant l’éventuelle application du code des marchés publics, choix du régime de TVA et de droits de mutation, CIR, mise à disposition ou affectation de personnel, statut des personnels de la nouvelle structure, rédaction de conditions générales pour des activités «?économiques?» qu'elle mènerait parallèlement… Tous ces paramètres seront évalués pour la labélisation du projet et la négociation de la convention de financement avec l’organisme public financeur. Autre question centrale, celle des aides d’État qui relève directement du droit européen : quelle que soit sa forme (subvention, avance remboursable, accès privilégié à une technologie, etc.), un financement public est susceptible, dans certaines conditions, d’être qualifié d’aide d’état (1). Or le droit européen les interdit par principe puisqu’elles faussent la concurrence, sauf à remplir certains critères (2) notamment plafonds d’aides maximum liés à la nature de la recherche (fondamentale, industrielle, développement expérimental), coûts éligibles et structuration (en particulier organisme de recherche ou entreprise avec, dans ce cas, une analyse projet par projet pour le calcul des seuils). Au-delà du financement direct, les aides d’État peuvent en outre se loger dans des recoins des projets (aides indirectes d’organismes publics participants, accès privilégié aux moyens ou aux résultats issus du projet…). Une analyse fine est donc requise pour rester dans le maillage imposé par l’Europe.

En constante évolution

L’assistance juridique aux partenaires du projet devra également tenir compte du caractère par essence évolutif de la R&D, à envisager sur plusieurs années notamment sur les conditions d’exploitation des résultats. Or la réglementation en vigueur est elle aussi en cours de révision. Outre la réforme du brevet unique européen qui impactera bientôt la façon de protéger la technologie, c’est par exemple le régime des aides d’État qui évolue avec entre autres un nouveau règlement d’exemption par catégorie devant entrer en vigueur en 2014 (3). Ainsi les règles d’exemption ex ante devraient être simplifiées avec des seuils de notification individuelle relevés (par exemple doublement des seuils sur la recherche fondamentale et industrielle…). Même chose pour le contrôle ex post de l’effet incitatif. Les règles d’exemption en matière d’accords de transfert de technologie (4) évoluent également (nouveau règlement attendu pour 2014, avec par exemple une clarification attendue de son champ d’application à l’égard de dispositifs comme le règlement d’exemption sur les accords de R&D(5)). Rendez-vous donc dans quelques semaines ou mois pour les textes définitifs sachant plus globalement, que le financement de la recherche en Europe s’inscrit désormais dans le nouveau programme «?Horizon 2020?» : par ce nouveau dispositif, l’UE adopte une approche stratégique et intégrée en matière de recherche et d’innovation pour la période 2014-2020, avec notamment un seul programme-cadre rassemblant des initiatives aujourd’hui séparées (PCRDT, CIP, IET...) et un centrage sur six défis sociétaux majeurs dont la santé (6).

À approcher sous une forme résolument intégrée

Les risques sont nombreux si les aspects juridiques des projets de R&D ne sont pas bien maîtrisés : paralysie dans la gouvernance des projets, perte des efforts consentis par une insuffisance de protection et de valorisation des résultats, voire fuite de la technologie, suspension voire remboursement des aides publiques, actions en justice de concurrents indûment évincés…
Ce ne sont là que quelques paramètres qui peuvent contribuer à mettre en péril un projet voire tout un pan d’une stratégie de développement. Il convient d’y répondre par une approche décloisonnée de la pratique juridique, en équipe projet intégrée constituée d’un ensemble d’expertises complémentaires et transversales. Ainsi, le juridique pourra contribuer à la création de valeur pour tous les partenaires du projet et ceux qui le portent.

1- Art.107 à 109 du TFUE.
2-Cf. en particulier le Règlement n°800/2008 d’exemption d’aides par catégorie du 6/08/2008, notamment la section 7 sur les aides à la R&D et innovation, ainsi que l’Encadrement communautaire des aides d’Etat à la R&D&I 2006/C323/01 du 30/12/2006.
3- http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-728_fr.htm;http://ec.europa.eu/competition/consultations/2013_second_gber/index_en.html
4- Règlement n°772/2004 du 27/04/2004
5- Règlement n°1217/2010 du 14/12/2010
6- http://ec.europa.eu/research/horizon2020/index_en.cfm

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