Par Philippe Berteaux, associé en charge du pôle Restructuring et Procédures collectives. Marvell
La mise en faillite récente de la ville de Detroit, si elle repose sur un particularisme procédural propre aux États-Unis, n’en doit pas moins nous interpeller sur le rôle des collectivités publiques dans le financement de notre économie.

Une procédure ancienne et dérogatoire par rapport au Chapter 11
Le 3 décembre 2013 (1), le juge Steven Rhodes (qui siège à la « Bankruptcy Court for the Eastern District of Michigan ») a déclaré éligible la ville de Detroit (Michigan) à la procédure collective réservée aux municipalités et collectivités publiques dans le cadre de la procédure de Chapter 9.
L’ouverture de cette procédure collective fait suite à plusieurs rebondissements procéduraux intervenus après que la ville eut déclaré son état d’insolvabilité le 18 juillet 2013 en raison de son incapacité à faire face aux 18,5 milliards de dettes contractées auprès de 100 000 créanciers. (2) 
Cet épisode, qui frappe une ville emblématique surnommée « Motor city » du temps de sa splendeur lorsqu’elle hébergeait les fleurons de l’industrie automobile américaine (Chrysler et General Motors) (3) , mérite que l’on s’y arrête en raison du caractère atypique de la procédure de Chapter 9.
Chacun d’entre nous a déjà entendu parler de la procédure de Chapter 11, dédié aux sociétés de droit privé et ce notamment à l’occasion de la faillite de Lehman Brothers, voire de l’élaboration de la loi de sauvegarde n°2005-845 du 26 juillet 2005 en France en tant que source d’inspiration de cette loi.
Le premier texte consacrant le bénéfice d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre d’une municipalité a été voté à l’époque de la grande dépression, soit en 1934. (4)
Il fut amendé sur l’invitation de la Cour suprême au nom du respect du pouvoir de souveraineté des États garantie par le 10e amendement de la Constitution des États-Unis.
Jusqu’à la faillite de la ville de Detroit (qui regroupe une population de 700 000 personnes), les cas d’ouverture de Chapter 9 sont demeurés rares, le seul exemple notable concernant l’insolvabilité de la commune d’Orange County (Californie) en 1994.
Au plan procédural, le Chapter 9 présente plusieurs particularités par rapport à la procédure de Chapter 11.
L’une des différences notables réside dans le fait que le plan de restructuration de la dette et de remboursement s’impose à tous les créanciers (qui sont regroupés dans un comité), même récalcitrants, créanciers qui ne peuvent présenter de plans concurrents.
La procédure doit aboutir à un projet de plan de restructuration et d’apurement qui, pour être homologué par la cour compétente, doit apparaître comme respectant « the best interests of creditors ».
Cette condition également posée dans la procédure de Chapter 11, n’a pas la même signification que dans le Chapter 9.
Sous l’empire du Chapter 11, la condition tirée du respect des meilleurs intérêts des créanciers est observée lorsque ceux-ci reçoivent dans le cadre du plan plus que ce qu’ils n’auraient reçus en cas de liquidation judiciaire du débiteur. (5)
Dans le cadre de la procédure de Chapter 9, la condition est interprétée forcément différemment car les actifs de la municipalité ne peuvent pas être liquidés pour payer les créanciers, ce qui constitue une véritable particularité de la procédure (la réalisation des actifs du débiteur constituerait une atteinte au 10e amendement de la Constitution en ce qu’elle empiéterait sur la souveraineté des États). (6)
En réalité, la condition est observée lorsque le plan paraît meilleur que toute autre solution alternative qui, dans les faits, impliquerait l’exercice de façon aléatoire et désorganisée par chacun des créanciers d’actions individuelles en recouvrement.

Des collectivités publiques immunisées en France
En droit français, les personnes publiques sont exclues du champ d’application du Livre VI « Difficultés des entreprises » du Code de commerce.
Cette exclusion n’a pas de caractère technique et repose sur une approche plus protectrice encore qu’aux États-Unis de la prérogative de puissance publique et des biens des personnes publiques qui ne doivent pas être exposés par l’intrusion de la chose privée.
Cela étant, le droit français s’est doté des instruments nécessaires pour prévenir toute dérive financière d’une collectivité publique à travers les règles tirées de (i) l’équilibre budgétaire (couverture de l’intégralité des dépenses par les recettes et impossibilité de voter un budget en déficit), (ii) du caractère sincèrement évalué des recettes et des dépenses et de (iii) de la capacité à rembourser le capital emprunté avec ses ressources propres.
En cas de violation de ces règles, le préfet de département saisit la Chambre régionale des comptes qui formule des recommandations, lesquelles, si elles ne sont pas respectées, conduisent le préfet à exécuter le budget (comme ce fut le cas à Hénin-Baumont dans le Pas-de-Calais).(7)
Même si la commune d’Angoulême a connu de très graves difficultés financières en 1989, le dispositif actuel est de nature à prévenir toute situation qui conduirait une personne publique à être éligible à un traitement amiable ou judiciaire de ses difficultés dans les mêmes conditions qu’une personne de droit privé.
Le transfert progressif de certaines prérogatives de l’État vers les collectivités territoriales n’a d’ailleurs pas conduit à des situations de périls financiers.

Un devoir de prudence
Ceci étant précisé, l’exemple de la ville de Detroit ne doit pas tomber dans l’oubli mais au contraire rappeler aux collectivités publiques qu’elles doivent se garder de toute forme d’interventionnisme dans la vie des affaires et notamment dans celles des entreprises de leur ressort territorial.
Certains dispositifs législatifs leur permettent d’agir au soutien des entreprises en difficulté ou pour permettre d’assurer leur développement. (8)
Bien que la préservation de l’emploi et le développement de l’économie locale soient une priorité légitime pour une collectivité publique, cette priorité doit s’exprimer sans démagogie de façon pleinement mesurée à travers, par exemple, une politique maîtrisée d’investissements sur la base de projets pérennes et viables.
L’exemple de la ville du Mans dans le financement du stade MMArena de 25 000 places inauguré en 2011 pour y accueillir l’équipe du Mans FC est éclairant sur les risques découlant d’investissements dans lesquels les collectivités sont exposées.
Le financement du stade (105 millions d’euros) a été couvert pour partie par la ville du Mans (31,5 M€), le département et la région (17,5 M€). (9) 
Or, le Club du Mans a été placé en liquidation judiciaire le 15 octobre 2013 et la disparition du locataire du stade pourrait être de nature à rompre totalement l’économie de l’opération dans laquelle la mairie et les collectivités territoriales sont exposées financièrement.(10) 
Un exemple parmi d’autres à méditer.

1-The New York Times 3 décembre 2013.
2-Source Reuters 3 décembre 2013
3-Le Monde.fr 19 juillet 2013.
4-Uscourts.gov.
5-Uscourts.gov, 11 U.S.C§1129 (a)
6-Uscourts.gov Collier on Bankuptcy §943.03
7-L’Expansion.fr 19 juillet 2013.
8-Ex-article L.3231-3 du Code général des collectivités territoriales sur les aides aux entreprises en difficulté des départements, Article 4211-1-7° du Code général des collectivités territoriales pour les aides au développement par les régions.
9-Source Les Échos.fr Emmanuel Guimard.
10-Source Yahoo Sport 15 octobre 2013.

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