Par Alexandre de Fontmichel, avocat associé. Scemla Loizon Veverka & de Fontmichel
Droit pénal et arbitrage, une question d’actualité
La relation entre le droit pénal et l’arbitrage est d’actualité. La coexistence de ces deux procédures au sein d’une même affaire soulève notamment des questions concernant le déroulement de l’arbitrage et l’exécution de la sentence. La rencontre de ces matières a des conséquences sur la responsabilité civile et pénale de l’arbitre, concerné personnellement par ce sujet.
Qu’on le déplore ou qu’on l’approuve, l’irruption du droit pénal dans le monde feutré de l’arbitrage est une réalité qui doit être observée avec attention. Plusieurs phénomènes peuvent l’expliquer. Certaines causes sont intrinsèques à l’arbitrage : l’extension du domaine matériel de l’arbitrage oblige les arbitres à se prononcer sur des comportements des parties qui ne relèvent plus uniquement de la sphère contractuelle stricto sensu. L’on assiste également à une dégradation de l’esprit de l’arbitrage, phénomène très justement dénoncé par Bruno Oppetit lorsqu’il écrivait : «?L’arbitrage, par les affrontements sans concessions auxquelles il donne lieu à travers des procédures de plus en plus complexes (…) apparaît souvent aujourd’hui moins comme un facteur d’apaisement que comme la continuation de la guerre par d’autres moyens (…) » (1). Et justement, le droit pénal offre aux plaideurs de nouvelles armes pour mener à bien leurs batailles et tenter d’influencer l’issue de la procédure arbitrale. Certaines causes lui sont plus étrangères : l’ambition des pouvoirs publics de lutter contre la «?délinquance en col blanc?» ou encore de «?moraliser?» les échanges internationaux donne au droit pénal et à ses acteurs un prétexte pour s’immiscer dans ce mode privé de règlement des litiges qui concerne souvent les litiges commerciaux les plus importants. Tant sur le terrain de la procédure que sur celui du droit matériel, l’enchevêtrement de deux systèmes que tout oppose, tant par leurs méthodes que par leurs finalités, doit intéresser les praticiens comme les universitaires. À tout moment le droit pénal peut s’inviter ou être appelé à la table des arbitres.
Droit pénal et fond du litige
Dans le cadre d’une procédure arbitrale, l’arbitre peut être saisi de questions touchant directement ou indirectement au droit pénal. C’est le cas par exemple en présence d’un contrat dont il est allégué qu’il sert de véhicule au paiement d’une commission occulte illicite ou à une opération de blanchiment. Certes, l’on sait que l’arbitre peut aujourd’hui tirer toutes les conséquences civiles de cette infraction sur la validité et/ou l’exécution du contrat ; reste qu’il est bien souvent démuni s’agissant des preuves de l’illicéité. (2)
Le défaut de constatation de l’existence d’une infraction entachant la relation des parties peut emporter l’annulation de la sentence. La Cour d’appel de Paris a notamment rappelé que «?lorsqu’il est prétendu qu’une sentence donne effet à un contrat obtenu par corruption, il appartient au juge de l’annulation (…) de rechercher en droit et en fait tous les éléments permettant de se prononcer sur l’illicéité alléguée de la convention et apprécier si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence viole de manière effective et concrète l’ordre public international.» (3) L’arbitre, même avec des moyens limités, se doit ainsi de revêtir les habits du juge de l’illicite.
Droit pénal et procédure arbitrale
Une action pénale exercée parallèlement à la procédure arbitrale peut influencer le déroulement de la procédure arbitrale.
En effet, la procédure arbitrale pourrait être affectée par la question du sursis à statuer découlant de l’adage «?le criminel tient le civil en l’état?» déduit de l’article 4 du Code de procédure pénale (CPP). Dès 2005, le domaine d’application de cet adage a été considérablement réduit en matière arbitrale. (4) Ainsi, les arbitres en matière internationale sont-ils libres de donner ou non effet à ce principe. Or, une certaine prudence s’impose avec cette liberté de mise en œuvre. L’arbitre pourrait refuser de surseoir à statuer afin d’éviter les comportements dilatoires d’une partie. Or, ce refus peut emporter l’annulation de la sentence lorsque celle-ci s’avérerait inconciliable avec le jugement en matière pénale.
Une question d’actualité est celle de l’instrumentalisation des procédures pénales. L’une des parties pourrait être à l’initiative du déclenchement d’une procédure pénale afin d’obtenir des preuves par le biais de l’instruction ou de l’enquête pénale au service de l’instance arbitrale ou lors de l’exercice d’une voie de recours.
Rappelons en effet que le secret de l’instruction n’est pas opposable à la partie civile ; ainsi, le caractère secret des pièces de l’enquête ou de l’instruction (5) n’interdit pas leur production dans le cadre de la procédure arbitrale.(6)
L’assujettissement de l’arbitre au droit pénal
Les parties pourraient être tentées de convaincre les arbitres de se prêter à un simulacre d’arbitrage à des fins de blanchiment ou bien encore de monnayer une issue favorable. Plus pernicieuse encore pour l’arbitre serait l’hypothèse où les parties ne s’engageraient dans la procédure d’arbitrage que pour camoufler une transaction illicite, ce qui pourrait rendre l’arbitre complice de cette infraction malgré lui.
En plus de mettre en péril la reconnaissance de la sentence, (7) l’arbitre court le risque dans l’ensemble de ces hypothèses d’engager sa responsabilité pénale sur le fondement de la loi du 14 novembre 2007 (8) qui incrimine désormais l’abus de fonctions et la corruption active et passive des arbitres.
L’arbitre peut aussi mettre en jeu sa responsabilité civile et faire l’objet d’une action en recouvrement de dommages et intérêts du fait de la mauvaise exécution de sa mission (9) lorsqu’il commet une «?faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice.?» (10) L’arbitre dispose donc, en la matière, d’une immunité limitée comparé au juge étatique.
1 Oppetit (B) : Théorie de l’arbitrage, Paris, Puf 1998, p. 15.
2 Chilstein (D) : Droit pénal et arbitrage, Revue de l’Arbitrage, 2009, p. 3 ; voir aussi, de Fontmichel (A) : L’arbitre, le juge et les pratiques illicites du commerce international, LGDJ, Panthéon Assas Paris, 2004.
3 CA Paris, 14?octobre 2014 [13/03410] ; CA Paris, 4?novembre 2014 [13/10256].
4 Cass. Civ. 1ère, 25?octobre 2005 [02/13252].
5 Code de procédure pénale, Article 11.
6 de Fontmichel (A.) : Procédure pénale et arbitrage commercial international : quelques points d’impact, Cahiers de l’arbitrage, 2012.309.
7 CA Paris, 14?octobre 2014, [13/13459] ; Cass. Civ. 1ère, 25?juin 2014 [11/16444].
8 Loi n° 2007-1598, 13?novembre 2007, transposant le Protocole additionnel à la Convention pénale sur la corruption, 15?mai 2003.
9 Cass. Civ. 2e, 29?juin 1960.
10 Cass. Civ. 1ère, 15?janvier 2014 [11/17196].
Qu’on le déplore ou qu’on l’approuve, l’irruption du droit pénal dans le monde feutré de l’arbitrage est une réalité qui doit être observée avec attention. Plusieurs phénomènes peuvent l’expliquer. Certaines causes sont intrinsèques à l’arbitrage : l’extension du domaine matériel de l’arbitrage oblige les arbitres à se prononcer sur des comportements des parties qui ne relèvent plus uniquement de la sphère contractuelle stricto sensu. L’on assiste également à une dégradation de l’esprit de l’arbitrage, phénomène très justement dénoncé par Bruno Oppetit lorsqu’il écrivait : «?L’arbitrage, par les affrontements sans concessions auxquelles il donne lieu à travers des procédures de plus en plus complexes (…) apparaît souvent aujourd’hui moins comme un facteur d’apaisement que comme la continuation de la guerre par d’autres moyens (…) » (1). Et justement, le droit pénal offre aux plaideurs de nouvelles armes pour mener à bien leurs batailles et tenter d’influencer l’issue de la procédure arbitrale. Certaines causes lui sont plus étrangères : l’ambition des pouvoirs publics de lutter contre la «?délinquance en col blanc?» ou encore de «?moraliser?» les échanges internationaux donne au droit pénal et à ses acteurs un prétexte pour s’immiscer dans ce mode privé de règlement des litiges qui concerne souvent les litiges commerciaux les plus importants. Tant sur le terrain de la procédure que sur celui du droit matériel, l’enchevêtrement de deux systèmes que tout oppose, tant par leurs méthodes que par leurs finalités, doit intéresser les praticiens comme les universitaires. À tout moment le droit pénal peut s’inviter ou être appelé à la table des arbitres.
Droit pénal et fond du litige
Dans le cadre d’une procédure arbitrale, l’arbitre peut être saisi de questions touchant directement ou indirectement au droit pénal. C’est le cas par exemple en présence d’un contrat dont il est allégué qu’il sert de véhicule au paiement d’une commission occulte illicite ou à une opération de blanchiment. Certes, l’on sait que l’arbitre peut aujourd’hui tirer toutes les conséquences civiles de cette infraction sur la validité et/ou l’exécution du contrat ; reste qu’il est bien souvent démuni s’agissant des preuves de l’illicéité. (2)
Le défaut de constatation de l’existence d’une infraction entachant la relation des parties peut emporter l’annulation de la sentence. La Cour d’appel de Paris a notamment rappelé que «?lorsqu’il est prétendu qu’une sentence donne effet à un contrat obtenu par corruption, il appartient au juge de l’annulation (…) de rechercher en droit et en fait tous les éléments permettant de se prononcer sur l’illicéité alléguée de la convention et apprécier si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence viole de manière effective et concrète l’ordre public international.» (3) L’arbitre, même avec des moyens limités, se doit ainsi de revêtir les habits du juge de l’illicite.
Droit pénal et procédure arbitrale
Une action pénale exercée parallèlement à la procédure arbitrale peut influencer le déroulement de la procédure arbitrale.
En effet, la procédure arbitrale pourrait être affectée par la question du sursis à statuer découlant de l’adage «?le criminel tient le civil en l’état?» déduit de l’article 4 du Code de procédure pénale (CPP). Dès 2005, le domaine d’application de cet adage a été considérablement réduit en matière arbitrale. (4) Ainsi, les arbitres en matière internationale sont-ils libres de donner ou non effet à ce principe. Or, une certaine prudence s’impose avec cette liberté de mise en œuvre. L’arbitre pourrait refuser de surseoir à statuer afin d’éviter les comportements dilatoires d’une partie. Or, ce refus peut emporter l’annulation de la sentence lorsque celle-ci s’avérerait inconciliable avec le jugement en matière pénale.
Une question d’actualité est celle de l’instrumentalisation des procédures pénales. L’une des parties pourrait être à l’initiative du déclenchement d’une procédure pénale afin d’obtenir des preuves par le biais de l’instruction ou de l’enquête pénale au service de l’instance arbitrale ou lors de l’exercice d’une voie de recours.
Rappelons en effet que le secret de l’instruction n’est pas opposable à la partie civile ; ainsi, le caractère secret des pièces de l’enquête ou de l’instruction (5) n’interdit pas leur production dans le cadre de la procédure arbitrale.(6)
L’assujettissement de l’arbitre au droit pénal
Les parties pourraient être tentées de convaincre les arbitres de se prêter à un simulacre d’arbitrage à des fins de blanchiment ou bien encore de monnayer une issue favorable. Plus pernicieuse encore pour l’arbitre serait l’hypothèse où les parties ne s’engageraient dans la procédure d’arbitrage que pour camoufler une transaction illicite, ce qui pourrait rendre l’arbitre complice de cette infraction malgré lui.
En plus de mettre en péril la reconnaissance de la sentence, (7) l’arbitre court le risque dans l’ensemble de ces hypothèses d’engager sa responsabilité pénale sur le fondement de la loi du 14 novembre 2007 (8) qui incrimine désormais l’abus de fonctions et la corruption active et passive des arbitres.
L’arbitre peut aussi mettre en jeu sa responsabilité civile et faire l’objet d’une action en recouvrement de dommages et intérêts du fait de la mauvaise exécution de sa mission (9) lorsqu’il commet une «?faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice.?» (10) L’arbitre dispose donc, en la matière, d’une immunité limitée comparé au juge étatique.
1 Oppetit (B) : Théorie de l’arbitrage, Paris, Puf 1998, p. 15.
2 Chilstein (D) : Droit pénal et arbitrage, Revue de l’Arbitrage, 2009, p. 3 ; voir aussi, de Fontmichel (A) : L’arbitre, le juge et les pratiques illicites du commerce international, LGDJ, Panthéon Assas Paris, 2004.
3 CA Paris, 14?octobre 2014 [13/03410] ; CA Paris, 4?novembre 2014 [13/10256].
4 Cass. Civ. 1ère, 25?octobre 2005 [02/13252].
5 Code de procédure pénale, Article 11.
6 de Fontmichel (A.) : Procédure pénale et arbitrage commercial international : quelques points d’impact, Cahiers de l’arbitrage, 2012.309.
7 CA Paris, 14?octobre 2014, [13/13459] ; Cass. Civ. 1ère, 25?juin 2014 [11/16444].
8 Loi n° 2007-1598, 13?novembre 2007, transposant le Protocole additionnel à la Convention pénale sur la corruption, 15?mai 2003.
9 Cass. Civ. 2e, 29?juin 1960.
10 Cass. Civ. 1ère, 15?janvier 2014 [11/17196].