Générique de fin pour les princeps
Avec une croissance annuelle de plus de 30 % depuis 2000, les médicaments génériques représentent le segment le plus profitable, dynamique et prometteur de l’industrie pharmaceutique. Encore marginaux il y a vingt ans, les génériques constituent dorénavant plus de 7 % du marché officinal français. Une R&D en pharmacie moins productive, associée à une politique publique de contrôle des dépenses de santé, assurera au secteur une croissance autour de 10 % jusqu’en 2012.
Le chemin du princeps au générique passe par la chute dans le domaine public de la molécule qui signifie la perte du brevet arrivé en fin de vie. En France, l’expiration de la durée de protection des données de l’Autorité de mise sur le marché (AMM) intervient au bout de dix ans. à son terme, une copie du médicament original peut être imaginée, conçue et commercialisée par un autre laboratoire.
Evoquer les génériques, c’est s’attendre à l’hallali des gardiens de princeps. Mais c’est également embrasser l’espoir de soigner les continents dévastés par des épidémies qu’on sait apaiser ailleurs. Si, pour beaucoup, le générique reste l’ennemi de la recherche, il permet néanmoins à l’industrie de distinguer deux parties : la production de substances chimiques de qualité et la recherche en santé, associée à la découverte de nouveaux traitements coûteux.
Mais le pragmatisme est en train de l’emporter sur les anciens dogmes. Lorsqu’un big pharma, comme Pfizer, annonce le rachat des droits de 39 génériques aux états-Unis et 20 en Europe, dont 11 en France à un groupe indien Aurobindo, qu’il déclare lancer ensuite conjointement des génériques de ses propres médicaments, tout porte à croire que les (auto)génériques permettent de dégager les ressources financières qui prendront demain en charge les nouveaux produits innovants. « Culturellement, rappelle Claude Allary, fondateur associé de Bionest, les grands laboratoires ont eu du mal à se faire à l’idée de se lancer dans les génériques. Cela opposait deux modèles : le leur, fondé sur l’innovation et la R&D, et celui des génériqueurs, fondé sur la production. »
Génériques et biosimilaires : tellement bio ?
Le code de la santé publique, en son article L.5121-1, définit le médicament générique comme une « spécialité qui a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique, et dont la bio-équivalence avec la spécialité de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité. » Le générique possède les mêmes propriétés – la même substance active – que le produit de référence. Le médicament biosimilaire quant à lui demeure un traitement biologique qui a prouvé sa correspondance (sa similarité) par rapport à un médicament de référence enregistré dans la Communauté européenne. Il s’agit de molécules biologiques complexes jugées similaires – mais pas identiques – à des biomédicaments déjà autorisés. Reste ensuite à prouver par des études comparatives la similarité en termes de qualité, de sécurité et d’efficacité. C’est le génériqueur Sandoz, filiale du labo Novartis, qui à lancé en France le premier médicament biosimilaire en France : l’hormone de croissance Omnitrope (somatropine). La question est de savoir si les génériqueurs ont intérêt à investir le marché des biosimilaires. à partir de 2010-2011, la croissance en valeur du marché des génériques dits « classiques » devrait se tarir, sous l’effet d’une érosion forte des prix et d’un essoufflement des expirations de brevets. L’étude Eurostaf sur « Les perspectives du marché mondial des biosimilaires » (décembre 2007) met en exergue le relais de croissance que le développement d’une activité de biosimilaires constituerait en termes de sources de revenus, de marges et d’opportunités de différenciation produit.
Leur arrivée se heurte à d’importantes barrières : délais et coûts de développement importants (de l’ordre de 20 à 60 millions d’euros contre quelques centaines de milliers d’euros pour un générique), modalités de promotion spécifiques, méthodes de fabrication complexes, etc. N’étant pas légalement substituables, leur implantation s’en trouve contrariée.
Dans ce contexte d’investissements exorbitants, nombreux sont les génériqueurs qui ne s’aventurent pas sur le terrain de la biosimilarité. Tout juste signent-ils, pour certains, des accords de licence avec quelques firmes spécialisées dans le développement et la production de produits biosimilaires.
Un marché engageant de 53 Md$
Sur les huit premiers marchés mondiaux (dont l’Europe, les états-Unis, le Canada et le Japon), la croissance des génériques a été en 2007 trois fois plus élevée que celle des médicaments princeps correspondants, pour un total de 53 milliards de dollars de ventes.
Cependant, au regard de ses voisins allemands et anglais, la France reste en retard. [cf. fig. 1] Les prix des médicaments princeps ont toujours été plus bas qu’ailleurs et le système de remboursement des soins de santé demeure extrêmement avantageux. Selon les dernières estimations, moins de 20 % des boîtes vendues sont des génériques, contre près de la moitié ailleurs.
Fort de ce constat – et d’un déficit grandissant de la branche maladie de la sécurité sociale – le gouvernement a mis en place depuis 1996 (au Royaume-Uni depuis la fin des années 1970 et en Allemagne depuis la fin des années 1980) un volet
« générique » de la réforme de l’assurance-maladie. Concrètement, cela se traduit par une mise sur le marché accélérée. L’état a par ailleurs baissé les prix et encouragé tant les officines à vendre des génériques que les patients à les acheter. Il s’agissait pour l’assurance-maladie d’obtenir à l’horizon 2007 plus d’un milliard d’euros d’économies annuelles.
Reste que les États qui souhaitent effectuer des réductions budgétaires grâce aux produits génériques, doivent réfléchir aux mesures susceptibles de faciliter une pénétration rapide des copies sur le marché : volume, concurrence par les prix et entre les génériqueurs.
Pour l’heure, le marché français se dynamise. [cf. fig. 2] L’an dernier, après une progression de 20 %, les ventes ont avoisiné les 2 milliards d’euros. Elles pourraient passer très rapidement à 2,8 milliards d’euros en 2010 et représenter alors près de 12 % du marché pharmaceutique officinal, contre 9 % en 2007.
Les raisons sont multiples : la tombée des brevets dans le domaine public (lansoprazole, Rispéridone) qui ouvre la voie aux copies, la généralisation du principe de
tiers payant contre générique (subordination de la dispense d’avance des frais à l’acceptation de la version générique d’un médicament) et la baisse des prix des génériques (entre 5 % et 15 %). Mais également la suppression des marges arrières accordées aux pharmaciens, conjuguée à la modification des plafonds de remise légale (2,5 % pour les princeps, 17 % pour les génériques et les princeps sous tarif forfaitaire de responsabilité). Autre raison, l’action stimulante des pharmaciens, incités à substituer un générique au produit de marque lorsque cela est possible. Le montant des ventes générées ainsi en France par la tombée dans le domaine public de brevets livrés cette année pourrait s’établir aux alentours de 1,3 Md€. « Nous nous attendons à une année record », confirme Didier Barret, président (France et EMEA) de Mylan qui, grâce à la reprise des activités de Merck Génériques, occupe la première place du marché hexagonal. Nombreux sont les laboratoires qui, à l’image de Biogaran, tablent sur une hausse de 10 % par an en moyenne d’ici à 2011. Comme pour toute spécialité pharmaceutique, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) est chargée de l’évaluation, du contrôle en laboratoire et de l’inspection des spécialités génériques. Elle édite un répertoire. [cf. fig. 2] L’an passé, cette base de données représentait 2,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires (951 millions pour les princeps et 1,9 milliard pour les génériques), soit 15 % du marché remboursable. Tous les indicateurs prévoient pour cette année un élargissement. Plus le marché couvert par le répertoire s’accroît, plus le potentiel de développement des génériques est important.
Une entreprise qui ne connaît pas la crise
Si le marché se contracte, les génériqueurs parviennent toutefois à dynamiser leur croissance, notamment grâce aux opérations de rapprochement, aux réductions de coûts et à la répartition stratégique de leurs risques juridiques et réglementaires.
C’est sans compter les réserves de croissance encore nombreuses. La majeure partie des molécules hors brevet n’est pas encore génériquée. à titre de comparaison, près de 90 % de ce marché aux états-Unis est génériqué et 70 % au Danemark et aux Pays-Bas. En France, ce taux s’établit à moins de 50 % !
Les difficultés globales que rencontre le secteur pharmaceutique profitent aux génériqueurs. Alan Sheppard, d’IMS Health, rappelle que le marché global de l’industrie pharmaceutique s’est contracté, passant d’une croissance de 15 % en 1999 à 6 % l’an passé. Les huit premiers marchés mondiaux perdent du terrain au profit des marchés émergents.
Par ailleurs, la contribution des 10 premiers groupes pharmaceutiques à la croissance mondiale est passée de 47 % en 2003 à 23 % en 2007. La demande de traitements est parallèlement de plus en plus encadrée par les payeurs, qu’il s’agisse d’assureurs privés ou des systèmes nationaux d’assurance-maladie.
Enfin, la R&D affiche une moindre production : 51 nouvelles entités chimiques étaient produites en 1997, contre une trentaine par an ces dernières années.
Le marché hexagonal dominé par deux leaders
à première vue, les leaders, comme Merck et Biogaran, semblent indétrônables. Ils ont consolidé leurs positions l’an passé et représentent à eux seuls plus de 50 % des ventes et plus de 60 % de la progression du marché. Merck contrôle à lui seul plus de 28 % du marché hexagonal [cf. fig. 3].
Les positions dominantes n’ont toutefois pas effrayé l’islandais Actavis qui vient de se lancer en France. « En dessous de 15 % de parts de marché, vous n’êtes pas un acteur qui compte », reconnaît Maurice Chagnaud, qui dirige la filiale française de l’israélien Teva (UPSO). Enfin quelques laboratoires, parties à des fusions récentes, sont sortis quelque peu ébranlés, comme Teva avec Ivax, ou Sandoz avec G-Gam. Dès lors, les laboratoires privilégient la signature d’accords avec les grossistes qui donnent un accès plus large aux officines.
Entendons-nous bien...
Les enquêtes sectorielles constituent un outil du droit de la concurrence communautaire. Depuis quelque temps, les conditions économiques qui entourent la mise sur le marché des génériques intriguent la Commission européenne et notamment sa commissaire chargée de la concurrence, Neelie Kroes. La relation de concurrence entre les laboratoires de princeps et les fabricants de génériques, et entre les laboratoires de princeps eux-mêmes se trouve au cœur de l’enquête.
De l’abus de position dominante au principe illicite d’ententes sur les prix : entre 2000 et 2007, dans 17 États membres, Bruxelles estime que 3 milliards d’euros auraient pu être économisés si les génériques étaient arrivés plus rapidement sur le marché. Près de la moitié des médicaments soumis à un examen approfondi se trouvent confrontés à l’arrivée de génériques sur leur marché dès la première année qui a suivi l’expiration de leur brevet et la fin de l’exclusivité des données. Il faut en réalité plus de sept mois, en moyenne pondérée, pour qu’un médicament générique apparaisse sur le marché, lorsque le princeps a perdu son exclusivité. Pour les médicaments les plus vendus, pour lesquels la mise sur le marché rapide importe davantage, ce délai est de quatre mois en moyenne.
Les laboratoires ont donc tout intérêt à bloquer ou à retarder la concurrence des génériques. Les freins et obstacles à l’entrée du marché et les outils utilisés pour gêner l’arrivée des génériques et des entreprises innovantes concurrentes sont désignés sous le vocable de « boite à outils » dans le rapport. En premier lieu, le dépôt de « grappes de brevets » consiste à déposer un nombre important de brevets (jusqu’à 1 300 dans le cas d’un produit) pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne afin de prolonger la vie du brevet originel. Par ailleurs, de nombreux litiges en matière de brevet ont été engagés avec les entreprises de génériques (le rapport en recense plus de 700). Mais, avec des issues pour le moins aléatoires, « les laboratoires préféraient nouer un partenariat avec un fabricant de génériques, la légère perte de marge étant compensée par une plus grande visibilité, explique Arsène Guekam, analyste chez CM-CIC Securities, dans une note. Désormais, avec l’inflation des dépenses de santé publique, poursuit-il, la Commission veut mettre la pression sur les laboratoires, et les accords tolérés dans le passé ne le seront plus. D’ailleurs le programme santé de Barack Obama prévoit aussi la fin des accords entre les groupes pharmaceutiques et les génériqueurs » (L’Agefi, 1er décembre 2008). Enfin, l’intervention dans les procédures nationales d’agrément de médicaments génériques retarde leur commercialisation.
Opèrent également des tactiques telles que la désinformation médiatique (remise en cause de l’efficacité ou de la qualité des génériques), des modifications chimiques mineures pour les médicaments dont les brevets arrivent à échéance ou des accords financiers comme le « pay-for-delay », qui permettent à un laboratoire de payer un génériqueur pour retarder son entrée sur le marché et éviter ainsi une commercialisation immédiate du produit copié.
Ainsi, sur la période en cause (2000-2007) et sur l’échantillon de 219 médicaments examinés, ces pratiques ont eu pour conséquence de reculer l’entrée des génériques sur le marché d’un délai moyen de sept mois !