Par Julie Jacob, avocat associé. Jacob Avocats
Le 4 février 2013, Europol révélait que 680 matchs de football auraient été truqués depuis 2008. Cette enquête démontre que les paris sportifs sont, avec le dopage, l’une des plus grande menaces pour le sport. Si ce scandale international avait pour principale origine des paris en provenance de Singapour, la France n’est pas à l’abri de cette menace comme le démontre l’affaire Karabatic intervenue en mai 2012 dans le milieu du handball.

Les paris sportifs peuvent servir de vecteur pour du blanchiment d’argent, en ce qu’ils permettent d’injecter dans l’économie réelle des fonds d’origine illégale. En influençant les acteurs de compétitions sportives, des organisations illicites s’assurent de l’exactitude de leurs prises de paris, et garantissent ainsi leurs gains. Face à ces menaces, la loi du 12?mai 2010 relative à l'ouverture du marché des jeux en ligne a prévu différents mécanismes pour rendre le secteur moins attractif pour les fraudeurs.

La prévention
Le législateur français a mis en place depuis le 12?mai 2010 une autorité spécifique, l’Arjel (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne), chargée de contrôler les opérateurs de paris sportifs. Cette autorité décide quels sont les sports, les compétitions et les phases de jeux qui sont susceptibles de faire l’objet de paris.
La corruption d’un sportif étant d’autant plus facile que les enjeux financiers et sportifs sont peu importants, l’Arjel n’autorise que l’offre de paris sportifs sur des compétitions majeures, telles que la Ligue 1 ou la Ligue 2 pour le football, qui ont un statut professionnel, contrairement aux divisions inférieures qui ne peuvent faire l’objet de paris.
De plus, l’Arjel a décidé en janvier?2013, à la suite de l’affaire Karabatic, de restreindre l’offre de paris sportifs (sur certains sports tels que le football, le basket-ball et le handball), en interdisant la prise de paris sur des matchs qu’elle considère à enjeu sportif insuffisant, c’est-à-dire des matchs n’ayant aucune incidence sur le classement, la relégation, la promotion ou la qualification européenne d’une équipe.
Enfin, l’Arjel n’autorise que la prise de paris sur des performances sportives objectives et quantifiables ayant une influence directe sur l’issue d’un match. À titre d’exemple, il est possible de parier sur le nombre de buts dans un match de football mais pas sur le nombre de touches ou de corners. De même, tout pari négatif est interdit (telle qu’une double faute au tennis) afin d’éviter des paris sur des éléments aisément manipulables.
Le législateur a également restreint la liste des personnes susceptibles de parier. En effet, la loi n°?2012-158 du 1er?février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs contraint les fédérations sportives d’intégrer au sein du code de leur discipline des dispositions ayant pour objet d’interdire aux acteurs des compétitions sportives d’engager, directement ou par personne interposée, des paris reposant sur la compétition à laquelle ils participent et de communiquer à des tiers des informations privilégiées. C’est sur ce fondement que les joueurs qui ont joué et parié sur le match de handball «?présumé truqué?» entre Montpellier et Cesson - point de départ de l’affaire Karabatic - se sont vus infliger une sanction disciplinaire de six matchs de suspension.

La répression
Toute personne pariant sur une compétition et disposant d’informations particulières sur celle-ci est susceptible d’être sanctionné pour escroquerie. On rappelle que l’escroquerie, prévue à l’article 313-1 du Code pénal, consiste notamment à obtenir d’une personne physique ou morale la remise de fond suite à l’emploi de manœuvres frauduleuses. Ainsi c’est sur ce fondement que les joueurs de Montpellier ont été mis en examen aux dépens de la Française des Jeux, pour avoir parié la somme de 88 000?euros sur un match dans lequel Montpellier, déjà assurée du titre, a perdu contre la modeste équipe de Cesson. En effet, la manœuvre frauduleuse est ici caractérisée par le fait de parier tout en étant en possession d'information sur le déroulement de la rencontre.
Dans le cas où une personne extérieure tente «?d’acheter?» un sportif, le délit spécifique de corruption sportive s’applique. Les articles?445-1-1 et 445-2-1 du Code pénal prévoient des peines de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000?€ d'amende à la fois pour le corrompu et pour le corrupteur.
Enfin, il convient de préciser que l’Arjel a connaissance de l’ensemble des paris sportifs réalises sur les sites agrées en .fr. Ainsi, lorsque le volume des mises sur un match atteint un niveau trop important (au regard de l’importance de ce match), l’Arjel en est automatiquement informé par les opérateurs, déclenche une alerte, et peut, à l’issue d’une enquête, transmettre le dossier au Procureur de la République.

Les nouveaux outils pour lutter contre ce fléau
La France dispose de l’un des arsenaux juridiques les plus complets en la matière. Cependant, ces pratiques illégales transcendent par essence les frontières et ne peuvent être résolues uniquement à l’échelon national. Ainsi, le Conseil de l’Europe travaille actuellement sur un projet de convention, prévue pour la fin 2014, destiné à harmoniser les législations de dizaines de pays en instaurant un ensemble de règles standards pour prévenir la corruption sportive. Les signataires s’engageront par cette convention à modifier ou compléter leur législation relative aux paris en ligne. La ratification du texte pourrait même devenir obligatoire pour prétendre à l’organisation de grands événements sportifs (Jeux olympiques, Coupes du monde…).
En France, le Gouvernement s’est également emparé du sujet puisque Valérie Fourneyron, Ministre des Sports, s’est engagée en octobre?2012 à prochainement légiférer sur ce sujet. Un délit spécifique pourrait ainsi s’ajouter au dispositif pénal actuel contre toute personne disposant d’une information qui permet de mettre en doute la sincérité d’une compétition, et qui ne la divulgue pas. Un décret d’application devrait également être publié à la fin de l’année 2013 concernant la possibilité de croiser les fichiers des fédérations, des opérateurs de paris sportifs et de l’Arjel afin que les personnes interdites de paris en raison d'un conflit d'intérêt (joueurs, techniciens, organisateurs, intermédiaires…) soient connues des opérateurs de paris sportifs.
D’autres pistes sont prévues : l’Arjel (1), soutenue par le Gouvernement, souhaite l’introduction d’une disposition légale dans le Code du sport, imposant aux différents acteurs d’une compétition sportive le suivi de formations sur les paris sportifs et sur les risques liés à leur développement. Ces formations obligatoires pourraient donc bientôt voir le jour dans le domaine sportif, et ce à tous les échelons : dirigeants, agents, joueurs, arbitres… Enfin, il pourrait être préconisé d’interdire l’accès aux sites de paris sportifs en ligne dans les lieux de déroulement des épreuves sportives. À ce titre, un groupe de surveillance spécifique vient d’être mis en place à Roland-Garros. Son objectif sera d’observer les actions des trader courts qui, du bord du court, tentent de devancer l’officialisation des résultats.

1- Rapport de l’Arjel du 12?novembre 2012 sur «?la préservation de l’intégrité de la manifestation sportive en lien avec les paris sportifs en ligne?».

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