D’une pierre, deux coups : Vinci troque Cegelec contre l’entrée de Qatari Diar dans son capital
Dans un jeu de billard à trois bandes, Yves Thibault de Silguy et Xavier Huillard sont enfin sur le point de mettre la main sur Cegelec tout en s’assurant l’entrée de Qatari Diar au capital de Vinci.
« Rien ne sert de courir ; il faut partir à point ». Les dirigeants de Vinci peuvent faire leur la morale du Lièvre et la tortue tant il semble impossible que Cegelec ne leur échappe à nouveau. Plusieurs fois candidat malheureux à la reprise du groupe français d’ingénierie électrique, Vinci n’a désormais plus à concourir face à des fonds de capital investissement pour renforcer sa branche énergie. Mieux encore, c’est Qatari Diar, le dernier acquéreur, qui apporte sur un plateau cette pépite en échange d’une participation au capital de Vinci.
Pour le groupe français de construction, l’affaire est rondement menée. En juin 2008, quand LBO France remettait Cegelec sur le marché, Vinci et Eiffage ont à nouveau vu cette cible s’envoler au profit du fonds souverain qatari (Qatar Investment Authority, QIA). Difficile de lutter contre une offre de 1,7 milliard d’euros autorisée par des conditions de marché favorisant encore les investisseurs au détriment des industriels.
Déjà en 2006, l’offre de Vinci sur Spie s’était inclinée devant celle de PAI Partners. S’exprimant auprès des Échos, Antoine Zacharias, alors président de Vinci, reconnaissait que les fonds d’investissement « captent peu à peu nos cibles de croissance externe à des prix sur lesquels nous refusons de nous aligner ».
Huit ans après, Cegelec retrouve
un actionnaire industriel
La situation d’aujourd’hui est sensiblement différente. Tout d’abord en raison de son prix : la valeur d’entreprise de Cegelec - 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2008 pour un Ebit de 157 millions d’euros - n’est plus que d’environ 1,2 milliard d’euros (auxquels s’ajoutent cependant les 220 millions de dette d’exploitation du groupe).
Le chiffre correspond au cours de Bourse de l’annonce, aux 31,5 millions de titres Vinci qui devraient rejoindre l’escarcelle des participations de Qatari Diar. L’opération est d’autant plus intéressante que le dernier propriétaire de Cegelec conserve une dette d’acquisition dont le montant n’a jamais été dévoilé. Les dividendes issus de la participation dans Vinci remplaceront sans doute à l’avenir les cash flows de Cegelec pour rembourser ce financement.
Dans le cas – plus qu’improbable – où la structure dirigée par Ghanim bin Saad al-Saad aurait voulu remettre en vente Cegelec, les investisseurs en capital auraient été sans doute bien à la peine pour concurrencer toute offre dépassant le milliard d’euros dans les conditions actuelles de marché.
Ensuite, Cegelec n’est plus à proprement parler sous LBO. Même si l’acquisition a été financée avec effet de levier, le groupe a intégré, dans la pratique, le portefeuille d’un fonds souverain. L’horizon temps n’est plus le même qu’avec CDC Equity Capital, Charterhouse ou encore LBO France - les investisseurs en capital auteurs des deux LBO antérieurs - ; les objectifs non plus.
Enfin, Qatari Diar est le bras armé dans l’immobilier et les infrastructures de QIA. Son objectif est tout autant de diversifier à l’étranger le patrimoine de l’émirat que de favoriser le développement de la région. En ce sens, dans l’un de ses très rares entretiens, Ghanim bin Saad al-Saad expliquait aux Échos (daté du 31 juillet 2008) que « cette opération [NDLR : l’acquisition de Cegelec] doit nous aider à gérer au mieux nos projets d'infrastructures. (…) Il est difficile de trouver des partenaires pour nous aider à les mener à bien, étant donné le foisonnement de travaux d'infrastructures à l'échelle de la planète. En achetant Cegelec, nous résolvons ce problème, en ayant en plus un meilleur contrôle sur les coûts et la qualité ».
En lui permettant de devenir l’un des actionnaires de référence de Vinci, l’apport de Cegelec répond donc totalement aux objectifs de l’équipe dirigeante de Qatari Diar. D’emblée, le Qatar devient le second actionnaire de Vinci (derrière les salariés mais devant Artemis et Predica) avec, une fois l’opération terminée, 5,8 % du capital. Si un tiers des titres sont issus de l’autocontrôle, la majeure partie proviendra d’une augmentation de capital réservée. Avec un administrateur au conseil de Vinci (également membre du comité de la stratégie et des investissements), Qatari Diar s’est engagé à maintenir durant au moins 3 ans une participation comprise entre 5 et 8 % du capital. Un lock-up peu contraignant quand QIA souhaite s’imposer comme un investisseur de long terme sur les places boursières mondiales. Un sésame pour se faire courtiser par des groupes industriels soucieux d’assurer la stabilité d’un noyau dur d’actionnaires.
QIA : un investisseur courtisé
Avant d’être une bonne opération financière, la transaction est donc avant tout hautement stratégique pour le groupe français. L’entrée de Qatari Diar au capital de Vinci permet de renforcer des relations déjà étroites entre le leader mondial du B-TP et des concessions et le fonds souverain du Qatar, l’un des investisseurs les plus courtisés de la place financière.
Comme ce qui avait déjà été fait avec Suez Environnement (dans lequel QIA possède près de 3 %) ou Hochtief, une joint-venture a déjà été mise en place avec Vinci Construction Grands Projets (QDVC), dans le cadre de la conception-construction du pont reliant le Qatar à Bahreïn ainsi que pour plusieurs des grands projets de la ville nouvelle de Lusail.
Parallèlement à la transaction, Qatari Diar et Vinci ont annoncé vouloir « renforcer leurs liens industriels en élargissant le périmètre de leur coopération engagée depuis 2007 pour développer l’ensemble des activités de Vinci au Qatar ». Une promesse de contrats dans l’une des zones géographiques où la demande de nouvelles infrastructures est la plus dynamique.
Ainsi que le rappelait Ghanim bin Saad al-Saad dans son entretien, cette politique de partenariat « correspond à la vision de son Altesse, l'émir Hamad bin Khalifa al-Thani, dont le dessein est d'affirmer le Qatar sur la carte du monde ».
Les accords de collaboration viennent compléter une politique active d’acquisitions et de prises de participations. Principalement axé sur la promotion dans les pays en voie de développement, l’investisseur sait également se faire acquéreur dans les pays où le foncier est plus rare.
En l’espace de trois ans, Qatari Diar a investi une soixantaine de milliards de dollars dont un tiers en Europe. L’excellence des relations entre la France et le Qatar laisse présager l’accroissement rapide des placements qataris dans l’Hexagone. Pour l’émirat, ces participations dans les fleurons de l’économie mondiale permettront de pallier le futur tarissement des réserves de pétrole et de gaz. Les grands groupes internationaux ont bien compris l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de ces actionnaires : comme Total, la porte est grande ouverte en vue de les accueillir à leur capital.