Par Lionel Spizzichino, avocat associé. Paul Hastings
La réforme de la loi de sauvegarde attendue pour l’automne prochain se devra d’être en prise avec la réalité économique des entreprises pour être véritablement efficace. Il est indispensable dans le contexte actuel de faciliter l’émergence de nouvelles solutions de retournement pour les entreprises.

Le 24?avril dernier, la mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale rendait son rapport à la commission des lois de l’Assemblée Nationale dans une relative indifférence. Ce rapport, dit rapport Untermaier, du nom du député rapporteur de cette mission, est pourtant l’acte fondateur de la réforme du droit des procédures collectives annoncée désormais pour l’automne prochain. Réforme pourtant essentielle, huit ans après la loi du 26?juillet 2005 dite de sauvegarde des entreprises, et alors que la France, comme nombre de ses voisins, après avoir connu une crise financière en 2007-2008, traverse depuis une crise économique majeure doublée depuis 2011 d’une crise sociale.
Le projet de loi à venir, officiellement porté par la Chancellerie, est suivi également de près par le ministère du Redressement productif. Ce dernier travaille actuellement sur un certain nombre de propositions dont l’une des plus marquantes consisterait en la possibilité pour l’État de convertir les créances dites publiques (fiscales et sociales) afin de prendre, dans certains cas, le contrôle de sociétés en difficulté. Dans un souci d’égalité, cette possibilité devra évidemment être offerte tant aux créanciers privés qu’aux créanciers publics.
Si l’ordonnance du 18?décembre 2008 a permis aux créanciers de recevoir, dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, des actions par conversion de leurs créances, elle n’est pas allée suffisamment loin puisqu’elle ne permet pas aux juges d’imposer la prise de contrôle par ces derniers aux actionnaires existants. À l’heure actuelle, la seule exception figure à l’article L. 631-19-1 du Code de commerce qui prévoit la faculté pour le tribunal, sur demande du Ministère Public, de subordonner l’adoption du plan de redressement au remplacement d’un ou plusieurs dirigeants de l’entreprise ou à la cession des titres détenus par ces derniers.
La protection du droit de propriété en France, droit le plus absolu, l’emporte aujourd’hui sur la réalité économique notamment lorsque la valeur de l’entreprise ne vaut plus celle de la dette. C’est pourquoi les opérations dites «?lenders led », que nous avons pu rencontrer dans les affaires CPI, Monier ou plus récemment avec la proposition des établissements bancaires sur le groupe Saur, sont encore rares en France. En l’état actuel du droit, de telles opérations nécessitent en effet le consentement unanime des créanciers bancaires dans le cadre de procédures préventives ou des deux tiers du montant total de la dette dans chaque comité, dans le cadre de la sauvegarde ou du seul comité des établissements financiers dans celui de la sauvegarde financière accélérée, sans pouvoir passer outre l’accord des actionnaires existants.
Dès lors, permettre une véritable prise de contrôle par les créanciers, avec les précautions nécessaires pour éviter cependant toute expropriation injustifiée des actionnaires en place, créerait de nouvelles possibilités de sortie par le haut de groupes en difficulté. La liquidité du marché secondaire de la dette se trouverait également renforcée par rapport à l’incertitude dans laquelle les investisseurs se trouvent aujourd’hui ne sachant pas quelle créance sera «?in the money?» et quelle créance ne le sera pas. L’absence de visibilité sur la tranche de dette qui leur permettrait d’avoir une véritable influence sur la restructuration envisagée (le « fulcrum security?» aux Etats-Unis) et le risque de se voir imposer un plan malgré un vote négatif des comités de créanciers sont également un frein à l’arrivée en France de nouveaux investisseurs potentiellement intéressés par une entrée par la dette sur les dossiers de restructuration.
La réforme devra également ouvrir de nouvelles possibilités de traitements plus brefs des restructurations en procédures collectives. L’ouverture d’une procédure collective, de sauvegarde mais surtout de redressement judiciaire, a bien souvent un impact négatif sur l’entreprise concernée. Mécaniquement, dès que la procédure est ouverte, l’entreprise se retrouve privée de crédit-fournisseur et handicapée pour attirer de nouveaux clients. Elle se trouve en outre bien souvent dans l’incapacité de bénéficier de nouveaux financements pendant toute la durée de la procédure. Or, plus la procédure est longue (jusqu’à dix-huit mois de période d’observation), moins les objectifs de préservation de l’emploi, du débiteur et des créanciers fixés par la loi ont de chances d’être atteints.
L’instauration de la sauvegarde financière accélérée, applicable depuis la loi du 22?mars 2012, va ainsi dans le bon sens, même si l’on peut regretter qu’elle ne soit réservée qu’aux restructurations financières et aux entreprises d’une certaine taille (150 salariés ou plus de 20?millions d’euros de chiffre d’affaires ou un total de bilan supérieur à 25?millions d’euros de chiffre d’affaires). Dans le cadre de la réforme à venir, il faudrait que soit créée une sauvegarde d’une durée limitée à six mois qui faute d’un plan de sauvegarde adopté dans ce délai serait convertie en une procédure de redressement judiciaire également limitée dans le temps afin de permettre alors soit aux créanciers de présenter un plan de redressement soit à des tiers de présenter un plan.
Toujours dans l’objectif de limiter la durée du redressement judiciaire et donc son impact négatif sur le débiteur, il serait également souhaitable que le législateur autorise le plan de cession pré-arrangé ou pré-négocié.
Aux états-Unis, la procédure dite de «?Chapter 11?» permet une cession de l’entreprise dans un délai de soixante à quatre-vingt-dix jours après l’ouverture de ladite procédure. La brièveté de ces délais requiert que les négociations aient été menées en amont de l’ouverture. General Motors et Chrysler ont notamment pu bénéficier de cette option en 2009.
S’agissant d’une offre préemptive, cela permettrait d’obtenir un prix de cession plus élevé et de préserver ainsi au mieux l’intérêt des créanciers. Naturellement, la plus grande transparence devra alors être respectée pour permettre l’émergence d’une solution favorable tant à l’entreprise qu’à ses salariés et non à des intérêts particuliers. Cela passera nécessairement par une réforme du caractère obligatoire des appels d’offres dans le cadre des plans de cession.

Ces quelques pistes de réflexion de nature à contribuer aux travaux en cours qui, espérons-le, aboutiront cette fois à une véritable réforme de la loi de sauvegarde en adéquation avec les réalités économiques et non à de simples lois d’émotions comme la loi Petroplus ou la loi annoncée dite Florange souvent inapplicables en pratique et qui ne contribuent qu’à faire fuir les industriels ou investisseurs étrangers pourtant indispensables à notre économie, qui plus est dans le contexte actuel.


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