Par Carole Sportes et Valérie Ravit, avocats associés. BOPS
L’appréciation du lien de causalité et du caractère défectueux du vaccin contre l’hépatite B est de nouveau sous les feux de la rampe à la suite de l’arrêt du 10?juillet 2013 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. La Cour de cassation consacre l’omnipotence du juge en ce qu’il devrait désormais s’affranchir des données scientifiques et populationnelles.

La Cour de cassation confirme son approche de la causalité, pourtant critiquable mais la vraie nouveauté tient à la conception retenue de la notion de défaut de sécurité du produit.

Sur le rapport causal
Sur ce point, l’arrêt retient une solution déjà précédemment énoncée selon laquelle le rapport causal peut être caractérisé sur la base de présomptions graves, précises et concordantes. Le rappel de ce principe n’appelle pas de critique.
En revanche, est critiquable le mésusage de la science dans l’évaluation desdites présomptions. La Cour de cassation confirme en effet le raisonnement de la Cour d’appel qui a consisté à neutraliser totalement l’apport de la science sur la question d’un lien causal entre la vaccination et le développement de la sclérose en plaque pour ne retenir que les éléments purement circonstanciels propres à la demanderesse.
Une telle pratique est inadmissible.La Cour d’appel relevait que «?l’absence de lien scientifiquement établi entre la vaccination et le déclenchement d’une sclérose en plaques, largement affirmée par une bonne partie de la communauté scientifique, et dont le laboratoire se fait l’écho, ne constitue pas un obstacle dirimant aux prétentions des demandeurs l’indemnisation et qu’elle ne leur interdit pas de tenter d’établir, par des présomptions graves, précises et concordantes, cas par cas, l’imputabilité de la maladie à la vaccination (...) ».
À sa suite, la Cour de cassation retient en détournant d’ailleurs le propos «?Mais attendu que la cour d’appel, après avoir énoncé exactement que l’impossibilité de prouver scientifiquement tant le lien de causalité que l’absence de lien de causalité entre la sclérose en plaques et la vaccination contre l’hépatite B, laisse place à une appréciation au cas par cas, par présomptions de ce lien de causalité (...) ».
Dans le premier temps qui est celui de la Cour d’appel, il nous apparaît critiquable de ne pas tirer de conclusions du constat selon lequel la communauté scientifique conclut qu’il n’y a pas de lien sur le plan scientifique entre les deux faits concernés. Pire encore, on se contente de considérer que la simple juxtaposition temporelle de (i) la vaccination suivie (ii) du déclenchement de la maladie est un élément de plus grand poids dans la balance des présomptions que l’état des connaissances actuelles qui ne fait pas de lien scientifique entre ces deux événements.
Force est donc de constater que le recours à la science par le droit est à géométrie et portée variables en fonction de la finalité souhaitée. Autrement dit, il s’agit d’un jeu de dupes. Lorsque l’état des connaissances scientifiques vient au soutien de la responsabilité recherchée, il devient un élément essentiel au raisonnement. À l’inverse, lorsque les études scientifiques ne concluent pas à l’existence d’un lien, alors la notion de relative certitude de la preuve scientifique refait surface pour justifier que l’on puisse tout simplement rendre insignifiant et donc passer outre, ce qui constitue pourtant l’état en cours des connaissances scientifiques.
Dans le deuxième temps qui est celui de la Cour de cassation, celle-ci va encore plus loin, mais peut-être est-ce à raison de la gêne qu’engendre le jeu biaisé révélé ci-avant. En effet, elle dévoie, nous semble-t-il, la réalité scientifique en évoquant non plus l’absence de lien scientifiquement établi mais une impossibilité de la science à prouver l’absence du lien entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques pour justifier la balance faite entre les différentes présomptions de faits.

Sur le caractère défectueux du produit
À suivre la Cour de cassation, d’une part le défaut ne se démarquerait plus du rapport causal, d’autre part, il relèverait d’une approche subjective et exclusivement individuelle.
Le défaut de sécurité est-il désormais consubstantiel de la caractérisation d’un lien de causalité ? Sans aucun doute pour la Cour de cassation, confortée d’ailleurs par une doctrine majoritairement acquise au seul dessein d’une indemnisation systématique.
En effet, le caractère défectueux du produit ne saurait être dénié dès lors que le lien de causalité entre le produit et la maladie est tenu pour acquis. Ainsi, la consécration de ce dernier entraînerait désormais et ce, de manière automatique, la consécration du premier. Certains bons esprits trouvent d’ailleurs la situation inverse heurtant le bon sens commun, ou à tout le moins paradoxal.
Or, c’est à raison, selon nous, que la cour d’appel avait distingué dans son analyse la caractérisation du lien causal, abondamment évoqué ci-dessus, de la caractérisation du défaut du produit et avait pu apprécier différemment l’existence de l’un et l’absence de l’autre, sans paradoxe aucun.
Rappelons en effet que tant la directive du 25?juillet 1985 que la loi du 19?mai 1998 prévoit qu’il appartient au demandeur de démontrer trois éléments distincts : le dommage, le lien de causalité entre le dommage et le produit, le défaut de sécurité du produit.
Le manquement à l’information due par le laboratoire ayant été écarté par la cour d’appel, il restait alors à la Cour d’appel d’apprécier le défaut intrinsèque potentiel du produit. Elle a retenu que «?la loi ne dit pas que le produit défectueux est celui qui n’offre pas la sécurité à laquelle chacun peut légitimement s’attendre mais à laquelle on peut légitimement s’attendre?». Constatant que le rapport bénéfice/risque était largement positif au vu des données populationnelles et le maintien du produit sur le marché par les autorités sanitaires, elle a estimé que les données objectives ne permettaient pas de conclure au défaut de sécurité du produit.
À l’inverse, la Cour de cassation se place sur un plan exclusivement subjectif et individuel pour inviter la Cour de renvoi à écarter de son raisonnement les considérations objectives fondées sur les données populationnelles et ne prendre en considération que les données propres au patient utilisées pour caractériser le lien de causalité. Au surplus, pour faire bon compte, le défaut n’est plus apprécié par rapport au vaccin en général mais par rapport «?aux doses?» injectées.
Avec une telle logique, on en revient à l’obligation de sécurité-résultat qu’on croyait anéantie après la mise en conformité du droit français avec la directive du 25?juillet 1985. 

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