Et si la crise de l’industrie automobile n’était pas près de finir ?
Réduction d’effectifs, fermeture de sites, séquestrations de dirigeants, chômage partiel : le secteur automobile vit la crise économique dans ce qu’elle a de plus noir. Pour pallier les désajustements structurels de cette industrie, un mouvement de concentrations voit le jour. La sortie de crise n’est pourtant pas pour demain.
Que les sous-traitants automobiles soient dans une situation inconfortable n’a échappé à personne. Une étude du conseil en retournement Alix Partners (AlixPartners 2009 Automotive Review) ne pronostique d’ailleurs pas une rapide amélioration de leur position. Ainsi, l’industrie automobile ne devrait pas renouer avec ses anciens niveaux de ventes avant 2014.
Pour Laurent Petizon, managing director du conseil, « la vraie crise pour l’industrie automobile n’a pas encore commencé ; elle débutera lorsque les programmes d’incitation gouvernementaux viendront à expiration ». Plus funeste encore, l’augure qu’en Europe la survie d’un équipementier sur deux serait menacée d’ici à la fin de l’année.
Le secteur automobile semble avoir touché les limites d’un modèle économique où le rôle industriel du fabricant ne se borne plus qu’à un rôle d’assembleur. Le reste de la chaîne industrielle de fabrication des pièces est très amplement externalisé auprès de tiers. La situation est fortement amplifiée par une surcapacité structurelle. Selon Alix Partners, « le taux d’utilisation des capacités des usines s’établissait à seulement 80 % en 2007, avant le début de la crise, et il se situe désormais bien en dessous de 65 % ».
La crise de l’industrie automobile est plus profonde que pour bien des secteurs économiques. Pour s’en sortir, les constructeurs n’auront d’autre solution que de réduire leurs surcapacités de production. D’après l’étude, « environ 22 % de l'ensemble des équipementiers automobiles européens étaient en “fiscal danger” » en 2008, ce qui signifie qu’ils étaient exposés à un risque d’insolvabilité dans les deux années à venir. Si l’économie mondiale enregistrait un déclin de 10 % à 20 % en 2009, ce chiffre sera porté entre 30 % et 50 % ».
La reprise du constructeur allemand Opel par l’équipementier Magna est sans aucun doute une exception dans le paysage de l’industrie automobile. Le mouvement de consolidation porte essentiellement sur des rapprochements entre constructeurs ou entre équipementiers. Les rapprochements verticaux sont plus rares.
Cependant, après avoir longtemps fait la sourde oreille aux inquiétudes de leurs fournisseurs, les constructeurs n’ont plus le choix. Devant l’ampleur de la crise actuelle, ils doivent soutenir les équipementiers de premier, de second, voire de troisième rang sous peine de voir leurs chaînes de production stoppées.
Concentration des équipementiers : l’exemple Wagon Automotive
C’est ainsi que Renault et Peugeot, deux des principaux clients des filiales françaises du groupe britannique Wagon Automotive, ont pesé de tout leur poids quand celles-ci ont été placées en redressement judiciaire. À l’instar de l’affirmation de Laurent Petizon, il veut que « les acteurs ayant le plus de liquidités rachètent les autres », les deux pôles de Wagon Automotive ont chacun renforcé l’un des acteurs en bonne santé du marché. Comme souvent lors des restructurations internationales, l’affaire n’a pas été simple.
Malgré le très fort endettement de l’équipementier britannique Wagon Automotive, l’équipe de direction a cru jusqu’au bout pouvoir obtenir des banques une nouvelle ligne de crédit de 50 millions de livres. Leur refus et le retrait de l’investisseur américain Wilbur Ross, principal actionnaire du groupe, provoque le dépôt de bilan du sous-traitant.
En France, le groupe s’est fortement renforcé au fil du temps notamment du fait de l’acquisition d’Oxford. La faillite de la maison mère met automatiquement à mal des filiales pourtant in bonis. Le 20 novembre, malgré un chiffre d’affaires de 425 millions d’euros et 2 500 salariés, Wagon France ne dispose que de 500 000 euros dans ses caisses. Or, la trésorerie nécessaire pour les quatre mois à suivre est de 23 millions d’euros. Le dépôt de bilan est inévitable. Le soutien des constructeurs?/?clients l’est également.
Les procédures françaises de redressement judiciaire (huit sites) sont centralisées auprès du tribunal de commerce de Versailles. « Tout en fixant pour objectif le maintien de l’ensemble des sites, le plan de cession ne pouvait aboutir sans un accord implicite de Renault et de PSA, les principaux clients du groupe », confirme Alexandra Bigot, associée chez Wilkie Farr.
Contrepartie hexagonale de Zolfoo Cooper, l’administrateur britannique, Nicolas de Germay participe à la mise en place du plan et à l’identification des repreneurs.
Avec l’accord du tribunal, et dans l’intérêt des liquidateurs, la première étape consiste à formaliser deux pôles d’activités : par-delà les liens actionnariaux, les sites sont redistribués en fonction de leurs productions afin de créer une logique industrielle et d’encourager les offres de reprise. La réorganisation permet également de pallier les manques de moyens de la maison mère à l’heure de payer les salaires.
Afin de permettre l’aboutissement des opérations, les liquidateurs britanniques ainsi que les créanciers (au nombre desquels certaines banques françaises) acceptent d’abandonner pour 2 milliards d’euros de dette faciale (selon une source proche du dossier la dette réelle ne serait plus que de 150 à 200 millions d’euros une fois les doublons nettoyés) en échange d’un remboursement de 2 millions d’euros !
Soutenues économiquement par les constructeurs - en attendant la concrétisation du plan de cession -, les activités de fabrication de carrosserie sont regroupées sous la bannière de Wagon Group SAS.
Comptablement in bonis, avec un chiffre d’affaires de 72 millions d’euros, Wagon ACS (Advanced Comfort System) affronte la situation dans de meilleures conditions. La trésorerie du site de Bressuires permet ainsi à cette filiale de fédérer autour d’elle les sites actifs sur le segment des éléments de vitrerie et d’amélioration de l’habitacle. « Les usines de Roumanie et d’Espagne travaillaient exclusivement pour approvisionner le site français de Bressuires mais dépendaient au plan actionnarial du Royaume-Uni », explique Sandra Esquiva-Hesse, associée du cabinet Paul Hastings. « Quand il a fallu payer les salaires, chacun a compris l’intérêt de rattacher tout à la fois l’Espagne et la Roumanie à Bressuires. »
Les offres de reprises doivent compter avec le soutien de Renault et de PSA
Dans le cadre du plan de cession, plusieurs candidats présentent des offres auprès du tribunal de commerce de Versailles. Le détourage de Wagon Automotive en deux pôles bien distincts fonctionne et permet de susciter de nombreuses offres pour chacune des parties.
Wagon Group intéresse une demi-douzaine d’équipementiers hexagonaux et européens. Soutenue par le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (Fmea) qui a investi fin juillet 25 millions d’euros en fonds propres et en obligation convertible (pour une participation minoritaire), la société Financière Snop Dunois (FSD) remet une offre dont le principal avantage est de compter tout à la fois avec l’appui de l’État et des constructeurs.
Le groupe familial dirigé par Michel Pinaire renforce amplement sa filiale Snop en obtenant du tribunal de commerce la reprise de sept des huit sites de Wagon Automotive France (Fontaine, Sainte-Gauburge, Gérardmer, Orbec, Saint-Florent, Douai et Saint-Pierre). Seul le site d’Essômes tombe quant à lui dans l’escarcelle du groupe Defta.
La barre du tribunal est également le terrain d’affrontement entre fonds d’investissement et industriels désireux de prendre le contrôle de Wagon ACS. Finalement, les offres de Verdoso mais aussi des équipementiers Bos ou Mora doivent s’incliner devant le tandem formé par le fonds néerlandais VEP (Value Enhancement Partners) et l’équipementier espagnol CIE Automotive.
Le montant de l’opération comprend le rachat de l’ensemble pour 2,5 millions d’euros auxquels s’ajoutent 3,1 millions d’euros destinés au renforcement des fonds propres de Wagon ACS.
Un nouveau fonds pour la filière ?
L’issue pour les filiales françaises de Wagon Automotive est favorable. Cependant, ce type d’opération est appelé à se généraliser.
Afin de répondre à ce mouvement de fonds dans l’industrie automobile, l’État a développé la figure du Fmea sous la tutelle du Fonds stratégique d’investissement. S’il dispose de 600 millions d’euros (apportés à part égale par l’État, Renault et PSA), le Fmea n’en reste pas moins limité pour l’instant aux équipementiers de premier rang. Il peut ainsi participer à la réorganisation du secteur en soutenant financièrement les acteurs clés du mouvement de concentration dans la sous-traitance automobile.
Le secteur automobile est une suite sans fin de sous-traitance. Un nouveau fonds est désormais prévu pour venir à son tour en aide aux équipementiers des rangs deux, trois, voire plus lointains encore. L’enjeu est de taille car la chute de ces « fournisseurs de fournisseurs » peut tout autant bloquer les chaînes des constructeurs que celles d’un équipementier de premier rang.