Quel coût pour une protection universelle ?
L’augmentation des montants investis dans le secteur du health care implique pour certains acteurs - laboratoires - des opportunités de business. Pour la France ou la Belgique, cette explosion des dépenses de santé représente un problème macroéconomique. Pour les particuliers, elle permet l’accès aux soins. Au plan mondial, la croissance de l’économie de la santé se développe plus rapidement que celle du produit national brut (PNB). Elle représentait 8,6 % du PNB mondial en 2005, selon le rapport 2008 sur la santé dans le monde, de l’Organisation mondiale de la santé. En termes absolus et à prix constants, les dépenses mondiales dans ce domaine ont augmenté de 35 % entre 2000 et 2005.
Qu’ils soient particulier, prestataire d’un service médical ou politique, ils font tous partie de la chaîne du marché du healthcare. Compte tenu du poids économique grandissant de ce secteur, les coûts des soins et l’accès à l’assurance médicale constituaient même un des arguments majeurs de la dernière campagne électorale américaine. Les décideurs ont pris conscience que les problématiques de santé étaient bien plus qu’une préoccupation d’ordre social. Les mesures politiques qui s’y rapportent se répercutent sur l’ensemble de l’industrie et l’économie du pays.
Une croissance globalement soutenue
Si la croissance rencontre des rythmes différents, la tendance générale est relativement uniforme : les montants consacrés aux soins médicaux à travers le monde ne cessent d’augmenter. Peu importe le modèle, la politique publique adoptée et la richesse du pays, ces dépenses sont en hausse. Aux états-Unis, elles représentaient 16 % du PIB en 2007. Ce pourcentage a presque doublé en moins de 30 ans. En France, elles atteignaient 11 % du PIB. [cf. fig. 1]
La croissance est encore plus manifeste dans le domaine des investissements en matériel et instrumentation à usage médical : + 50 % en moins d’une décennie ! Ces derniers sont passés de 145 milliards de dollars en 1998 à 220 milliards en 2006. La part de l’industrie pharmaceutique représente plus de 700 milliards de dollars dans l’économie mondiale en 2008 (OMS).
Les besoins en professionnels de la santé, comme les médecins ou les infirmiers, se ressentent davantage. Des accords relatifs à la migration transfrontalière de ce personnel médical se développent d’ailleurs. En témoigne l’augmentation significative, dans plusieurs pays de l’OCDE, de la présence de spécialistes formés et diplômés à l’étranger. Entre 2000 et 2007, elle a presque doublé en Suisse et en Suède et a triplé en Irlande et en Finlande.
Des dépenses inégales
Dans le même temps, si des pays comme l’Allemagne ou la France affichent des dépenses de santé exorbitantes, d’autres, comme les pays du Sud, constatent un sous-financement cruel. Le retard considérable que ces derniers ont pu atteindre en matière d’investissement, ajouté au manque de ressources publiques, conduit à un accès inégal des populations aux soins primaires. Le rêve d’une couverture à portée universelle semble inatteignable.
En 2006, les dépenses totales de santé représentaient 6,4 % du PIB d’Amérique latine et des Caraïbes. La région se place d’ailleurs comme celle qui dépense le plus, derrière les pays de l’OCDE, selon les données de la Banque mondiale. L’écart entre ces deux zones se creuse en fonction de la provenance des dépenses. Dans les zones latino-américaines et caribéennes, la quote-part assurée par l’État reste assez faible. Les particuliers doivent faire face aux coûts des soins, soit en souscrivant une assurance privée, soit en déboursant des sommes significatives à chaque fois qu’ils ressentent un besoin. Dans certains cas, se soigner c’est se ruiner.
Au sein même des pays de l’OCDE, des différences notoires apparaissent. Les dépenses publiques de santé par tête s’élevaient en 2007 à 3 548 dollars en France (soit 79 % du total des dépenses de santé par tête). Au Mexique, elles étaient de 256 dollars (soit 45 %) [cf. fig 2]. La part réservée au privé, quant à elle, atteignait 944 dollars en France et 311 au Mexique [cf fig. 3].
Cette répartition publique-privée du financement des besoins médicaux représente toujours un enjeu politique majeur lorsqu’il s’agit de définir le modèle de système de sécurité sociale. Dans quelle mesure l’état doit-il prendre en charge les soins des malades ? Tant le niveau d’endettement public et des ressources étatiques, l’état de développement du pays, l’âge de la population que la qualité des infrastructures médicales existantes ou les ressources humaines disponibles et l’urbanisation doivent nécessairement être pris en considération.
Une santé pour tous
Les réalités ont beau être profondément différentes entre chaque pays, l’idée selon laquelle l’État doit garantir une couverture médicale, du moins pour un accès aux soins primaires, semble être partagée par tous.
Aux états-Unis, plus de 45 millions de personnes n’ont pas d’assurance santé. L’envol des coûts médicaux contraint les Américains à ne pouvoir s’acquitter de factures exorbitantes. Alanna Boyd, une réceptionniste de 28 ans, a reçu une note de 17 398 dollars après avoir passé 46 heures en octobre 2008 dans un centre médical à Manhattan, pour une diverticulite, une maladie du système digestif ! (New York Times, 17 février 2009)
En Chine, le gouvernement a pris conscience qu’il fallait investir dans la santé, après s’être désengagé durant les années 80-90 [cf. fig 4]. En 2007, la participation de l’état chinois dans les dépenses de santé ne représentait que 17 %, soit 1 % de son PIB. C’est un peu moins que l’Inde et l’Indonésie, trois fois moins que le Brésil et deux fois moins que la Thaïlande.
Début avril, le gouvernement de Pékin présentait les grandes lignes de la réforme du système de santé. D’ici à 2011, il compte réduire la part des dépenses médicales supportée par les particuliers et atteindre un taux de couverture de près de 90 % de la population. Il s’agira pour le gouvernement de mettre en place, avant 2020, un système de santé « sûr, efficace, pratique et raisonnable ».
Une vie plus longue, mais financée par qui ?
Les avancées technologiques, les améliorations de l’alimentation et les investissements importants dans le secteur de la santé ont permis d’augmenter l’espérance de vie, surtout dans les pays où les dépenses de santé sont considérables. En 2005, elle se situait à 44,4 ans au Kenya. à la même époque, en Allemagne, elle s’élevait à 71,4 ans.
Pendant qu’une partie du globe essaie de mettre en place des modèles où la majorité des habitants bénéficie d’une couverture médicale, la plupart des pays occidentaux, qui ont dépassé ce stade, rencontrent deux autres préoccupations majeures : la maîtrise des dépenses de santé et le vieillissement de la population.
Selon une étude de l’INSEE publiée en 2008, près d’un habitant sur trois devrait avoir plus de 60 ans en France en 2050. Au sein des pays industrialisés, jusqu’à 25 % des 65-69 ans et 50 % des 80-84 ans souffrent simultanément d’au moins deux maladies chroniques (OMS). La dépendance à partir d’un certain âge représente également un problème majeur. Le challenge des gouvernements consiste à mettre en place des solutions innovantes afin d’améliorer la qualité de vie et le confort des personnes âgées, tout en maîtrisant les dépenses.
La garantie d’un accès universel à la médecine suppose pour ces États un coût élevé et représente une des composantes majeures de leurs problèmes macroéconomiques. Le dilemme sur l’origine du financement de l’assurance maladie est quotidiennement évoqué. Dans les pays qui privilégient une couverture publique des soins, la question est celle de savoir comment mettre en place un système où la quote-part privée participera davantage. Il n’est pas évident d’impliquer plus avant les particuliers, les mutuelles ou les assureurs habitués à un état providence.
Selon les dernières estimations du gouvernement français, le déficit de l’assurance maladie pourrait atteindre 15 milliards d’euros l’an prochain. Afin de contrôler les dépenses publiques de santé, des mesures ont été instaurées pour encourager les particuliers à maîtriser leur consommation. Ainsi, en France, la consultation du médecin traitant constitue le préalable indispensable au remboursement du coût d’une visite à un spécialiste. En outre, la hausse du forfait hospitalier et la baisse du niveau de remboursement des médicaments dits à prescription médicale facultative, comme le paracétamol, sont également des mesures que le gouvernement envisage d’appliquer. Les états préconisent également de renforcer la prévention et la généralisation des dépistages. En Belgique, des incitations au développement du rôle de référent pour le médecin généraliste ainsi que la mise en place d’un fichier médical électronique centralisé constituent autant de mesures pour contribuer à la maîtrise des coûts. Une évaluation comparative des habitudes de prescription et des pratiques médicales a également été mise en place ainsi qu’un encouragement à privilégier les médicaments génériques.
Si les démarches sont concrètes, elles demeurent pour l’instant insuffisantes. Les états devront poursuivre leurs efforts pour contrôler les dépenses médicales, faute d’être obligés de réduire leur participation dans les dépenses totales de santé, voire pire, créer de nouveaux impôts et/ou diminuer d’autres dépenses.