Par Carole Sportes et Valérie Ravit, avocats associés. BOPS
 La Cour de cassation entend-elle défier la Cour de justice de l’Union européenne en matière de produits défectueux de santé ? La question peut se poser à la suite de l’arrêt rendu par la 1ère Chambre civile le 12 juillet 2012 (pourvoi n°11-17.510) lequel ne paraît guère s’inscrire dans la logique de la décision récente de la CJUE du 21 décembre 2011 (C-495/10 CHU de Besançon c/ Thomas Dutreux).

Avec son arrêt du 20 décembre 2011 précité, la CJUE a inauguré une appréciation limitative tout à fait nouvelle du champ d’application de la responsabilité objective issue de la Directive CEE 85/374 du 5 juillet 1985. En effet, postulant que la directive n’avait vocation qu’à régir la responsabilité des producteurs, tels que définis dans son article 3, pour les dommages causés par le caractère défectueux de leurs produits, la responsabilité de toute personne non visées à l’article 3 n’aurait pas à être soumise aux dispositions de la Directive, et donc aux lois nationales de transposition. Ainsi la CJUE a considéré que la responsabilité d’un utilisateur tel que le CHU de Besançon qui fait usage d’un matériel défectueux dans le cadre d’une prestation de soins ne relève pas du champ d’application de la Directive et peut donc se voir appliquer un autre régime de responsabilité sans faute. La CJUE validait la jurisprudence du Conseil d’État initiée avec son arrêt Marzouk (CE, 9 juillet 2003, APHP c/Marzouk) et poursuivie depuis, fort de cette confirmation (CE, 12 mars 2012, n° 327449). La CJUE semble donc être revenue assez largement sur l’ampleur du champ d’application qu’elle donnait précédemment à la Directive et dont on avait compris qu’il interdisait le maintien dans les droits nationaux, sauf exception d‘un dispositif préexistant à la Directive, d’un autre système de responsabilité objective, y compris en matière de santé.

La décision de la Cour de cassation du 12 juillet 2012

Ainsi, lorsque la Cour de cassation était saisie de la responsabilité d’un médecin et d’un fabricant en raison du caractère défectueux d’une prothèse, elle avait enfin toute latitude pour confirmer l’obligation de sécurité de résultat développée par le passé, soi-disant à la lumière de la Directive 85/374 mais qui, en réalité, s’affranchissait de toutes les contraintes et limites posées par la Directive et entraînait, de fait, une mécanique indemnitaire quasi systématique. Tel n’a pas été le choix de la Cour de cassation, qui casse l’arrêt d’appel en ce qu’il a retenu la responsabilité du médecin au motif qu’il «?était tenu d’une obligation de sécurité de résultat quant aux choses qu’il utilise dans la pratique de son art ». Quelle heureuse nouvelle.
Rappelons l’inconvénient majeur de cette obligation de sécurité de résultat d’origine prétorienne qui résidait dans l’impossible défense du professionnel dont la responsabilité était systématiquement engagée au titre d’un produit qu’il utilisait certes, mais dont il n’était ni le concepteur, ni le fabricant. Le régime de cette obligation de sécurité de résultat était exorbitant, puisque le simple constat du dommage était constitutif du caractère défectueux du produit et le professionnel utilisateur du produit ne disposait d’aucun moyen de défense et notamment pas des dispositions reprises aux articles?1386-4 et 1386-11 du Code civil. Cette obligation de sécurité de résultat était tout à la fois une présomption irréfragable de causalité et d’imputabilité.
Dès lors, il est assez heureux, en effet, que la Cour de cassation n’ait pas souhaité consacrer de nouveau un mécanisme qui bafouait les principes fondamentaux de la responsabilité civile. Au surplus, au cas particulier de l’espèce, la condamnation du médecin au titre de cette obligation était d’autant moins utile que le fabricant de la prothèse défectueuse était poursuivi dans la même instance et s’est vu condamné à part égale avec le médecin. Ce faisant, la logique de la cour d’appel n’était pas franchement en adéquation avec l’arrêt de la CJUE du 20 décembre 2011. En effet, la CJUE soulignait que si le prestataire d’un service de santé peut se voir tenu d’une responsabilité sans faute autre que celle prévue par la Directive, c’est à la condition « que soit préservée la faculté de la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci ». Or, en appliquant un partage à part égale, la Cour d’appel empêchait l’utilisateur du produit défectueux, prestataire de service, de pouvoir être garanti par le fabricant. En réalité, la solution de cet arrêt d’appel était en contradiction flagrante avec l’harmonisation totale de la responsabilité des producteurs imposée par la Directive, et conséquemment avec l’article 1386-13, lequel prévoit certes la possibilité d’une responsabilité partielle du producteur, mais uniquement en raison de l’existence d’une faute ayant également concouru au dommage. Tel n’était point le cas ici. À l’évidence, la Cour de cassation ne pouvait confirmer un tel arrêt. En toute hypothèse, avant de faire resurgir un mécanisme de responsabilité objective concurrent de celui promu par les articles 1386-1 et suivants du Code civil, puisqu’il viserait le même dommage mais pas les mêmes intervenants ne faudrait-il pas accomplir un sérieux travail de réflexion ? On ne peut que s’interroger sur ce qui justifie fondamentalement la mise en œuvre d’un tel système à l’encontre des prestataires de service, qui ne sont qu’utilisateurs d’un produit sur lequel ils n’ont strictement aucun pouvoir de contrôle. Cela paraît d’autant moins justifié qu’en matière de santé, le contrôle par des autorités dédiées est déjà largement organisé, sans que d’ailleurs ces autorités ne fassent elles-mêmes l’objet d’une responsabilité objective au titre de ce contrôle. En outre, ne faudrait-il pas s’interroger sur la situation du prestataire de service également fournisseur puisqu’à suivre la CJUE, en fonction de sa qualité, le régime de responsabilité ne sera pas le même. Le premier relèverait d’un régime pour l’instant prétorien aux contours assez problématiques et le second pourra relever, dans le cadre d’une responsabilité subsidiaire en l’absence d’identification du producteur, des articles 1386-1 et suivants. Enfin, quelles devraient être les conditions d’une responsabilité objective du prestataire de services ? Ne devrait-il pas bénéficier des mêmes conditions d’exonération que le producteur car comment justifier qu’il encourt une responsabilité plus lourde que l’ultime responsable ?
En conclusion, il nous apparaît certain que l’obligation de sécurité de résultat telle qu’elle a existé ne peut utilement et justement perdurer. L’arrêt de renvoi à venir méritera sans aucun doute toute notre attention.

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