Par Michel Jockey, avocat associé, et Charles Morel, avocat. Altana
Dans un arrêt du 10 septembre 2013 (1), la chambre commerciale de la Cour de cassation, précise que l’associé d’une société par actions simplifiée (SAS) n’est pas, en cette qualité, tenu de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société, sauf stipulation contraire. Il doit seulement s’interdire la commission d’actes de concurrence déloyale. 

Après avoir cédé le contrôle de la société LBDI, société par actions simplifiée, ayant pour activité la collecte et le traitement des déchets, le cédant, qui avait conservé une participation minoritaire, a créé, avec deux autres personnes, la société EGT environnement (la société EGT), ayant une activité similaire à celle de la société LBDI. Cette dernière, faisant valoir que la société EGT avait remporté l’un des lots de l’appel d’offres lancé par une communauté de communes au moyen d’actes de concurrence déloyale, a fait assigner cette société et le cédant en paiement de dommages-intérêts. La cour d’appel de Lyon avait accueilli partiellement cette demande. Même s’il n’était pas démontré que l’associé se soit rendu coupable de concurrence déloyale pour remporter le marché public en émettant une proposition moins coûteuse que la société concurrencée, celui-ci était tenu, selon la cour d’appel, en sa qualité d’actionnaire de la société concurrencée, d’une obligation de loyauté qui lui interdisait de lui faire directement ou indirectement concurrence même en recourant à des moyens non fautifs. La cour d’appel en a alors déduit qu’a été commis un acte incompatible avec la loyauté due à la société et, en ce sens, constitutif de concurrence déloyale. L’associé et la société concurrente ont donc été condamnés in solidum au paiement de dommages-intérêts. La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt de la cour d’appel, au visa de l’article 1382 du Code civil et précisé dans un attendu de principe que «?sauf stipulation contraire, l’associé d’une société par actions simplifiée n’est pas, en cette qualité, tenu de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyale?». Cet arrêt transpose expressément aux associés d’une société par actions simplifiée, une règle antérieurement édictée dans le cadre des sociétés à responsabilité limitée (SARL) (2). Le doute pouvait venir d’un arrêt de 1991 de la chambre commerciale de la Cour de cassation (3), dans lequel cette dernière avait semblé admettre, certes très implicitement, une obligation de non-concurrence à la charge de l’associé d’une SARL. Mais cette solution critiquée était difficilement explicable, sauf peut-être par le recours à la notion d’«?intérêt commun des associés?» (4) prévue à l’article 1833 du Code civil. En tout état de cause, il ressort aujourd’hui de la jurisprudence rendue dans le cadre de la SAS et de la SARL, que l’associé en cette seule qualité et en l’absence de clause contraire n’est pas tenu à une obligation de non-concurrence.

Les limites au principe

Ce principe sitôt posé, il convient de rappeler que cette position connaît des limites que l’on doit souligner ou deviner. Tout d’abord, comme le précise expressément la Cour de cassation, une «?stipulation contraire?», qu’elle soit statutaire ou extrastatutaire, instituant par exemple une obligation de non-concurrence proportionnée empêcherait bien justement un associé de se livrer à l’exercice d’une activité concurrente. En outre, la Cour de cassation dans l’arrêt du 10?septembre 2013, en prenant soin de préciser la forme sociale en cause, impose aux praticiens d’analyser avec précaution la portée du principe transposé aux associés de SAS. La précision de la forme sociale démontre que la Cour de cassation n’est vraisemblablement pas encore encline à appliquer cette règle de façon générale à toutes les formes de société. À tout le moins, il serait logique que cette règle joue dans les sociétés anonymes. En revanche, la solution pourrait être différente dans les sociétés en nom collectif et pour les associés commandités d’une société en commandite, ou plus généralement dans toutes les sociétés imprégnées d’un fort intuitu personae. Et s’il ressort de l’arrêt du 10?septembre 2013 qu’une obligation de loyauté n’empêche pas le simple associé de SAS d’exercer une activité concurrente, il en irait différemment s’il revêtait également la qualité de dirigeant. En effet, la Cour de cassation n’hésite pas à appliquer un devoir de loyauté et de fidélité aux dirigeants de SAS (5) et aux gérants de SARL. Par exemple, au sujet d’un gérant de SARL, la chambre commerciale avait indiqué clairement que cette «?obligation de loyauté et de fidélité pesant sur lui en raison de sa qualité de gérant de la société […], lui [interdisait] de négocier, en qualité de gérant d’une autre société, un marché dans le même domaine d’activité » (6). La simple qualité de dirigeant suffit donc à faire peser une obligation de loyauté à l’égard de la société mais également à l’égard des autres associés depuis l’arrêt Vilgrain (7). Cette obligation de loyauté permet de protéger le savoir-faire de l’entreprise ou de la préserver du départ de son dirigeant pour une société concurrente dans des conditions déloyales et préjudiciables, en l’absence même de stipulation d’une clause de non concurrence (8). Certains verront également dans cette position de la Cour de cassation, l’influence du droit anglo-saxon et de la notion de duty of loyalty.

Une activité concurrente exercée loyalement
Enfin, la dernière limite que la Cour de cassation n’oublie pas de mentionner est la commission d’actes de concurrence déloyale. Un associé même non lié par une clause de non-concurrence ne peut bien évidemment se livrer à des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société dont il est membre. Comme le rappelle sans surprise la Cour de cassation en visant l’article 1382 du Code civil, le demandeur à l’action en concurrence déloyale devra encore prouver l’existence d’éléments de déloyauté propres à démontrer que le défendeur a bien commis une faute.


1-Com., 10?septembre 2013, F-P+B, n°12-23.888, A.Lienhard Dalloz actualité, 17 sept. 2013
2-Com. 15 nov. 2011, n° 10-15.049
3-Com, 6?mai 1991, SARL Abris Jaeckle Leloup c. Jaeckle
4-En ce sens, A. Lienhard Dalloz actualité, 23 nov. 2011
5-Com. 18 déc. 2012, n° 11-24.305
6-Com. 15 nov. 2011, préc.
7-Com, 27?février 1996, JCP E 1996, II, 838
8-Pour une illustration : com, 24?février 1998 : bull Joly 1998, p. 813.


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