Installations classées : vers un régime d’autorisation simplifiée
Le droit des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) vient de franchir une nouvelle étape dans sa longue évolution historique avec la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissements publics et privés qui habilite le Gouvernement à légiférer afin de créer un nouveau régime juridique d’« autorisation simplifiée ».
Sur l'auteur
Marie-Yvonne Benjamin est avocat en droit de l’environnement du cabinet Genesis. Elle est l’auteur de l’ouvrage « SEML » paru aux éditions EFE en 2002.
Le droit des ICPE, codifié aux articles L. 511-1 et suivants du Code de l’environnement, prévoit actuellement deux régimes juridiques distincts selon la nature des activités envisagées. Le premier régime, celui de l’autorisation administrative, concerne « les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients » (C. env., art. L. 512-1).
Le second régime, celui de la déclaration administrative, concerne toutes les autres installations (C. env.,art. L. 512-8). La ventilation entre le régime de l’autorisation et celui de la déclaration se fait au travers d’une nomenclature fixée par décret en Conseil d’Etat (C. env., art. L. 511-2). La loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissements publics et privés vient sensiblement modifier ce dispositif.
Par son article 27, elle habilite le gouvernement « à prendre par ordonnance, dans le délai de quatre mois à compter de la publication de la présente loi [soit avant le 18 juin 2009], toutes mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour créer un régime d’autorisation simplifiée applicable aux ICPE ». Le législateur accepte donc de créer un régime juridique intermédiaire dit « d’autorisation simplifiée ».
Au passage, l’article 28 ajoute « les paysages » aux intérêts – santé, sécurité, salubrité publiques, agriculture, protection de la nature et de l’environnement, conservation des sites et des monuments, éléments du patrimoine archéologique – protégés par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement.
La présente réforme annonce donc une nouvelle étape dans la réglementation des installations cléssées ICPE. Elle vise, d’une part, à nuancer la logique issue de la dichotomie juridique autorisation/déclaration en (ré)introduisant un régime intermédiaire et, d’autre part, à assouplir les procédures administratives afin de « stimuler l’investissement ». Reste à appréhender quelle sera la portée de cette réforme et quelle logique l’emportera au moment AZF met en lumière les difficultés de la réglementation en matière de risques industriels.
Mise en perspective historique
L’évolution de la législation en matière d’ICPE est maruée par une très grande continuité. Fruit d’un compromis, aussi fragile que subtil, entre, d’un côté, les impératifs économiques de la première révolution industrielle et le souci de sécurité juridique manifesté par les investisseurs et, de l’autre, les préoccupations de santé publique et la protection du voisinage, le décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode distinguait à l’origine trois classes d’établissements, tous soumis à autorisation administrative.
La loi du 19 décembre 1917 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes a institué le régime de la déclaration administrative pour les établissements de troisième classe. Les établissements des deux premières classes demeuraient quant à eux soumis, selon des conditions différentes, au régime d’autorisation.
Finalement, la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux ICPE (C. env. art. L. 511-1 et s.) a fusionné les deux premières classes d’établissements de façon à ce qu’il ne reste que des installations relevant soit du régime de la déclaration soit du régime de l’autorisation. Or, la loi du 17 février 2009 tend à rétablir la catégorie intermédiaire supprimée en 1976.
Origines et motifs de la réforme
Contrairement aux apparences, cette réforme était attendue et en préparation depuis plus de vingt ans. En 1987, un premier rapport sur la réglementation en matière d’ICPE révélait la volonté de « centrer l’action de l’Etat sur les domaines prioritaires. (…) Cet effort de rigueur est d’autant plus nécessaire que les moyens que l’Etat peut consacrer à cette action risquent fort de diminuer au cours des prochaines années » (lettre de mission du ministre de l’Environnement, Alain Carignon).
Un deuxième rapport commandé en 1992 par le ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, parvenait aux mêmes conclusions.
Enfin, un troisième rapport sur la simplification de la réglementation des installations classées rendu le 11 janvier 2006 par l’Inspection Générale de l’Environnement et rédigé par François Barthélémy et Marc Grimot, dressait de nouveau le constat de l’inadaptation de la réglementation face aux nombreux enjeux actuels et proposait des pistes de réflexion parmi lesquelles la création d’un régime intermédiaire et le relèvement général des seuils d’autorisation.
L’article 27 de la loi du 17 février 2009 fait siennes les conclusions de ces précédents rapports : « le régime d’autorisation simplifiée permet l’allocation plus rationnelle des moyens de l’administration afin de renforcer le contrôle des installations les plus dangereuses, tout en supprimant des procédures disproportionnées faisant obstacle à l’implantation des entreprises ».
Il s’agit donc ici pour l’État de « réduire la voilure » en matière d’ICPE et de concentrer l’essentiel de ses moyens humains et financiers, notoirement insuffisants, sur les installations qui présentent le plus de risques pour l’environnement, la santé publique et désormais les paysages.
Modalités d’application de la réforme
En dépit des précisions fournies par le législateur, dont certaines sont essentielles et fixent les contours de l’ordonnance à venir, il est bien difficile de se lancer dans un exercice de prospective afin de savoir ce que sera ce nouveau régime d’autorisation simplifiée : se situera-t-il à mi-chemin entre l’autorisation et la déclaration ? Ne s’agira-t-il pas plutôt d’un régime de déclaration renforcé comme le laisse supposer la notion avancée d’ « enregistrement » ?
Certains auteurs craignent, non sans raisons, que ce nouveau régime d’autorisation simplifiée conduise à soustraire un certain nombre d’installations, aujourd’hui soumises au régime d’autorisation, à l’obligation d’étude d’impact et d’enquête publique.
Il convient, toutefois, de rappeler que, dans le cadre de l’habilitation qui lui a été conférée, le Gouvernement a l’obligation de respecter les règles et principes constitutionnels ainsi que les normes internationales et européennes (Cons. Const. 23 juin 2003, n° 2003-473 § 10). Le respect des règles du droit communautaire de l’environnement pourra faire, le cas échéant, l’objet d’un contrôle de la part du juge administratif soit directement, et par voie d’action contre l’ordonnance qui conserve un caractère réglementaire tant qu’elle n’a pas été ratifiée (Cons. Const. 8 août 1985, n° 85-196 DC, § 23), soit par la voie de l’exception d’illégalité soulevée à l’appui d’un recours dirigé contre les mesures d’application de l’ordonnance (CE 8 décembre 2000, Hoffer, Rec. 584).
Sans nul doute, des actions seront engagées en ce sens si ce texte venait à compromettre les garanties apportées par la loi de 1976.
Conclusion :
Cette nouvelle réforme du droit des ICPE constitue une étape décisive dans l’évolution d’une législation marquée par la continuité. Si elle semble revenir sur la loi du 19 juillet 1976 en ce qu’elle réintroduit une classe intermédiaire d’installations soumises à autorisation simplifiée, la loi du 17 février 2009 ne devrait permettre, en réalité, qu’un réajustement de la réglementation. Il appartient désormais au pouvoir réglementaire de concrétiser cette ambition en veillant à respecter la feuille de route fixé par le législateur, le droit communautaire et à ne pas dénaturer l’édifice normatif patiemment construit depuis bientôt deux siècles, à un moment où la balance des intérêts annoncée par le Grenelle penche du côté de la protection de l’environnement.