Par Yvon Martinet, avocat associé, et Safine Hadri, avocate of counsel. Savin Martinet Associés
Couvertures complémentaires collectives prévoyance et santé : le succès de la libre concurrence
Suivant le constat selon lequel près de 4 millions salariés du secteur privé en France étaient dépourvus de couverture complémentaire « santé », la généralisation de l’accès à une telle couverture pour tous les salariés du secteur privé a été établie comme objectif à atteindre par les partenaires sociaux et par le législateur dès 2012.C’est dans ce cadre qu’a été soulevée l’épineuse question de la mise en concurrence des organismes chargés de gérer la garantie santé pour l’ensemble des entreprises relevant d’une même branche professionnelle.
La loi n°89-1009 du 31?décembre 1989, dite «?Loi EVIN?», ayant notamment défini les conditions de mise en place des régimes collectifs de prévoyance, a consacré la pratique des «?clauses de désignation?» stipulée dans une convention ou un accord collectif de branche professionnelle, consistant à confier à un organisme assureur exclusif la couverture des garanties du régime de prévoyance, et ce pour l’ensemble des salariés des entreprises relevant de ladite branche professionnelle, en application de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale, la validité des clauses de désignation ayant été admise, d’abord par la jurisprudence nationale (1), puis par la jurisprudence communautaire (2).
Le développement de la pratique des «?clauses de migration?» stipulées dans ces mêmes accords ou conventions collectives de branches, permettant l’affiliation pour cinq ans minimum à un régime de prévoyance, sans possibilité de dispense pour les entreprises rattachées à la branche et ce malgré l’existence préalable d’un contrat de prévoyance, a révélé un système favorisant manifestement les institutions de prévoyance (IP), sans mise en concurrence préalable des différents acteurs du marché.
Un manque manifeste de concurrence
Ainsi, les IP concentraient 90?% des désignations des 224 régimes de branche existants, avec 337 désignations accordées sur les 377 recensées en 2012 (3).
Se sont ainsi retrouvés évincés du marché de la prévoyance collective les autres acteurs, tels que les mutuelles, les entreprises d’assurance, ainsi que les intermédiaires en assurance (courtiers en assurance).
C’est dans ce contexte que le Cabinet Savin Martinet Associés (Yvon MARTINET et Safine HADRI signataires du présent article) a été saisi de la problématique ayant trait à la captation du marché de la prévoyance collective et de l’assurance complémentaire santé par les IP, dès septembre?2010, par la société April Assurances, courtier spécialisé.
Le constat de l’ampleur des distorsions de concurrence sur le marché de la prévoyance collective et de la complémentaire santé a impulsé la création d’une association réunissant les acteurs impliqués par cette problématique (assureurs, courtiers et agents d’assurance, mutuelles, organisations professionnelles, associations, etc.).
L’APAC au front
C’est ainsi qu’est née l’Association pour la promotion de l’assurance collective (APAC) le 9?novembre 2011, avec pour objet de promouvoir la concurrence dans le domaine de la protection sociale complémentaire des travailleurs salariés et non-salariés, et pour ambition de fédérer les différents acteurs impliqués dans le débat relatif à la problématique de la libre concurrence en assurance collective.
Assistée par le Cabinet Savin Martinet Associés, la commission juridique de l’APAC a procédé à l’analyse minutieuse d’une cinquantaine de conventions collectives nationales et a constaté la désignation quasi systématique d’IP, en dehors de toute justification du prétendu haut degré de solidarité des régimes de prévoyance collective et d’assurance complémentaire santé mis en œuvre par les IP désignées par accord de branche, et de procédure objective de mise en concurrence des acteurs du marché.
L’autorité de la concurrence consultée…
C’est ainsi que, forte de près de 500 membres, l’association a décidé de porter la problématique de la captation du marché de la prévoyance collective et de l’assurance complémentaire santé par les IP devant l’Autorité de la Concurrence, au travers d’une saisine pour avis.
Dans le contexte d’une concurrence déjà fortement altérée sur le marché de l’assurance complémentaire santé du fait de la mise en œuvre des clauses de désignation et de migration, un Accord National Interprofessionnel a été conclu le 11 janvier 2013 par les partenaires sociaux, prévoyant en son article 1er la généralisation de la complémentaire santé avec pour effet certain de renforcer les distorsions de concurrence constatées sur ce marché au bénéfice des IP.
L’APAC a alors finalisé son dossier de saisine pour de l’Autorité de la Concurrence en intégrant ses interrogations sur les incidences de la transcription dans la loi de l’article 1er de l’ANI sur le marché de la complémentaire santé.
C’est dans le contexte de l’intégration de l’article 1er de l’ANI dans le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi déposé le 6?mars 2013, et au cours des débats parlementaires que l’Autorité de la Concurrence, après avoir entendu en séance du 28?mars 2013 tous les acteurs du marché, a rendu le lendemain, et ce de manière exceptionnelle, son avis du 29?mars 2013, afin que le débat parlementaire ayant trait à la généralisation de la complémentaire santé prenne la mesure de son analyse et intègre ses préconisations.
En effet, dans son avis du 29?mars 2013, l’Autorité de la Concurrence, après avoir constaté que les clauses de désignation et de migration étaient de nature à entraver le libre jeu de la concurrence entre les différents acteurs du marché, a formulé un certain nombre de recommandations pour que la transcription législative de l’ANI, dans ses termes relatifs à la désignation, soit en conformité avec le droit de la concurrence, notamment par la mise en œuvre d’une procédure de mise en concurrence des différents opérateurs susceptibles d’être recommandés ou désignés.
…et ignorée
Or, le Gouvernement a parfaitement ignoré les préconisations de l’Autorité de la concurrence et le Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social lui-même a demandé aux assemblées parlementaires de voter en faveur de la réintroduction de la «?désignation?».
C’est ainsi que le 14?mai 2013, le Projet de loi sur la sécurisation de l’emploi faisait l’objet d’un vote conforme aux prescriptions du Ministre en deuxième lecture.
Les 15 et 16?mai 2013, le Conseil constitutionnel était saisi par plus de soixante députés et soixante sénateurs pour qu’il se prononce sur la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale complétées par celles de l’article 1er, paragraphe II, 2°.
Dans sa décision n°2013-672 DC du 13?juin 2013, le Conseil constitutionnel a, sur le fondement des principes constitutionnels de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle, déclaré inconstitutionnelles les clauses de désignation et de migration et les dispositions de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale et de l’article 1er, paragraphe II, 2° du Projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, avec prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité au jour de la publication de la décision, soit au 16?juin 2013.
Le Conseil constitutionnel a ensuite été saisi le 25?juillet 2013 par le Conseil d’État, d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité posée par les sociétés Allianz IARD et Allianz Vie, portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2006-344 du 23?mars 2006.
Dans sa décision n°2013-349 QPC du 18?octobre 2013, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il n’y avait pas lieu à se prononcer sur cette QPC, dans la mesure où il avait déjà tranché la même question à l’occasion de sa décision 2013-672 DC du 13?juin 2013 relative à la loi de sécurisation de l’emploi, réitérant ainsi sa position sur l’inconstitutionnalité des clauses de désignation, de migration et de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale.
La décision historique du 13?juin 2013 du Conseil constitutionnel, réaffirmée dans sa décision du 18?octobre 2013, n’a pourtant pas stoppé le désir des partenaires sociaux de réintroduire les «?clauses de désignation?».
C’est ainsi que la Ministre des affaires sociales et de la santé a réintroduit la désignation dans le cadre du Projet de loi sur le financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, sous la dénomination déguisée de «?clauses de recommandation?» reposant sur un «?quasi dispositif de sanction?», procédant d’une majoration du taux de forfait social sur les cotisations employeurs de l’ordre de 8 à 12?%, pour les entreprises qui ne se conformeraient pas à la recommandation.
Le PLFSS a été adopté par l’Assemblée Nationale le 29?octobre 2013, mais rejeté par le Sénat le 14?novembre 2013, considérant que les dispositions de l’article 12ter du PLFSS, introduisant la «?désignation déguisée?», avaient pour seul objectif de contourner les précédentes décisions du Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement passe en force
Après un nouveau rejet par le Sénat le 28?novembre 2013 en deuxième lecture, le Gouvernement a demandé à l’Assemblée nationale de statuer définitivement, ce qu’elle a fait le 3?décembre 2013, en votant le PLFSS avec «?clause de recommandation?» des organismes assureurs, en dépit des précédentes décisions du Conseil constitutionnel.
Le Projet de loi, a alors été déféré au Conseil constitutionnel les 4 et 5?décembre 2013, lequel, dans sa décision n°2013-682 DC du 19?décembre 2013, a relevé que les dispositions de l’article 14 du Projet de loi déféré, renvoient aux accords professionnels la faculté d’organiser la couverture des risques en «?recommandant?» un ou plusieurs organismes assureurs, sans imposer de désignation d’un tel organisme, et qu’il ne méconnaissait donc pas sa précédente décision et ne portait pas atteinte à la liberté contractuelle ou la liberté d’entreprendre, mais que le dispositif d’incitation fiscale, en raison de son caractère disproportionné, entraînait une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives à la modulation du taux de forfait social prévues et c’est en conformité avec cette dernière décision que le Gouvernement a promulgué la loi n°2013-1203 pour le financement de la sécurité sociale, le 23?décembre 2013, sans référence au dispositif d’incitation fiscale.
Les appels d’offres enfin imposés
Aussi, pour les accords conclus à compter du 1er?janvier 2014, les partenaires sociaux conservent la possibilité de recommander aux entreprises d’une branche professionnelle un ou plusieurs organismes d’assurance pour la gestion de leur couverture santé, mais cette recommandation doit être précédée d’un appel d’offres et donc d’une mise en concurrence des différents organismes assureurs, dans des conditions d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement entre les candidats (un cahier des charges sera défini dans un décret à intervenir).
Cette procédure de recommandation reste facultative, les branches n’étant pas contraintes de recommander un organisme assureur.
L’APAC est bien entendu satisfaite de cette avancée significative intervenue après de longs mois de mobilisation, dès lors que la loi permet aujourd’hui aux acteurs du marché d’agir dans un contexte de saine et libre concurrence.
Maintenir la vigilance
Pour autant, l’APAC avait identifié, avant la fin de la trilogie des décisions du Conseil constitutionnel, certaines branches ayant procédé à la désignation d’organismes assureurs, en dépit de leur déclaration d’inconstitutionnalité par la décision n°2013-672 DC du 13?juin 2013.
Aussi, l’APAC a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris les partenaires sociaux signataires (i) de l’avenant n°83 du 25?juin 2013, relatif au régime de prévoyance des salariés de la branche «?Poissonnerie?», (ii) de l’accord en date du 28 juin 2013 relatif à la désignation de l’organisme assureur AG2R Prévoyance pour la branche «?Espaces de loisirs, d’attractions et culturels?», ainsi que son annexe, l’avenant n°45 relatif au remboursement de frais de santé, et enfin (iii) de l’accord du 15?novembre 2012 relatif à la désignation des organismes assureurs CCPMA Prévoyance et OCIRP garantissant le régime de prévoyance des salariés de la branche «?coopératives et sociétés d’intérêt collectif agricole bétail et viande?», pour en demander la nullité absolue.
De même, l’APAC a introduit un recours en annulation devant le Conseil d’État contre l’arrêté du Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt du 19?août 2013 portant extension d’un accord national de travail relatif à la création d’un régime conventionnel de prévoyance dans la coopération bétail et viande.
Ce contentieux complexe suivra donc son cours en 2014, mais dans un état de droit très différent de celui existant au moment de la signature de l’ANI le 11?janvier 2013.
1-Cass. soc., 8 mars 1994, SA Bayer France c/ IRPVRP, INPR et AGIRC; CE, 14 juin 2000, FFSA c/ Ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
2-CJCE, 21 sept. 1999, aff. 219/97 Brokken
3-Source : Protection sociale informations n°854 « Le CTIP se penche sur les clauses de désignation »
La loi n°89-1009 du 31?décembre 1989, dite «?Loi EVIN?», ayant notamment défini les conditions de mise en place des régimes collectifs de prévoyance, a consacré la pratique des «?clauses de désignation?» stipulée dans une convention ou un accord collectif de branche professionnelle, consistant à confier à un organisme assureur exclusif la couverture des garanties du régime de prévoyance, et ce pour l’ensemble des salariés des entreprises relevant de ladite branche professionnelle, en application de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale, la validité des clauses de désignation ayant été admise, d’abord par la jurisprudence nationale (1), puis par la jurisprudence communautaire (2).
Le développement de la pratique des «?clauses de migration?» stipulées dans ces mêmes accords ou conventions collectives de branches, permettant l’affiliation pour cinq ans minimum à un régime de prévoyance, sans possibilité de dispense pour les entreprises rattachées à la branche et ce malgré l’existence préalable d’un contrat de prévoyance, a révélé un système favorisant manifestement les institutions de prévoyance (IP), sans mise en concurrence préalable des différents acteurs du marché.
Un manque manifeste de concurrence
Ainsi, les IP concentraient 90?% des désignations des 224 régimes de branche existants, avec 337 désignations accordées sur les 377 recensées en 2012 (3).
Se sont ainsi retrouvés évincés du marché de la prévoyance collective les autres acteurs, tels que les mutuelles, les entreprises d’assurance, ainsi que les intermédiaires en assurance (courtiers en assurance).
C’est dans ce contexte que le Cabinet Savin Martinet Associés (Yvon MARTINET et Safine HADRI signataires du présent article) a été saisi de la problématique ayant trait à la captation du marché de la prévoyance collective et de l’assurance complémentaire santé par les IP, dès septembre?2010, par la société April Assurances, courtier spécialisé.
Le constat de l’ampleur des distorsions de concurrence sur le marché de la prévoyance collective et de la complémentaire santé a impulsé la création d’une association réunissant les acteurs impliqués par cette problématique (assureurs, courtiers et agents d’assurance, mutuelles, organisations professionnelles, associations, etc.).
L’APAC au front
C’est ainsi qu’est née l’Association pour la promotion de l’assurance collective (APAC) le 9?novembre 2011, avec pour objet de promouvoir la concurrence dans le domaine de la protection sociale complémentaire des travailleurs salariés et non-salariés, et pour ambition de fédérer les différents acteurs impliqués dans le débat relatif à la problématique de la libre concurrence en assurance collective.
Assistée par le Cabinet Savin Martinet Associés, la commission juridique de l’APAC a procédé à l’analyse minutieuse d’une cinquantaine de conventions collectives nationales et a constaté la désignation quasi systématique d’IP, en dehors de toute justification du prétendu haut degré de solidarité des régimes de prévoyance collective et d’assurance complémentaire santé mis en œuvre par les IP désignées par accord de branche, et de procédure objective de mise en concurrence des acteurs du marché.
L’autorité de la concurrence consultée…
C’est ainsi que, forte de près de 500 membres, l’association a décidé de porter la problématique de la captation du marché de la prévoyance collective et de l’assurance complémentaire santé par les IP devant l’Autorité de la Concurrence, au travers d’une saisine pour avis.
Dans le contexte d’une concurrence déjà fortement altérée sur le marché de l’assurance complémentaire santé du fait de la mise en œuvre des clauses de désignation et de migration, un Accord National Interprofessionnel a été conclu le 11 janvier 2013 par les partenaires sociaux, prévoyant en son article 1er la généralisation de la complémentaire santé avec pour effet certain de renforcer les distorsions de concurrence constatées sur ce marché au bénéfice des IP.
L’APAC a alors finalisé son dossier de saisine pour de l’Autorité de la Concurrence en intégrant ses interrogations sur les incidences de la transcription dans la loi de l’article 1er de l’ANI sur le marché de la complémentaire santé.
C’est dans le contexte de l’intégration de l’article 1er de l’ANI dans le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi déposé le 6?mars 2013, et au cours des débats parlementaires que l’Autorité de la Concurrence, après avoir entendu en séance du 28?mars 2013 tous les acteurs du marché, a rendu le lendemain, et ce de manière exceptionnelle, son avis du 29?mars 2013, afin que le débat parlementaire ayant trait à la généralisation de la complémentaire santé prenne la mesure de son analyse et intègre ses préconisations.
En effet, dans son avis du 29?mars 2013, l’Autorité de la Concurrence, après avoir constaté que les clauses de désignation et de migration étaient de nature à entraver le libre jeu de la concurrence entre les différents acteurs du marché, a formulé un certain nombre de recommandations pour que la transcription législative de l’ANI, dans ses termes relatifs à la désignation, soit en conformité avec le droit de la concurrence, notamment par la mise en œuvre d’une procédure de mise en concurrence des différents opérateurs susceptibles d’être recommandés ou désignés.
…et ignorée
Or, le Gouvernement a parfaitement ignoré les préconisations de l’Autorité de la concurrence et le Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social lui-même a demandé aux assemblées parlementaires de voter en faveur de la réintroduction de la «?désignation?».
C’est ainsi que le 14?mai 2013, le Projet de loi sur la sécurisation de l’emploi faisait l’objet d’un vote conforme aux prescriptions du Ministre en deuxième lecture.
Les 15 et 16?mai 2013, le Conseil constitutionnel était saisi par plus de soixante députés et soixante sénateurs pour qu’il se prononce sur la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale complétées par celles de l’article 1er, paragraphe II, 2°.
Dans sa décision n°2013-672 DC du 13?juin 2013, le Conseil constitutionnel a, sur le fondement des principes constitutionnels de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle, déclaré inconstitutionnelles les clauses de désignation et de migration et les dispositions de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale et de l’article 1er, paragraphe II, 2° du Projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, avec prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité au jour de la publication de la décision, soit au 16?juin 2013.
Le Conseil constitutionnel a ensuite été saisi le 25?juillet 2013 par le Conseil d’État, d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité posée par les sociétés Allianz IARD et Allianz Vie, portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2006-344 du 23?mars 2006.
Dans sa décision n°2013-349 QPC du 18?octobre 2013, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il n’y avait pas lieu à se prononcer sur cette QPC, dans la mesure où il avait déjà tranché la même question à l’occasion de sa décision 2013-672 DC du 13?juin 2013 relative à la loi de sécurisation de l’emploi, réitérant ainsi sa position sur l’inconstitutionnalité des clauses de désignation, de migration et de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale.
La décision historique du 13?juin 2013 du Conseil constitutionnel, réaffirmée dans sa décision du 18?octobre 2013, n’a pourtant pas stoppé le désir des partenaires sociaux de réintroduire les «?clauses de désignation?».
C’est ainsi que la Ministre des affaires sociales et de la santé a réintroduit la désignation dans le cadre du Projet de loi sur le financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, sous la dénomination déguisée de «?clauses de recommandation?» reposant sur un «?quasi dispositif de sanction?», procédant d’une majoration du taux de forfait social sur les cotisations employeurs de l’ordre de 8 à 12?%, pour les entreprises qui ne se conformeraient pas à la recommandation.
Le PLFSS a été adopté par l’Assemblée Nationale le 29?octobre 2013, mais rejeté par le Sénat le 14?novembre 2013, considérant que les dispositions de l’article 12ter du PLFSS, introduisant la «?désignation déguisée?», avaient pour seul objectif de contourner les précédentes décisions du Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement passe en force
Après un nouveau rejet par le Sénat le 28?novembre 2013 en deuxième lecture, le Gouvernement a demandé à l’Assemblée nationale de statuer définitivement, ce qu’elle a fait le 3?décembre 2013, en votant le PLFSS avec «?clause de recommandation?» des organismes assureurs, en dépit des précédentes décisions du Conseil constitutionnel.
Le Projet de loi, a alors été déféré au Conseil constitutionnel les 4 et 5?décembre 2013, lequel, dans sa décision n°2013-682 DC du 19?décembre 2013, a relevé que les dispositions de l’article 14 du Projet de loi déféré, renvoient aux accords professionnels la faculté d’organiser la couverture des risques en «?recommandant?» un ou plusieurs organismes assureurs, sans imposer de désignation d’un tel organisme, et qu’il ne méconnaissait donc pas sa précédente décision et ne portait pas atteinte à la liberté contractuelle ou la liberté d’entreprendre, mais que le dispositif d’incitation fiscale, en raison de son caractère disproportionné, entraînait une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives à la modulation du taux de forfait social prévues et c’est en conformité avec cette dernière décision que le Gouvernement a promulgué la loi n°2013-1203 pour le financement de la sécurité sociale, le 23?décembre 2013, sans référence au dispositif d’incitation fiscale.
Les appels d’offres enfin imposés
Aussi, pour les accords conclus à compter du 1er?janvier 2014, les partenaires sociaux conservent la possibilité de recommander aux entreprises d’une branche professionnelle un ou plusieurs organismes d’assurance pour la gestion de leur couverture santé, mais cette recommandation doit être précédée d’un appel d’offres et donc d’une mise en concurrence des différents organismes assureurs, dans des conditions d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement entre les candidats (un cahier des charges sera défini dans un décret à intervenir).
Cette procédure de recommandation reste facultative, les branches n’étant pas contraintes de recommander un organisme assureur.
L’APAC est bien entendu satisfaite de cette avancée significative intervenue après de longs mois de mobilisation, dès lors que la loi permet aujourd’hui aux acteurs du marché d’agir dans un contexte de saine et libre concurrence.
Maintenir la vigilance
Pour autant, l’APAC avait identifié, avant la fin de la trilogie des décisions du Conseil constitutionnel, certaines branches ayant procédé à la désignation d’organismes assureurs, en dépit de leur déclaration d’inconstitutionnalité par la décision n°2013-672 DC du 13?juin 2013.
Aussi, l’APAC a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris les partenaires sociaux signataires (i) de l’avenant n°83 du 25?juin 2013, relatif au régime de prévoyance des salariés de la branche «?Poissonnerie?», (ii) de l’accord en date du 28 juin 2013 relatif à la désignation de l’organisme assureur AG2R Prévoyance pour la branche «?Espaces de loisirs, d’attractions et culturels?», ainsi que son annexe, l’avenant n°45 relatif au remboursement de frais de santé, et enfin (iii) de l’accord du 15?novembre 2012 relatif à la désignation des organismes assureurs CCPMA Prévoyance et OCIRP garantissant le régime de prévoyance des salariés de la branche «?coopératives et sociétés d’intérêt collectif agricole bétail et viande?», pour en demander la nullité absolue.
De même, l’APAC a introduit un recours en annulation devant le Conseil d’État contre l’arrêté du Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt du 19?août 2013 portant extension d’un accord national de travail relatif à la création d’un régime conventionnel de prévoyance dans la coopération bétail et viande.
Ce contentieux complexe suivra donc son cours en 2014, mais dans un état de droit très différent de celui existant au moment de la signature de l’ANI le 11?janvier 2013.
1-Cass. soc., 8 mars 1994, SA Bayer France c/ IRPVRP, INPR et AGIRC; CE, 14 juin 2000, FFSA c/ Ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
2-CJCE, 21 sept. 1999, aff. 219/97 Brokken
3-Source : Protection sociale informations n°854 « Le CTIP se penche sur les clauses de désignation »