Par Roland de Moustier, avocat associé. Frêche & Associés
Le projet de loi Ddadue adopté en commission mixte paritaire le 27?juin 2013 envisage la création d’un statut de consommateur gazo-intensif sur le modèle de celui des consommateurs électro-intensifs ; au vu de l’avis de la Commission du 4?mai 2013, on peut s’interroger sur la compatibilité de ces mécanismes avec les règles relatives aux aides d’État.

Les conditions particulières d’accès aux réseaux de transport et de distribution de gaz ou d’électricité dont peuvent bénéficier les entreprises gazo-intensives ou électro-intensives sont-elles susceptibles de constituer des aides d’État ? Voila la question que le législateur français pourrait être amené à se poser au vu de l’avis rendu par la Commission européenne le 4?mai 2013 à l’issue d’une enquête approfondie ouverte le 6?mars 2013 à propos d’une aide potentielle en faveur des grands consommateurs d’électricité exonérés des droits de réseau en Allemagne.

Avis de la Commission du 4?mai 2013 sur l’exonération des droits de réseau
La Commission avait déjà eu l’occasion de considérer que des tarifs préférentiels d’électricité pour certaines entreprises peuvent être justifiés à un moment précis pour des raisons historiques (1) ou commerciales (2) ; mais leur prolongation sans adaptation aux conditions du marché a généralement été analysée comme une aide faussant la concurrence.
Si ces hypothèses tiennent le plus souvent aux tarifs d’achat ou de vente d’électricité, le dispositif soumis à l’examen de la Commission avait trait plus spécifiquement à l’exonération des droits au réseau.
Un amendement à la législation allemande de 2011 a ainsi permis aux grands consommateurs d’électricité d’être dispensés des droits de réseau, dès lors que leur consommation dépasse 7 000 heures et 10 GWh. Cette exonération (estimée en 2012 à environ 300 M. d’euros) était répercutée sur les consommateurs finaux d’électricité par l’instauration d’une surtaxe perçue par les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) et reversée en partie aux gestionnaires de réseaux de transport (GRT). Cette surtaxe visait à dédommager les GRD et les GRT des pertes résultant de l’exonération.
La Commission estime que ce dispositif confère à ses bénéficiaires un avantage sélectif par rapport à des entreprises concurrentes installées dans d’autres États membres, ce qui est de nature à fausser la concurrence. Elle se fonde notamment sur les arrêts Steinike et Essent (3) pour relever que la surtaxe a été imposée par l’État et constitue une ressource d’État, que les GRT ont été désignés pour l’administrer et qu’ils ne peuvent ni fixer son montant librement, ni l’affecter à la destination qui leur convient, de sorte que l’exonération est une aide d’État.
Au vu de l’avis de la Commission, on peut s’interroger sur la possibilité de mettre en place des dispositifs ayant pour effet de faire bénéficier les entreprises électro-intensives ou gazo-intensives d’un tarif préférentiel.

Projet de loi Ddadue sur les consommateurs gazo-intensifs
Cette question se pose d’autant plus en France qu’a été récemment adopté, lors des débats au Sénat sur le projet de loi Ddadue, un amendement visant, selon les travaux préparatoires, à créer un statut de consommateur gazo-intensif «?sur le modèle du statut de consommateur électro-intensif?». Une telle mesure serait destinée à permettre à certaines entreprises, répondant à des critères définis par décret au regard de leur consommation et de leurs activités exposées à la concurrence internationale, de bénéficier de conditions particulières d’accès aux réseaux (4).
Toujours est-il que le dispositif existant actuellement en France permettant aux entreprises électro-intensives de bénéficier de tarifs préférentiels repose a priori sur une logique différente de celui pointé par la Commission en Allemagne ou de celui envisagé par le projet de loi pour les gazo-intensifs.
En effet, l’article 43 de loi du 30?décembre 2005 de finances rectificatives et le décret du 3?mai 2006 pris en application de l’article 238 bis HZ bis du code général des impôts et relatif aux sociétés d’approvisionnement à long terme d’électricité, a permis la mise en place d’un consortium Exeltium regroupant les entreprises fortement consommatrices d’électricité. Ce consortium est chargé de conclure des contrats d’approvisionnement d’électricité à long terme auprès de producteurs, au bénéfice de ses actionnaires. En souscrivant au capital du consortium, les entreprises électro-intensives bénéficiaient avant le 1er?janvier 2007 d’un régime fiscal plus favorable pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés.
Ainsi, le tarif préférentiel dont bénéficient les entreprises électro-intensives via le consortium résulte, contrairement au système allemand, davantage d’une logique de marché, le regroupement des consommateurs d’électricité et les contrats d’approvisionnement conclus pour une longue durée (au minimum 15 ans selon la loi précitée de 2005) permettant la baisse du tarif qui leur est applicable.
C’est peut-être la raison pour laquelle ce statut des entreprises électro-intensives n’a à ce jour pas fait l’objet de critiques de la part de la Commission au regard des règles relatives aux aides d’État. La France semble donc avoir trouvé une voie équilibrée pour favoriser les entreprises électro-intensives tout en évitant l’écueil de l’aide d’État.
Pour autant, en l’état du projet de texte et des travaux préparatoires, il n’est pas certain que le mécanisme envisagé pour les entreprises gazo-intensives reposerait sur les mêmes fondements, dans la mesure où l’idée d’un consortium chargé de conclure des contrats d’approvisionnement long terme pour ses membres n’est pour l’instant pas évoquée. En l’état (mais il faut sans doute attendre le texte définitif et son décret d’application), il semble en effet envisagé de faire bénéficier les entreprises gazo-intensives de conditions particulières d'approvisionnement et d'accès aux réseaux de transport et de distribution de gaz naturel sans conditions autres que celles liées au volume de consommation du site, à la nature de l’activité reconnue comme étant exposée à la concurrence internationale et au rapport entre les achats de gaz et la valeur ajoutée de l’entreprise, c'est-à-dire dans des conditions assez proches de celles critiquées par la Commission.
On précisera enfin que c’est normalement le régulateur qui est compétent pour préciser les conditions d’accès aux réseaux de gaz et pour élaborer le tarif ATRT (accès des tiers aux réseaux de transport de gaz), de sorte que le dispositif reposera sur une déclinaison pilotée par la Commission de régulation de l’énergie qui devra notamment veiller à ce que ces tarifs favorisent l’ouverture à la concurrence.

1 Commission, 20?novembre 2007, IP/07/1727.
2 Commission, 19?novembre 2009, IP/09/1750.
3 CJCE, 22?mars 1977, aff. C-78/76 et CJCE, 17?juillet 2008, aff. C-206/06.
4 Cf. texte en l’état de sa version adoptée en commission mixte paritaire le 27?juin 2013.


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