Par Guillaume Bordier, avocat associé. Capstan Avocats
L’actionnariat salarié peut-il encore être discrétionnaire ?
Le principe « d’égalité de traitement », non défini précisément par la loi, est devenu une règle fondamentale dans l’encadrement des pratiques de rémunération des entreprises. On peut soit s’en réjouir, soit s’inquiéter de voir qu’il est laissé le soin au seul juge de créer de toutes pièces un droit de l’égalité de rémunération entre les salariés en dehors de tout cadre ou critère fixé par le législateur.
Dans la droite ligne du courant jurisprudentiel visant à contrôler de plus en plus étroitement la légitimité des décisions de l’employeur, la jurisprudence impose désormais un exercice d’objectivation de ses pratiques RH, dont la politique de rémunération est l’un des piliers. Il reste à déterminer si tous les pans de cette politique sont concernés, ou bien s’il reste des îlots de liberté où le principe discrétionnaire résiste encore.
L’extension du principe d’égalité de traitement en matière de rémunération
Avec l’arrêt Ponsolle de 1996, le principe général « d’égalité de traitement » est devenu la règle encadrant les politiques de rémunération. Depuis, la jurisprudence s’est prononcée à de multiples reprises sur l’application de ce principe, qui a été systématiquement confirmé dans son principe et élargi dans son étendue. La Cour de cassation a précisé par exemple que les augmentations individuelles « ne peuvent être accordées de manière discrétionnaire et doivent correspondre à des critères objectifs et vérifiables » (Cass. soc. 2 octobre 2001, n° 99-17577). De même, l’attribution d’une prime peut être discrétionnaire, mais à condition pour l’employeur de « ustifier de façon objective et pertinente d’une différence de rémunération » entre les salariés effectuant un travail de valeur égale (Cass. soc. 30 avril 2009, n° 07-40527, sur le cas du bonus versé à un analyste financier). En d’autres termes, le caractère exceptionnel de l’attribution d’un avantage n’exclut pas de devoir se justifier. Il est donc désormais acquis que dans le domaine de la rémunération (au sens large) l’employeur ne peut pas se contenter de se prévaloir d’un pouvoir discrétionnaire, quel que soit le secteur d’activité, le niveau hiérarchique ou les fonctions du salarié.
La justification du traitement inégal
Le juge est donc invité à vérifier concrètement les raisons objectives et pertinentes justifiant une éventuelle disparité de traitement. En effet, pour appliquer le principe d’égalité de traitement, la jurisprudence a suivi le principe dégagé par le code du travail en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, en l’appliquant à tous les avantages découlant de la relation de travail : « Attendu que si l’employeur peut faire bénéficier certains salariés d’un avantage particulier, c’est à la condition, si tous les salariés sont situés dans une position identique au regard de cet avantage, que cette différence de traitement repose sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence » (Cass. 25 mars 2009, n° 08-41229). Un arrêt plus récent complète la règle en exigeant que « les règles déterminant les conditions d’attribution de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables » (Cass. soc. 12 uillet 2010, n° 09-15182). On aura appris entre-temps que la simple appartenance du salarié à une catégorie professionnelle ne suffit plus à légitimer une différence de traitement (Cass. soc. 28 mars 2012, n° 11-12.043), mais qu’elle peut se justifier si elle a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération.
Et l’actionnariat salarié ?
Dans ces conditions, l’actionnariat salarié peut-il rester durablement à l’abri de cette évolution ? Les stock-options et attributions gratuites d’actions trouvent leur origine dans le code de commerce, qui ne contient aucune réserve sur la liberté de détermination de leurs bénéficiaires. Au contraire, l’article L.225-197-1 prévoit la possibilité d’attribuer des actions « au profit des membres du personnel salarié de la société ou de certaines catégories d’entre eux » et précise que « le conseil d’administration ou, le cas échéant, le directoire détermine l’identité des bénéficiaires?». Pourtant, la combinaison des règles du code de commerce et des principes du droit du travail, la généralité du principe d’égalité de traitement et l’extension progressive de son champ d’application à l’ensemble des éléments de la relation de travail et aux périphériques de la rémunération laissaient craindre que ces avantages ne puissent plus relever du pouvoir discrétionnaire de l’employeur.
La juridiction prud’homale est compétente
Un nouveau pas a été franchi dans cette direction par la Cour de cassation dans un arrêt du 11 septembre 2012, dans lequel la Cour confirme la compétence de la juridiction prud’homale pour se prononcer sur une demande en paiement de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice causé par l’inégalité de traitement alléguée par un salarié dans l’octroi d’actions de la société à certains membres de son personnel. L’argument selon lequel la participation au capital de l’entreprise ne constituait pas un accessoire du contrat de travail a été écarté, au motif qu’il était établi que des distributions d’actions réservées aux salariés et, plus généralement, qu’une politique d’actionnariat salarié était pratiquée au sein du groupe au travers de sociétés holding. Sur le principe, le conseil de prud’hommes est effectivement compétent pour statuer sur tout différend s’élevant à l’occasion du contrat de travail entre un employeur et un salarié. Les litiges liés au principe d’égalité de traitement en font donc partie. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de relever que la société qui attribue les actions n’est pas nécessairement celle qui emploie le salarié.
En tout état de cause, il appartiendra à la juridiction prud’homale saisie d’un tel litige :
- de définir le périmètre pertinent de la comparaison, c’est-à-dire l’ensemble des salariés de l’entreprise (et non du groupe) placés dans une situation identique au regard de l’avantage concerné (l’attribution d’actions),
- si des différences de traitement sont constatées à l’intérieur de ce périmètre, de déterminer si elles reposent sur des raisons réelles, objectives et pertinentes.
Il est donc recommandé, afin de se prémunir d’actions à l’encontre de la société émanant de salariés ou d’anciens salariés, de déterminer dès l’origine les critères objectifs et pertinents ayant permis d’arrêter la liste des bénéficiaires de stock-options ou d’actions gratuites, soit dans le règlement du plan, soit dans les délibérations des organes de direction compétents pour arrêter la liste des bénéficiaires.
Dans la droite ligne du courant jurisprudentiel visant à contrôler de plus en plus étroitement la légitimité des décisions de l’employeur, la jurisprudence impose désormais un exercice d’objectivation de ses pratiques RH, dont la politique de rémunération est l’un des piliers. Il reste à déterminer si tous les pans de cette politique sont concernés, ou bien s’il reste des îlots de liberté où le principe discrétionnaire résiste encore.
L’extension du principe d’égalité de traitement en matière de rémunération
Avec l’arrêt Ponsolle de 1996, le principe général « d’égalité de traitement » est devenu la règle encadrant les politiques de rémunération. Depuis, la jurisprudence s’est prononcée à de multiples reprises sur l’application de ce principe, qui a été systématiquement confirmé dans son principe et élargi dans son étendue. La Cour de cassation a précisé par exemple que les augmentations individuelles « ne peuvent être accordées de manière discrétionnaire et doivent correspondre à des critères objectifs et vérifiables » (Cass. soc. 2 octobre 2001, n° 99-17577). De même, l’attribution d’une prime peut être discrétionnaire, mais à condition pour l’employeur de « ustifier de façon objective et pertinente d’une différence de rémunération » entre les salariés effectuant un travail de valeur égale (Cass. soc. 30 avril 2009, n° 07-40527, sur le cas du bonus versé à un analyste financier). En d’autres termes, le caractère exceptionnel de l’attribution d’un avantage n’exclut pas de devoir se justifier. Il est donc désormais acquis que dans le domaine de la rémunération (au sens large) l’employeur ne peut pas se contenter de se prévaloir d’un pouvoir discrétionnaire, quel que soit le secteur d’activité, le niveau hiérarchique ou les fonctions du salarié.
La justification du traitement inégal
Le juge est donc invité à vérifier concrètement les raisons objectives et pertinentes justifiant une éventuelle disparité de traitement. En effet, pour appliquer le principe d’égalité de traitement, la jurisprudence a suivi le principe dégagé par le code du travail en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, en l’appliquant à tous les avantages découlant de la relation de travail : « Attendu que si l’employeur peut faire bénéficier certains salariés d’un avantage particulier, c’est à la condition, si tous les salariés sont situés dans une position identique au regard de cet avantage, que cette différence de traitement repose sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence » (Cass. 25 mars 2009, n° 08-41229). Un arrêt plus récent complète la règle en exigeant que « les règles déterminant les conditions d’attribution de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables » (Cass. soc. 12 uillet 2010, n° 09-15182). On aura appris entre-temps que la simple appartenance du salarié à une catégorie professionnelle ne suffit plus à légitimer une différence de traitement (Cass. soc. 28 mars 2012, n° 11-12.043), mais qu’elle peut se justifier si elle a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération.
Et l’actionnariat salarié ?
Dans ces conditions, l’actionnariat salarié peut-il rester durablement à l’abri de cette évolution ? Les stock-options et attributions gratuites d’actions trouvent leur origine dans le code de commerce, qui ne contient aucune réserve sur la liberté de détermination de leurs bénéficiaires. Au contraire, l’article L.225-197-1 prévoit la possibilité d’attribuer des actions « au profit des membres du personnel salarié de la société ou de certaines catégories d’entre eux » et précise que « le conseil d’administration ou, le cas échéant, le directoire détermine l’identité des bénéficiaires?». Pourtant, la combinaison des règles du code de commerce et des principes du droit du travail, la généralité du principe d’égalité de traitement et l’extension progressive de son champ d’application à l’ensemble des éléments de la relation de travail et aux périphériques de la rémunération laissaient craindre que ces avantages ne puissent plus relever du pouvoir discrétionnaire de l’employeur.
La juridiction prud’homale est compétente
Un nouveau pas a été franchi dans cette direction par la Cour de cassation dans un arrêt du 11 septembre 2012, dans lequel la Cour confirme la compétence de la juridiction prud’homale pour se prononcer sur une demande en paiement de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice causé par l’inégalité de traitement alléguée par un salarié dans l’octroi d’actions de la société à certains membres de son personnel. L’argument selon lequel la participation au capital de l’entreprise ne constituait pas un accessoire du contrat de travail a été écarté, au motif qu’il était établi que des distributions d’actions réservées aux salariés et, plus généralement, qu’une politique d’actionnariat salarié était pratiquée au sein du groupe au travers de sociétés holding. Sur le principe, le conseil de prud’hommes est effectivement compétent pour statuer sur tout différend s’élevant à l’occasion du contrat de travail entre un employeur et un salarié. Les litiges liés au principe d’égalité de traitement en font donc partie. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de relever que la société qui attribue les actions n’est pas nécessairement celle qui emploie le salarié.
En tout état de cause, il appartiendra à la juridiction prud’homale saisie d’un tel litige :
- de définir le périmètre pertinent de la comparaison, c’est-à-dire l’ensemble des salariés de l’entreprise (et non du groupe) placés dans une situation identique au regard de l’avantage concerné (l’attribution d’actions),
- si des différences de traitement sont constatées à l’intérieur de ce périmètre, de déterminer si elles reposent sur des raisons réelles, objectives et pertinentes.
Il est donc recommandé, afin de se prémunir d’actions à l’encontre de la société émanant de salariés ou d’anciens salariés, de déterminer dès l’origine les critères objectifs et pertinents ayant permis d’arrêter la liste des bénéficiaires de stock-options ou d’actions gratuites, soit dans le règlement du plan, soit dans les délibérations des organes de direction compétents pour arrêter la liste des bénéficiaires.