« Nous réfléchissons à l’élaboration de nouvelles mesures, et notamment la tarification sociale »
Décideurs. Le marché français de l’eau compte deux principaux acteurs privés, Suez Environnement et Veolia. Peut-on imaginer dans un futur proche l’émergence de nouveaux protagonistes ? À quelles conditions ?

Jean-Louis Chaussade. Actuellement, nous représentons avec Véolia et Saur quasiment les trois quarts du marché de la distribution de l’eau et la moitié de celui de l’assainissement. En à peine dix ans, les acteurs publics municipaux ont pris une place importante. En effet, le marché français est fortement animé non seulement par la concurrence qui existe entre les acteurs privés, mais aussi par le fait que les collectivités ont le choix entre privé et public, ces dernières ayant beaucoup de moyens de pression sur l’entreprise privée. Elles participent donc activement au jeu de la concurrence qui est l’une des plus importantes d’Europe. Nous pouvons également mentionner l’entrée progressive d’acteurs étrangers sur ce marché. Citons par exemple le rachat de la Nantaise des eaux par une grande société allemande, Gelsenwasser. Alors, on peut imaginer l’arrivée de nouveaux protagonistes, mais demain, seules l’innovation et les nouvelles technologies seront garantes de la longévité des entreprises, que ce soit grâce à la télérelève qui permet de surveiller la consommation d’eau, à la gestion intelligente des épisodes pluvieux ou encore en limitant les fuites dans les réseaux.

Décideurs. Comment peut-on promouvoir une coopération public-privé en matière de gestion d’eau ?

J.-L. C.
La nature même du marché français pousse à la coopération et nous nous devons de la développer. Les grands objectifs doivent être fixés par le public, dont c’est le rôle, et l’efficacité du privé mise au service de ces objectifs. Il existe de multiples formes d’amélioration de cette coopération. Elle passe tout d’abord par un besoin de transparence, en ce qui concerne les résultats techniques et financiers, mais également par de nouvelles propositions en matière de gouvernance. C’est ce que la Lyonnaise des eaux a fait avec « le contrat pour la santé de l’eau », qui propose un nouveau modèle politique et économique de l’eau. Enfin, nous réfléchissons à l’élaboration de nouvelles mesures, et notamment la tarification sociale, qui permettrait un accès facile à l’eau, à un tarif raisonnable. Toutefois, les réponses ne sont pas uniques car les ambitions des collectivités ne sont pas toujours les mêmes.

Décideurs. Dans votre ouvrage Le XXIe siècle, le siècle de l'eau ?, vous défendez l’idée d’une eau potable accessible à tous. Quels sont les leviers d’action ?

J.-L. C.
Ils sont multiples. Il y a, tout d’abord, la possibilité de mettre en place une tarification différenciée basée sur un prix relativement bas pour les premiers mètres cubes (l’eau vitale), qui augmenterait proportionnellement à la consommation (l’eau de confort).
Nous pourrions également individualiser les consommations grâce à un comptage intelligent. Ce levier présente cependant quelques difficultés de mise en place. Il est, par exemple, très compliqué de définir une consommation par appartement, pour lesquels les descentes d’eau sont souvent multiples.
Enfin, l’un des défis consiste à aider les populations défavorisées afin que la facture d’eau n’excède pas 3 % du revenu mensuel. Cette tarification sociale est certes difficile à mettre en place mais nécessaire. À condition que l’équation économique fonctionne.

Décideurs. Pensez-vous viable l’idée d’un système de compensation pour les grands consommateurs d’eau, comme il en existe aujourd’hui pour le carbone ?

J.-L. C.
Je suis plutôt partisan d’un système beaucoup plus simple et efficace : appliquer une tarification élevée à partir d’un certain niveau de consommation. Cette mesure existe déjà, par exemple à Libourne. Cependant, les plus grands consommateurs d’eau sont les HLM ! La prudence est donc de mise à l’heure d’appliquer cette mesure.

Décideurs. L’eau peut-elle devenir gratuite ?

J.-L. C.
Je suis contre la gratuité de l’eau. Cela entraînerait nécessairement la pénurie. Il faut absolument éviter les deux écueils qui seraient la non-accessibilité des populations les plus fragiles et le gaspillage. L’eau est un bien rare et les services afférents ont une valeur. L’enjeu est donc d’organiser la consommation pour tous. C’est la raison pour laquelle une gradation dans le prix de l’eau nous paraît être une véritable solution.

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