Par Léonie Chabaud, juriste. Fromont Briens
La protection de la santé et de la sécurité des travailleurs est l’un des domaines du droit social où la Cour de justice de l’Union européenne est la plus vigilante et pointilleuse. Après avoir œuvré pour une uniformisation de la notion de temps de travail, c’est désormais le congé annuel qui cristallise les manquements du droit national au droit de l’Union européenne.

La Cour de justice se montre particulièrement exigeante quant à l’application uniforme de la directive 2003/88/CE (1) et de son article?7 consacrant le droit à un congé annuel payé. Elle met régulièrement à mal les conceptions des états membres, l’Espagne et la France notamment ont dû soumettre leur législation au contrôle implacable de la Cour de justice ces dernières années. Il convient ainsi d’étudier successivement la notion de congé annuel payé en droit de l’Union et en droit national.

Le droit au congé payé au sens du droit de l’Union européenne
Cette directive fixe des prescriptions minimales en matière de santé et de sécurité des travailleurs dans le cadre de l’aménagement du temps de travail. Ainsi la Cour a adopté une interprétation finaliste du texte recherchant avant tout la protection de la santé et de la sécurité du travailleur. L’article 7 de la directive est indérogeable, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en son article?31§2 consacre le principe d’une période annuelle de congés payés et selon la Cour c’est un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière. Il faut distinguer les finalités du congé payé et du congé maladie, le premier doit permettre au travailleur de disposer d’une période de repos et de détente alors que le second lui est accordé pour se rétablir d’une maladie ou d’un accident (2).
Un travailleur qui se trouve en situation de congé maladie pendant son congé annuel payé bénéficie du report de celui-ci à une date ultérieure, voire hors de la période de référence en cours (3). Suite à un renvoi préjudiciel de la Cour de cassation en janvier 2012 (4) la législation française a été passée au crible par la Cour de justice. Les questions se présentaient comme suit : le droit au congé annuel payé peut-il être subordonné à un travail effectif minimum de dix jours pendant la période de référence ? Les travailleurs ont-ils droit à une durée identique de congé quelle que soit l’origine de leur absence pour maladie ; une législation nationale peut-elle prévoir des distinctions suivant la raison de l’absence dudit travailleur ?
La première question est résolue en énonçant que l’article 7 de la directive s’oppose à ce qu’une législation nationale subordonne le droit annuel au congé payé à une période minimale de travail effectif pendant la période de référence, fût-elle de dix jours (5). Sur la deuxième question, la Cour rappelle que la directive ne distingue pas selon l’origine de l’absence du travailleur en congé maladie, pourvu que ce congé soit dûment prescrit. Néanmoins elle relève que la directive ne met en place que des prescriptions minimales, dès lors si les dispositions nationales prévoient des variations en fonction de l’origine de l’absence du travailleur elles seront validées si la durée du congé payé est au moins égale à quatre semaines.
Dans Pereda le congé maladie avait commencé avant la période de congé annuel, il restait donc à savoir quelle serait l’interprétation de la Cour dans le cas où le congé maladie surviendrait pendant le congé annuel payé. Sur renvoi préjudiciel du Tribunal Supremo (6) la Cour a rendu l’arrêt Anged (7) qui énonce sans équivoque l’interprétation à retenir de l’article 7. La Cour rappelle l’importance du droit de congé annuel, qu’il «?ne saurait être interprété de manière restrictive?» et que «?le travailleur a le droit de prendre son congé annuel payé coïncidant avec une période de congé maladie à une époque ultérieure, et ce indépendamment du moment auquel cette incapacité de travail est survenue?» (8).

La conception française du droit au congé payé
Le droit national est indéniablement non conforme à la législation de l’Union européenne qui pourtant bénéficie du principe de primauté (9). Le droit de l’Union différencie les causes de suspension du contrat de travail et la Cour refuse de remettre en cause le droit au repos du travailleur en confondant les périodes de congé maladie et de congé annuel payé. Dans le même temps, la Cour de cassation fait systématiquement prévaloir la première cause de suspension du contrat sur la seconde, ne tenant pas compte de l’interprétation téléologique de la Cour de justice. La chambre sociale a fait un premier pas vers une mise en conformité avec le droit de l’Union par un arrêt du 3 juillet 2012 (10). En l’espèce il s’agissait d’un accident de trajet ayant entraîné un congé maladie de novembre?2005 à janvier?2007. Le travailleur entendait que cette période soit prise en compte dans le calcul de ses congés payés alors même que l’article L3141-5 du Code du travail retient que seuls les accidents du travail ou les maladies professionnelles sont assimilés à du travail effectif pour le calcul des congés payés. La Cour de cassation, par une interprétation finaliste de la directive, a assimilé l’absence pour accident de trajet à une absence pour accident du travail. Ce premier pas encourageant n’a pas été confirmé dans l’arrêt du 13?mars 2013 (11). Cet arrêt applique la distinction du Code du travail, à savoir que ne peut être considéré comme du temps de travail effectif que le seul congé pour maladie professionnelle ou pour accident du travail. Alors même que la Cour a indiqué que la directive ne distinguait pas et qu’il serait contraire à sa finalité de distinguer. Par ailleurs, il est toujours impossible pour le travailleur de bénéficier d’un report de congé si l’arrêt maladie commence après le congé annuel payé.
La possibilité d’un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation s’éloigne et il serait heureux que le législateur revienne sur sa copie. À défaut de modification, outre une augmentation du contentieux en droit interne, l’État français s’expose à engager sa responsabilité et à devoir réparer les dommages causés par une mauvaise transposition de la directive (12).


 1- Directive 2003/88/CE du 4?novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
 2 -CJCE, 10?septembre 2009, Vincente Pereda, C-277/08, points?18 à?21.
 3- Ibid. points?22 à?26.
 4- CJUE, 24?janvier 2012, Maribel Dominguez, C-282/10.
 5- La loi Warsmann du 22?mars 2012 a modifié l’article L3141-3 du Code du travail en supprimant cette exigence d’au moins dix jours de travail effectif.
 6- Il s’agit de la juridiction suprême de l’ordre judiciaire en Espagne.
 7- CJUE, 21?juin 2012, Anged, C-78/11.
 8- Ibid. points?18 et?21.
 9- CJCE, 15?juillet 1964, Costa c/Enel, 6/64.
10- Soc. 3?juillet 2012, n°?08-44 834.
11- Soc. 13?mars 2013, n° A 11-22.285.
12- CJCE, 19?novembre 1991, Francovich, C-6/90
et C-9/90.


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