Propriété intelectuelle la difficile lutte contre la contre façon
Entretien avec
Claude Le Gaonach Bret
et Sylvie Savoie,
Avocats associés au bureau de Pékin,
DS Avocats
Décideurs : Quel est le cadre juridique de la propriété intellectuelle et industrielle en Chine ?
Claude Le Gaonach Bret et Sylvie Savoie : La Chine est membre de toutes les grandes conventions internationales relatives à la propriété intellectuelle. Elle dispose de lois et réglementations en la matière très complètes et très détaillées (notamment sur les marques, brevets, droits d'auteurs, concurrence déloyale).
Depuis son entrée dans l’OMC, la Chine a amendé la plupart des lois et réglementations relatives à la PI, afin de se mettre en conformité. Par exemple de nouveaux amendements ont été apportés à la loi sur les brevets. En matière de contrefaçon, le titulaire du brevet peut dorénavant se voir dédommagé des frais engagés pour se défendre. Ceci dit, certaines dispositions, notamment sur les demandes d'autorisation d'enregistrement des brevets, sont totalement insatisfaisantes.
Décideurs : Puisque le pays dispose d’une réglementation, comment se fait-il que les entreprises qui s’y implantent voient encore leurs marques, produits & savoir-faire copiés ?
C. LGB et S. S. : La contrefaçon ne touche pas seulement les entreprises étrangères qui s'implantent en Chine, mais également et en tout premier lieu les entreprises chinoises elles-mêmes. L'application de ce cadre juridique pose problème au niveau local, où il existe un fort protectionnisme. Il est difficile de demander à une administration locale de fermer une usine relevant de sa juridiction et qui emploie une centaine d'employés. Il y a également des lacunes dans la formation des fonctionnaires, et des problèmes de corruption.
Décideurs : De quels recours l’administration chinoise dispose-t-elle pour sanctionner la violation de la propriété intellectuelle et industrielle ?
C. LGB et S. S. : On peut distinguer deux types principaux de recours : l'un administratif devant l'administration concernée (office des marques, administration des droits d'auteur…) et l'autre judiciaire devant le tribunal populaire.
Les recours administratifs sont d'une manière générale rapides. Ils permettent la saisie des produits contrefaits, des moules, l'arrêt de la production, et éventuellement le paiement d'une amende à l'administration.
Les recours judiciaires sont plus longs mais ils permettent en plus d'obtenir le paiement de dommages et intérêts calculés soit en fonction du manque à gagner causé par la contrefaçon, soit en fonction du bénéfice illégal dégagé.
Enfin, dans certains cas graves, la responsabilité pénale du contrefacteur peut également être recherchée.
Décideurs : Quels sont les cas-types dans ce domaine auquels vous avez affaire ?
C. LGB et S. S. : On peut distinguer trois grandes catégories. Tout d’abord, le cas où l'entrepreneur ne s'est pas protégé avant de venir en Chine. Il se trouve alors avec très peu de voies de recours en cas de contrefaçon.
Par exemple, nous avons connu le cas d'une société étrangère qui a travaillé pendant de longues années avec un distributeur chinois sans avoir jamais songé à enregistrer sa marque.
Le distributeur, sous prétexte de rendre service à la société étrangère, enregistre à son propre nom la marque, et par la suite refuse de la céder à la société étrangère. Cette dernière, afin de retrouver l'usage légal de sa marque en Chine, est alors obligée de lancer une procédure d'annulation de la marque devant l'office concerné, en démontrant la mauvaise foi du distributeur. Or, une telle procédure est longue (2 à 3 ans au minimum) et dans l'intervalle, le distributeur reste le propriétaire légal de la marque.
Le second cas classique est celui où l'entrepreneur s'est protégé a posteriori. Dans ces conditions, il peut arriver que les droits de propriété intellectuelle de l'entrepreneur (marques, dessins, modèles) aient déjà fait l'objet d'un enregistrement légal en Chine par le contrefacteur.
C’était le cas d'un entrepreneur étranger qui s'est prévalu d’un enregistrement tardif pour engager une action à l'encontre d'un contrefacteur. Or celui-ci avait enregistré en Chine le même modèle deux ans avant lui... Si bien que non seulement l'action en contrefaçon n'a pas pu aboutir, mais la société chinoise a demandé l'annulation du modèle de la société étrangère pour défaut de nouveauté, et l’a menacée de l'accuser de contrefaçon !
Enfin, en cas de violation de dispositions contractuelles, l’entrepreneur peut avoir recours soit à la clause de résolution des litiges prévue dans le contrat, soit à une procédure en concurrence déloyale.