Par Nathalie Garnier, avocate. de Gaulle Fleurance & Associés
Les écueils du projet de Loi Alur sur l’extension du DPU aux droits sociaux
Le projet de Loi Alur étendrait le DPU aux parts de toutes les SCI (et de sociétés à prépondérance immobilière ?). Encore une inflation du droit de préemption créant de nouveaux problèmes, notamment celui d’imposer la forme authentique aux cessions de telles sociétés, au risque d’alourdir, ralentir et renchérir les transactions alors qu’il existe d’autres solutions plus efficaces et moins contraignantes.
À la lecture des débats sur le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 17?septembre 2013, il est reproché à la législation actuelle de ne pas conférer aux communes le droit de préempter les parts des sociétés civiles immobilières – SCI (sauf délibération particulière) ce qui permet à des associés indélicats tels les marchands de sommeil de procéder à des ventes occultes «?en cascade?». Le législateur envisage donc d’instituer un droit de préemption sur ces parts (et également sur celles des sociétés à prépondérance immobilière-SPI ?). Dans la logique des débats, le problème proviendrait du fait que la cession de telles parts peut se faire sous seing privé « sans formalité obligatoire d’enregistrement et en l’absence de déclarations d’intention d’aliéner (1)?». D’autres arguments tels une meilleure sécurité juridique et une meilleure lutte contre le blanchiment d’argent sous le contrôle de Tracfin ont été avancés. Il en découle que le remède envisagé serait d’imposer la forme authentique à de telles cessions (voir l’article 70 quater du projet de loi venant modifier l’article 1861 du Code civil).
Le projet de Loi Alur poursuit un objectif qu’il n’atteint pas.
Rappelons la structure actuelle du droit de préemption institué au profit des communes : l’article L. 213-1, alinéa 1 du Code de l’urbanisme ouvre le droit de préemption (DPU/ZAD) sur les immeubles et certaines sociétés d’attribution, excluant donc tacitement les parts de SCI et de SPI.
En ce qui concerne les règles propres au DPU, l’article L. 211-4 dresse une liste d’exclusions expresses, dont à l’alinéa d), la cession de la majorité des parts d’une SCI dont le patrimoine est constitué d’une unité foncière (…) dont la cession serait soumise au DPU. Cet article poursuit en créant une exclusion aux exclusions créant par là même le droit pour une commune d’instituer un DPU «?renforcé?» qui peut précisément porter sur de telles parts.
En abrogeant l’alinéa d), l’article 70, 3°, al. a) du projet de loi supprime la possibilité de créer un DPU renforcé sur les parts des SCI sans pour autant créer un DPU «?simple?» à cet égard puisqu’il ne modifie pas l’article L. 213-1 qui exclut tacitement de telles parts du droit de préemption.
Donc l’objectif poursuivi par le législateur ne semble pas atteint.
Les écueils de la création d’un droit de préemption sur les cessions de parts des SCI et des SPI.
À supposer que le prochain projet de loi prévoie clairement un droit de préemption sur les parts de SCI (2) (et éventuellement de SPI (3)), l’outil sera-t-il efficace ?
En pratique si les communes sont friandes de la création du DPU, elles ne le sont pas de celle du DPU renforcé (4) et ne font pas usage de leur DPU : moins de 1?% des DIA (5) font l’objet d’une préemption dont seulement 60?% aboutissent, soit 0,6?% des DIA ! Autant dire, beaucoup de bruit pour rien.
De plus, qui sera chargé de déterminer la prépondérance immobilière et comment la déterminer ? Il s’agit en effet d’une notion fiscale à dimension variable selon qu’il s’agit d’une question de droit d’enregistrement ou de taxation des plus-values.
Les communes ne risquent-elles pas d’être envahies par les DIA de cession de parts de SCI/SPI ?
N’y a-t-il pas un total paradoxe à créer ce nouveau DPU sans retravailler celui sur les lots de copropriété d’habitation : la vente d’une SCI propriétaire d’un terrain non bâti serait soumise à DPU mais pas les ventes de tels lots dans un immeuble achevé depuis plus de dix ans ?
Les communes auront-elles les moyens de procéder à de vrais audits, au risque, à défaut, de se retrouver associées à responsabilité illimitée d’une société endettée, redevable d’obligations au titre d’une multitude possible de contrats, etc. ? Il sera aisé aux marchands de sommeil de glisser des «?poison pills?» dans leurs sociétés pour échapper à la préemption.
Un acte authentique obligatoire pour les cessions de parts des SCI et des SPI : la solution ?
Contrairement à ce que les débats parlementaires laissent entendre, il y a bien une obligation d’enregistrement des actes de cessions de parts de SCI/SPI. Il y a donc peut-être ici confusion : le problème semble plutôt résider dans le fait que la cession peut s’opérer dès la signature d’un acte sous seing privé, les autres formalités n’ayant de conséquences qu’en termes d’opposabilité et d’obligations fiscales. Ce dernier point appelle une remarque et suggère une solution.
Tout d’abord, toute cession de parts sociales d’une SCI sujette à droit de préemption est aujourd’hui subordonnée, «?à peine de nullité?» à DIA (art. L. 213-2) ouvrant donc droit à une action en nullité.
Si le législateur veut éviter les cessions occultes et s’assurer de l’envoi effectif d’une DIA et de l’efficacité de la sanction à défaut, ne pourrait-on pas envisager par ex. de faire de certaines formalités des conditions de validité de l’acte et non d’opposabilité seulement (comme c’est le cas de la formalité de l’enregistrement pour certaines PUV) ? Une telle formalité, condition à la validité, assurerait en outre l’encaissement des droits d’enregistrement.
Toujours en ce sens, pourquoi ne pas également imposer que ces actes soient préparés par un professionnel du droit, tel certes un notaire mais également un avocat voire un expert-comptable ? Il pourrait alors être fait recours au contreseing de l’acte de cession par l’avocat pour s’assurer de sa participation (articles?66-3-1 à 66-3-3 de la Loi n°?71-1130 du 31?décembre 1971). L’avocat sait aussi assurer la sécurité juridique de ses actes grâce notamment aux déclarations Tracfin prévues par le Code monétaire et financier (L. 561-2, 13) même si, y échappent, et c’est normal, les transactions se rattachant à une procédure juridictionnelle (exception évidemment liée à l’aspect contentieux des activités exercées par les avocats et donc inapplicable aux notaires), et même si la déclaration «?filtre?» par le président ou le bâtonnier de l’ordre (L 561-17).
1-2e séance de débats à l’Assemblée Nationale du 13?septembre 2013
2-Voir le dernier alinéa que le projet de loi insère à l’article L 211-1
3-Sinon, pourquoi l’article 70 quater du projet de loi viserait-il les SPI ?
4-Seulement 6?% des communes l’ont mis en place au 01.09.2007
5-Étude du Conseil d’État du 6.12.2007 sur le droit de préemption et note du Min. des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer sur l’utilisation du DPU dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006
À la lecture des débats sur le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 17?septembre 2013, il est reproché à la législation actuelle de ne pas conférer aux communes le droit de préempter les parts des sociétés civiles immobilières – SCI (sauf délibération particulière) ce qui permet à des associés indélicats tels les marchands de sommeil de procéder à des ventes occultes «?en cascade?». Le législateur envisage donc d’instituer un droit de préemption sur ces parts (et également sur celles des sociétés à prépondérance immobilière-SPI ?). Dans la logique des débats, le problème proviendrait du fait que la cession de telles parts peut se faire sous seing privé « sans formalité obligatoire d’enregistrement et en l’absence de déclarations d’intention d’aliéner (1)?». D’autres arguments tels une meilleure sécurité juridique et une meilleure lutte contre le blanchiment d’argent sous le contrôle de Tracfin ont été avancés. Il en découle que le remède envisagé serait d’imposer la forme authentique à de telles cessions (voir l’article 70 quater du projet de loi venant modifier l’article 1861 du Code civil).
Le projet de Loi Alur poursuit un objectif qu’il n’atteint pas.
Rappelons la structure actuelle du droit de préemption institué au profit des communes : l’article L. 213-1, alinéa 1 du Code de l’urbanisme ouvre le droit de préemption (DPU/ZAD) sur les immeubles et certaines sociétés d’attribution, excluant donc tacitement les parts de SCI et de SPI.
En ce qui concerne les règles propres au DPU, l’article L. 211-4 dresse une liste d’exclusions expresses, dont à l’alinéa d), la cession de la majorité des parts d’une SCI dont le patrimoine est constitué d’une unité foncière (…) dont la cession serait soumise au DPU. Cet article poursuit en créant une exclusion aux exclusions créant par là même le droit pour une commune d’instituer un DPU «?renforcé?» qui peut précisément porter sur de telles parts.
En abrogeant l’alinéa d), l’article 70, 3°, al. a) du projet de loi supprime la possibilité de créer un DPU renforcé sur les parts des SCI sans pour autant créer un DPU «?simple?» à cet égard puisqu’il ne modifie pas l’article L. 213-1 qui exclut tacitement de telles parts du droit de préemption.
Donc l’objectif poursuivi par le législateur ne semble pas atteint.
Les écueils de la création d’un droit de préemption sur les cessions de parts des SCI et des SPI.
À supposer que le prochain projet de loi prévoie clairement un droit de préemption sur les parts de SCI (2) (et éventuellement de SPI (3)), l’outil sera-t-il efficace ?
En pratique si les communes sont friandes de la création du DPU, elles ne le sont pas de celle du DPU renforcé (4) et ne font pas usage de leur DPU : moins de 1?% des DIA (5) font l’objet d’une préemption dont seulement 60?% aboutissent, soit 0,6?% des DIA ! Autant dire, beaucoup de bruit pour rien.
De plus, qui sera chargé de déterminer la prépondérance immobilière et comment la déterminer ? Il s’agit en effet d’une notion fiscale à dimension variable selon qu’il s’agit d’une question de droit d’enregistrement ou de taxation des plus-values.
Les communes ne risquent-elles pas d’être envahies par les DIA de cession de parts de SCI/SPI ?
N’y a-t-il pas un total paradoxe à créer ce nouveau DPU sans retravailler celui sur les lots de copropriété d’habitation : la vente d’une SCI propriétaire d’un terrain non bâti serait soumise à DPU mais pas les ventes de tels lots dans un immeuble achevé depuis plus de dix ans ?
Les communes auront-elles les moyens de procéder à de vrais audits, au risque, à défaut, de se retrouver associées à responsabilité illimitée d’une société endettée, redevable d’obligations au titre d’une multitude possible de contrats, etc. ? Il sera aisé aux marchands de sommeil de glisser des «?poison pills?» dans leurs sociétés pour échapper à la préemption.
Un acte authentique obligatoire pour les cessions de parts des SCI et des SPI : la solution ?
Contrairement à ce que les débats parlementaires laissent entendre, il y a bien une obligation d’enregistrement des actes de cessions de parts de SCI/SPI. Il y a donc peut-être ici confusion : le problème semble plutôt résider dans le fait que la cession peut s’opérer dès la signature d’un acte sous seing privé, les autres formalités n’ayant de conséquences qu’en termes d’opposabilité et d’obligations fiscales. Ce dernier point appelle une remarque et suggère une solution.
Tout d’abord, toute cession de parts sociales d’une SCI sujette à droit de préemption est aujourd’hui subordonnée, «?à peine de nullité?» à DIA (art. L. 213-2) ouvrant donc droit à une action en nullité.
Si le législateur veut éviter les cessions occultes et s’assurer de l’envoi effectif d’une DIA et de l’efficacité de la sanction à défaut, ne pourrait-on pas envisager par ex. de faire de certaines formalités des conditions de validité de l’acte et non d’opposabilité seulement (comme c’est le cas de la formalité de l’enregistrement pour certaines PUV) ? Une telle formalité, condition à la validité, assurerait en outre l’encaissement des droits d’enregistrement.
Toujours en ce sens, pourquoi ne pas également imposer que ces actes soient préparés par un professionnel du droit, tel certes un notaire mais également un avocat voire un expert-comptable ? Il pourrait alors être fait recours au contreseing de l’acte de cession par l’avocat pour s’assurer de sa participation (articles?66-3-1 à 66-3-3 de la Loi n°?71-1130 du 31?décembre 1971). L’avocat sait aussi assurer la sécurité juridique de ses actes grâce notamment aux déclarations Tracfin prévues par le Code monétaire et financier (L. 561-2, 13) même si, y échappent, et c’est normal, les transactions se rattachant à une procédure juridictionnelle (exception évidemment liée à l’aspect contentieux des activités exercées par les avocats et donc inapplicable aux notaires), et même si la déclaration «?filtre?» par le président ou le bâtonnier de l’ordre (L 561-17).
1-2e séance de débats à l’Assemblée Nationale du 13?septembre 2013
2-Voir le dernier alinéa que le projet de loi insère à l’article L 211-1
3-Sinon, pourquoi l’article 70 quater du projet de loi viserait-il les SPI ?
4-Seulement 6?% des communes l’ont mis en place au 01.09.2007
5-Étude du Conseil d’État du 6.12.2007 sur le droit de préemption et note du Min. des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer sur l’utilisation du DPU dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006