Par Éric Giuily, président. CLAI
Une restructuration génère naturellement angoisse, frustration, contestation et des questionnements qu’il faut entendre et auxquels il faut apporter les réponses adéquates. Une attitude d’écoute, de concertation et de négociation est capitale. C’est pourquoi, au-delà des indispensables efforts d’indemnisation, de reclassement et de revitalisation, une communication régulière, empathique et transparente est un outil stratégique pour réussir une réorganisation.

Certes, le contexte français est particulier : un héritage syndical marqué par des conflits sociaux historiquement durs, des politiques interventionnistes, une presse facilement à charge, des dispositifs légaux de consultation particulièrement lourds… De quoi inquiéter bien des dirigeants et DRH contraints de restructurer une entreprise, un site ou une activité.
Il faut pourtant rappeler que la quasi-totalité des projets de restructuration ou de réorganisation finissent par aboutir. Ce qui diffère d’un cas à l’autre, ce sont les éventuels dommages collatéraux : blocages, dégradations, grèves du zèle, externalisation du conflit avec des interventions plus ou moins médiatisées du maire, du préfet, du ministre, du juge… Outre les délais (parfois plusieurs années) et les coûts qu’ils impliquent (en millions d’euros), ces difficultés ont souvent des effets désastreux et à long terme sur l’image de l’entreprise.
Les nouvelles dispositions de l’ANI du 11?janvier 2013, qui accordent une place très importante au dialogue social, interviennent dans un contexte économique difficile où les restructurations d’entreprises se succèdent et où les syndicats sont toujours aussi faibles et divisés.
Cette situation complexe entraîne un regain significatif de tensions entre les représentants des salariés et les employeurs à l’occasion des procédures d’information et de consultation obligatoires en cas
de restructuration…

Des règles fondamentales
Cela doit conduire à réaffirmer les règles fondamentales qu’il convient de suivre en matière de communication lors de ces situations pour éviter qu’elles ne dégénèrent et affectent durablement l’image de l’entreprise. Le constat de base est simple : pendant ces procédures, autant qu’un problème opérationnel ou social, de telles opérations sont des batailles de communication, tant en interne que vers l’ensemble des parties prenantes externes. Ce qui doit avoir des conséquences sur la stratégie de communication comme sur l’organisation et le fonctionnement de l’équipe projet.
1. Tout d’abord, communications externe et interne doivent être totalement «?alignées?» et conçues comme un tout indissociable et complémentaire.

2. Dans ce type de situation, avoir l’initiative et être le premier à parler est un atout essentiel, pour ne pas dire une des conditions majeures du succès.
Il faut donc décider, dès le début de la procédure, et une fois pour toutes, que la stratégie consistera à communiquer après ou à l’occasion de chacune des réunions, quelles que soient les intentions supposées ou les demandes des syndicats et quelles que soient les conclusions de la réunion. S’il n’y en a pas eu, il ne faut pas hésiter à le dire. L’important est de maintenir un flux permanent de communication et d’installer l’idée que la direction est une source d’information régulière : il ne faut pas laisser aux syndicats le leadership ou le monopole de la communication. Bien au contraire, la direction doit avoir l’initiative et aller plus vite que
ses partenaires.

3. Cette stratégie de communication doit être annoncée a priori et maintenue tout au long de la procédure. Elle provoquera très vraisemblablement des réactions négatives des représentants du personnel mais :
– ce ne sont pas eux les cibles directes de la communication de la direction, celle-ci s’adresse aux salariés et aux parties prenantes externes, le dialogue avec les syndicats ayant lieu dans le cadre des instances légales (IRP) ;
– bien plus, la communication a pour objet de les contourner si nécessaire en cas de blocage et de conduire salariés et parties prenantes à créer un contexte/environnement les poussant à négocier ; il faut donc accepter
les conséquences de cette stratégie et les assumer ;
– enfin, si cette stratégie fait réagir les syndicats, c’est qu’elle est efficace, d’où l’intérêt de l’appliquer tout au long de la procédure.

4. Cela implique également que l’on ne s’arrête pas à une conception excessive du délit d’entrave qui sert d’argument ou d’alibi pour ne pas communiquer ou insuffisamment ou mal. Cette conception restrictive correspond au souci de ne pas prendre de risque juridique mais ne reflète pas la réalité de la jurisprudence. Celle-ci n’exige pas que les IRP aient le monopole de l’information mais celui de la négociation.
Pour des raisons plus tactiques que juridiques, il est recommandé de leur réserver la primeur de l’information, mais dès qu’elle leur est donnée, rien n’empêche de la partager avec les autres cibles et en premier lieu
les salariés.
5. Dans certaines situations, le gouvernement et les élus locaux font partie des cibles importantes de la communication et doivent être traités comme telles dans le cadre du plan de communication d’ensemble. La démarche à leur égard ne relève pas du lobbying au sens classique du terme mais de l’information régulière et ouverte d’une des parties prenantes majeures du sujet.

6. Une attention particulière doit être accordée au contenu de la communication qui doit être plus empathique que juridique et traduire une posture qui n’est pas de simple information descendante mais d’écoute, de dialogue et de recherche de solutions individuelles pour chacun des salariés concernés.

7. Pour mener à bien cette stratégie, il faut qu’elle soit, préalablement à sa mise en œuvre, validée par les dirigeants de l’entreprise et que son application au jour le jour soit pilotée par un responsable disposant d’une autorité suffisante pour l’imposer face aux réticences prévisibles et inévitables des juristes, des RH, des opérationnels locaux et des responsables des affaires publiques. Un séminaire réunissant toutes les personnes concernées de l’entreprise et tous les conseils avant le lancement de l’opération s’avère très utile pour «?aligner?» l’ensemble des intervenants tant sur les objectifs que sur les modalités.

8. Enfin, il faut fonctionner en mode projet et donc informer tous les intervenants internes et externes à chaque étape ou événement et les faire travailler ensemble.
Il faut éviter le fonctionnement en silo, les avocats avec les RH et les juristes, les opérationnels avec les consultants en organisation, ou… les communicants entre eux.
Les négociations, les décisions relatives à la tenue ou au report d’une réunion, par exemple, n’ont pas qu’une dimension sociale. Elles ont des répercussions évidentes en communication et doivent devenir des sujets de communication.

Il convient de maintenir ce type d’organisation jusqu’à la fin de la procédure. Trop souvent, il ne prévaut que pour la phase d’annonce et de présentation et se perd rapidement si les premières réactions des intéressés sont relativement modérées.
L’expérience montre que c’est une erreur car une procédure d’information-consultation en apparence bien partie peut dégénérer à tout moment. La mobilisation contre le projet peut être tardive. Elle n’en sera souvent que plus violente.

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